Billet du 11.10.2025
Années de guerre : laisser-passer et amende pour beurre non fourni
Cette semaine on se plonge encore dans la période 1939-45 grâce à la réédition de 2025 du livre « Les années de guerre à Quimper », et des articles détaillés sur deux pièces d'archives familiales de 1940 et de 1943 qui y sont mentionnées.
Ce livret d'Alain Floch est une compilation très fournie de documents détenus par des familles ou des services d'archive, avec comme objectifs d'illustrer les années de guerre 1939-45 à Quimper et alentours. On y trouve notamment des documents et photos de la force d'occupation, un inventaire des unités et cachets de Kommandantur, des photos de camps de prisonniers, des affiches, des témoignages et des anecdotes diverses ...
La commune d'Ergué-Gabéric est concernée entre autres par 5 contributions :
- page 20, un document de 1943 sur une amende infligée à la commune pour livraison insuffisante de beurre : cf. ci-dessous pour plus de précisions et connaître les références de l'archive en question.
- page 51, une courte évocation de l'opération de vol et destructions de documents du bureau du STO de Quimper en janvier 1944.
- page 69, la réquisition d'écoles au bourg et à Lestonan et d'une salle de danse pour le IIe Bataillon du Régiment d'infanterie n° 276 allemand.
- page 81, un laisser-passer pour Jean Le Grand, prisonnier à Dinan : cf. explications supplémentaires ci-dessous.
- page 87, le séjour de prisonniers allemands de l'organisation Todt dans une école du bourg.
Le premier document est une pièce d'archives de la famille Le Grand, communiquée en janvier 2001 à Gaëlle Martin, agent pour la valorisation du patrimoine communal.
Il s'agit d'un « Ausweis », laisser-passer en français, délivré le 18 septembre 1940 pour le gabéricois Jean Le Grand, prisonnier de guerre au camp de Dinan. Il est signé par l' « Oberleutnant », lieutenant de 1ère classe et commandant du camp. Jean Le Grand est cultivateur à Ergué-Gabéric, né à Keranroué, et marié en 1926 à Marie Billon de la ferme de Balannou.
La facilité de circuler et autorisation de quitter le camp jusqu'au 15 octobre a pour justificatif : « Dringende Erntearbeiten 20 hectar in ERGUE-GABERIC (Finistère) » (Travaux urgents de récoltes sur 20 hectares à Ergué-Gabéric).
De quelles récoltes s'agit-il, qualifiées d'urgentes et réparties sur 20 hectares ? Vu que l'été est déjà passé, ce ne sont pas les moissons, et donc on a le choix entre les pommes de terre (tardives ?), le blé noir, ou alors du maïs (en faisait-on autant en 1940 ?).
En tous cas Jean Le Grand s'est présenté « à la Kommandantur la plus proche » les 2 et 16 septembre et le 1er octobre pour valider sa permission. Et son laisser-passer a été tamponné par le lieutenant de la « Standorthommandantur » (poste de commandement militaire). Le cachet apposé n'est pas encore le tampon spécifique de cette institution, mais celui de l'unité militaire en place, en l’occurrence le 1er bataillon d'infanterie (unité 05 308).
Le second document est une pièce d'archives de la famille Puech-Tanguy de Kerellou, communiquée en février 2003 à Gaëlle Martin, agent pour la valorisation du patrimoine communal.
Il s'agit d'une part le refus de délai de paiement d'amende, notifié par l'autorité allemande de Quimper, et d'autre part la liste des 165 agriculteurs gabéricois sollicités pour régler une quote-part de la somme totale de presque 500.000 francs.
Le pli est adressé « An den Hern Buergermeister Ergué-Gabéric », à savoir le maire de la commune d'Ergué-Gabéric Pierre Tanguy, cultivateur à Kerrellou près du bourg. L'objet est « Sicherheitsleistung fuer nicht abgelieferte Butter in Monat Maerz. » (Cautionnement pour non livraison de beurre au mois de mai). Le cachet officiel de la Feldkommandantur 752, siège de l'administration générale du département du Finistère, y est oblitéré pour attester l'origine.
Le courrier est traduit en français de façon manuscrite et signé du patronyme Braun, sans doute un employé allemand de la FeldKommandantur qui ne laisse pas d'alternative au paiement immédiat : « Dans le cas présent il n'est plus possible de vous accorder un délai supplémentaire. Vous êtes donc invité à verser la somme immédiatement à la Banque de France à Quimper. ».
Chaque commune doit contribuer au ravitaillement de l'armée d'occupation et fournir des quotas de lait, beurre, oeufs, légumes, poules, lapins, porcs, veaux et fourrage. Si les quotas ne sont pas respectés, la Feldkommandantur inflige une amende globale, que le maire doit répartir entre tous les fermiers de sa commune.
La répartition pour ces chefs de famille, dont le village est systématiquement indiqué, tient vraisemblablement compte des ressources des contributeurs et à la taille de leur exploitation.
Les plus fortes sommes sont attribuées à Yves Trolez de Kergoant pour 7.100 F et à Jean Furic de Créac'h Ergué pour 7.250 F. Ces sommes en équivalent euros d'aujourd'hui sont conséquentes car le taux de conversion est d'un tiers en tenant compte de l'inflation (3 anciens Francs : 1 euro de 2025).
Pour ce qui concerne l'exploitation du maire à Kerellou, la somme due est de 3.500 francs. L'année passée Pierre Tanguy y a marié sa fille Louise à un agriculteur natif de Penhars, Jean-Marie Puech, lequel reprendra la ferme gabéricoise plus tard et sera également maire de 1959 à 1977.
La somme totale due à l'occupant par la commune pour « insuffisance de livraison de beurre » en mars, est loin d'être négligeable : les 496.500 francs de l'époque correspondent à 157.308 euros revalorisés à la date de décembre 2025.
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