La "gavotte aux garages" de la rue de Croas-ar-Gac, Boest an dioul 2008

Une vidéo amateur de 2 minutes 30 pour la clôture d'un rassemblement de musiciens et chanteurs qui se sont déchaînés en impros et répétitions dans les sous-sols du haut de la rue de Croas-ar-Gac et qui reprennent ensemble un chant traditionnel « Son ar Meilher », rebaptisé à l'occasion « gavotte aux garages ».

Posté par Titimouty sur Youtube le 21 septembre 2008.
Autres lectures : « RODE Pascal - La Ballade d'un Paysan Bas-Breton » ¤ « Rêveries d'un potier solitaire par Loïc Pichon » ¤ « Les chants de Marjan Mao, collectage des Daspugnerien Bro C’hlazig en 1979 » ¤
Présentation
Le 20 septembre 2008, une session préparatoire du festival d'accordéons de la sympathique association « Boest an Dioul » dont le nom signifie "boîte du diable" - surnom donné autrefois à l'accordéon diatonique par les prêtres pour ses facultés diaboliques d'appels à la danse - était organisée à Ergué Gabéric du côté du quartier de Lestonan-Quélennec.
Trois garages en sous-sol de la rue de Croas-ar-Gac avaient été ouverts pour cette manifestation : chez Françoise et Dédé Larvol, chez Marie Thé et Didier Le Meur et chez Monique et Didier Coustans-Roland. La rue était barrée et déviée par Pontlen, les gens pouvaient déambuler d'un garage à l'autre, et sous le barnum installé au milieu de la rue pour la buvette et les "billigs" [1]. Les gens du quartier étaient venus nombreux et avaient bien apprécié cette très belle soirée.
Et notamment tout le monde se souvient de cette "gavotte aux garages" super entraînante. En fait c'est une reprise du chant traditionnel « Son ar Meilher » (chant du meunier) avec cette orthographe et prononciation locale "meilher", équivalente des "miliner" ou "meliner" plus classiques à l'écrit. La chanson est connue aussi sous le titre complet « Son eur miliner yaouank d'e vestrez » (la chanson d'un jeune meunier à sa bien aimée). Les paroles sont transcrites et traduites ci-dessous (après la vidéo et les photos vignettes), avec la copie du cahier de chants des années 1970 et de la feuille volante des années 1900, la version complète ayant été fournie par le chansonnier Kolaik Pennarun (1871-1919) de Landrevarzec.
Les chanteurs qui se sont joints aux accordéonistes et autres musiciens de « Boest an Dioul » sont le gabéricois Jean Billon [2] et l'elliantais Christophe Kergourlay, avec l'aide rapprochée du scaërois Guy Pensec. Sur la vidéo ils chantent sur un air de gavotte, plus précisément le deuxième temps « ton doubl » à la rythmique musicale redoublée et plus vive qui suit le « ton simpl » et le bal ou « tamm kreiz » plus lents.
Mais il se trouve que cette chanson, et ses paroles à l'identique, étaient dans le répertoire de la chanteuse Marjan Mao [3] qui habitait à Stang-Odet tout près de Croas-ar-Gac et qui fut enregistrée par Dastum en 1979. Sous la forme d'une complainte ou « gwerz » [4], ses couplets du « Son ar Meilher disent aussi le bonheur d'un enfant meunier de la région et de sa douce amie, puis l'éloignement forcé et le départ du pays, et enfin, au bout de 14 ans, le retour et les tentatives du meunier pour renouer, mais qui se heurte à une réalité sociale bien figée.
La vidéo et les paroles du « ton doubl » se terminent par un couplet spécial qu'on qualifierait aujourd'hui de sexiste : « Ar plant yaouank hall breman dougen frouez ha bleiniou / Mez prestig teuy da zevel keonid war o zreujou » (Les jeunes plantes peuvent maintenant porter fruits et fleurs Mais bientôt se lèveront Des toiles d'araignée sur leurs tiges). Ce texte est dans la version de Kolaik Pennarun, mais Marjan Mao en 1979 l'a ignoré ostensiblement.
Elle a continué son chant par treize autres strophes qui expliquent la distanciation sociale entre le pauvre meunier et la riche fille d'agriculteurs. Et cette interprétation complémentaire, dont le texte est aussi dans la feuille volante, est exécutée de mémoire seulement, car Marjan ne savait pas lire du tout.
Les musiciens de la fête des garages sont principalement les accordéonistes Jean Marc Guéguen, plus connu sous le nom de Gaston, et l'incontournable Thierry Beuze de Plonéis, ainsi que les violonistes Eric Falcini, Loïc Le Grand-Lafoy et sa fille Emilie, accompagnés de leurs amis guitariste, saxophoniste (Bernard Manchec) et flûtiste (André Blouet).
Et les nombreux spectateurs sont venus en voisins, tous ou presque des alentours de la rue de Croas-ar-Gac. Pour les identifier, des vignettes d'arrêt sur images, avec numéros de chrono-vidéo, ont été créées. Si vous vous reconnaissez, ou reconnaissez vos amis, n'hésitez pas à nous communiquer leurs noms et/ou prénoms (infos à admin @ grandter-rier.net).
La Vidéo Youtube
Kan ha diskan : Jean Billon et Christophe Kergourlay (et derrière eux Guy Pensec) Accordéons : Jean Marc Gueguen (Gaston) et Thierry Beuze Violons : Eric Falcini, Loïc Le Grand-Lafoy et sa fille Emilie Saxophone : Bernard Manchec (Plogonnec) Guitare : ? |
Flûte : André Blouet Spectateurs du quartier de Croas ar Gac et des environs : Dédé Larