1870 - Un achat d'armes pour la défense du pays
Comment la commune d'Ergué-Gabéric s'est préparé à la guerre de 1870 en votant un budget exceptionnel pour acheter des armes.
Sources : délibération de conseil municipal, courrier des lecteurs du journal Feiz-ha-Breiz
Autres lectures : « 1851-1879 - Registre des délibérations du conseil municipal » ¤ « Joseph Le Roux, maire (1862-1881) » ¤ « Kemperiz e Kerzevot, Quimpérois à Kerdévot, Feiz ha breiz 1870 » ¤ « 1867-1872 - Tirage au sort, exonération et remplacement au service militaire » ¤ « Empire, garde nationale et Commune de Paris en 1870-71 pour Jean-Marie Déguignet » ¤ « Mort de Pierre-Marie Cuzon héros de la guerre de 1870, Le Finistère 1880 » ¤ « Yvon Queinnec, engagé volontaire et communard condamné pour insurrection » ¤
Introduction
Le 19 juillet 1870 l’Empire français déclare la guerre au royaume de Prusse. Mais les troupes françaises sont loin d'être prêtes, il n'y a pas de conscription (le recrutement se fait par engagement et tirage au sort ; le service national obligatoire pour tous les hommes et pour une durée de cinq années n'est institué que le 27 juillet 1872), les armes manquent, et le conflit tourne rapidement à l'avantage des Allemands.
Dans ce contexte, les conseillers municipaux d'Ergué-Gabéric se réunissent le 27 septembre sur l'injonction du préfet du Finistère. Ils votent à l'unanimité un déblocage de « fonds disponibles pour achat d'armes, considérant l'utilité de ces armes pour la défense du pays ».
Il est immédiatement décidé de mettre 600 francs dans la cagnotte, prélevés sur les 300 destinés initialement à l'entretien des chemins vicinaux, et sur le budget général de la commune pour le complément.
Dans la crainte de l'invasion des terres finistériennes par les armées prussiennes, un certain nombre de fusils Chassepot [1] ont été vraisemblablement acquis avec cet argent. Les fusils ont sans doute servi lors des séances d’entraînement des futurs soldats de la Garde nationale mobile, pour leur être ensuite affectés lorsqu'ils sont partis sur les fronts de Paris ou de Metz.
Suite au peu d'empressement des autres communes, le préfet et le Conseil général du finistère organiseront lé 12 octobre un grand emprunt sur le sujet de l'acquisition d'armes, les municipalités étant invitées à y souscrire [2]. La raison pour laquelle le conseil d'Ergué-Gabéric a aussi vite validé en septembre l'achat d'armes tient peut-être à la singularité de la journée du 20 septembre, à Kerdévot, soit une semaine avant la séance municipale.
Ce jour-là un groupe de mères Quimpéroises organise un rassemblement de plus de 1000 pèlerins à la chapelle gabéricooise pour y « demander pardon à Notre-Dame et à y faire dire une messe pour tous les soldats de France ».
Le compte-rendu de la journée en langue bretonne dans les colonnes du journal « Feiz-ha-breiz », titré « Savetaet eo ar Frans ! » (La France est sauvée !), est signé « Ur C'hrouadur da Itron Varia Kerzevot » (un enfant de N.D.). Et la raison de cette grâce (une victoire temporaire, car suivie quelques mois après d'une capitulation) est donnée par le correspondant local : « Le corps de l'armée prussienne Fritz a été décapité par notre général Vinoy [3] le jour même de l'arrivée des Quimperois à Kerdévot » (en fait 3 jours avant, le 17 septembre, le général remportait une victoire tactique à Montmesly lors du siège de Paris).
Parmi les soldats de la commune mobilisés au sein de la Garde mobile, l'histoire a retenu au moins l'un d'entre eux : Pierre-Marie Cuzon, décoré de la Légion d'honneur, suite à ses exploits « assigné en avant du fort de Vanves » pendant le siège de Paris par l'armée prussienne. On n'oublie pas non plus le volontaire Yvon Queinnec qui plus tard en 1871 se rangera du côté des communards.
Et tous les autres dont cet anonyme pour lequel ses parents ont fait graver cet ex-voto sur un pilier de la chapelle de Kerdévot : « Reconnaissance à ND de Kerdévot qui a si bien protégé nos soldats et mobiles Bretons. 1871 ».
Transcriptions
Conseil municipal du 27 septembre
L'an mil huit cent soixante dix, le vingt huit septembre à midi et demi se sont réunis à la mairie de cette commune les membres composant le conseil municipal de cette commune et où furent présents M.M. Le Guay Prosper, Bolloré René, Le Corre, Nédélec Jean-Marie, Guenno, Signour, Yaouanc, Feunteun, Dornic, Kernévez, Normant, Guillamet, Huitric et Le Roux maire et Le Roux Alain. Absents M. Péron René.
Le maire donne lecture d'une lettre de Monsieur le Préfet par laquelle il est autorisé à réunir le conseil municipal pour délibérer si la commune doit voter une partie de ses fonds disponibles pour achat d'armes.
Le conseil après avoir mürement délibéré, considérant l'utilité de ces armes pour la défense du pays vote à l’unanimité :
1°. Une somme de 300 francs qui est la seule ressource que nous avons en caisse pour l'entretient des chemins vicinaux ..., ci 330 f.
2°. Vote en plus une somme de 300 f qui sera prélevé sur les autres ressources de la commune ..., ci 300
total 600 f.
Ainsi arrêté et délibéré les jour, mois et an que dessus.
(signatures)
Pardon de Kerdévot du 20 septembre
Savetaet eo ar Frans ! ! Setu komzoù ur vamm gristen d'he bugale, pa zistroas eus Kerzevot, an ugent eus ar miz-mañ. Savetaet eo ar Frañs ! !
La France est sauvée ! Ce sont les mots d'une mère chrétienne à ses enfants, à son retour de Kerdévot, le 20 de ce mois. La France est sauvée !
Neuze un nebeut Itronezed, ken anavezet dre o renk uhel, 'zo deut da soñjal e oa Kerzevot chapel muiañ karet an Itron Varia er vro-mañ. Deut zo dezho da soñj oa Itron Varia Kerzevot he devoa lakaet da ehan ar vosenn en Eliant hag er c'harter tro-war-dro, meur a gantved 'zo. ... Petra 'ra 'ta Itronezed Kemper ? En em ouestlañ a reont da vont da bardonañ d'ar Gerzevot ha da lakaat laret eno un oferenn 'vit holl soudarded ar Frañs.
Quelques dames, réputées pour leur haute fonction, en sont venues à penser que Kerdévot était la chapelle la plus vénérée de la Vierge Marie dans le pays. Ils se souvenaient que c'était Notre-Dame de Kerdévot qui avait arrêté la peste à Eliant et dans ses environs, il y a plusieurs siècles. ... Que font les Dames de Quimper ? Elles s'engagent à aller demander pardon à Kerdévot et à y faire dire une messe pour tous les soldats de France.
war c'hed, 'vit an deiz-se memes eus ur c'helou mat bennak. Ar c'helou mat 'zo deut hep dale. Korf arme ar prusian Fritz 'zo bet dispennet gant hor jeneral Vinoy, en deiz memes ma teuas Kemperiz d'ar Gerzevot.
On attendait ce jour-là une bonne nouvelle. La bonne nouvelle ne tarda pas. Le corps de l'armée prussienne Fritz a été décapité par notre général Vinoy [3] le jour même de l'arrivée des Quimperois à Kerdévot.
Originaux
Annotations
- ↑ Le fusil Modèle 1866 dit Chassepot du nom de son créateur Antoine Alphonse Chassepot est un fusil de l'armée française mis en service en 1866.
- ↑ Source : https://www.saint-urbain.com/patrimoine-historique/histoire-de-la-commune/la-guerre-de-1870 (Commune de Saint-Urbain près de Landerneau).
- ↑ 3,0 et 3,1 Joseph Vinoy (1800-1880) est un général et sénateur du Second Empire, grand chancelier de l’ordre national de la Légion d’honneur. Il participe à la guerre de Crimée, au siège de Sébastopol (bataille de Malakoff) en 1859. Ayant atteint la limite d'âge, il se retire du service actif en 1865, et est nommé Sénateur ; mais lorsqu'éclate la Guerre franco-prussienne de 1870, il est rappelé à la tête du XIIIe corps d'armée. Puis, pendant le siège de Paris, il commande en chef la IIIe armée de la défense de la capitale. Il participe ensuite à la campagne des Versaillais contre la Commune de Paris. Pour le remercier de « ses services récents pendant et depuis le siège de Paris », Adolphe Thiers le nomme grand chancelier de la Légion d'honneur en avril 1871, avant qu'il ne prenne part à la Semaine sanglante de mai 1871. Il démissionne de ses fonctions en février 1880 et décède deux mois plus tard.
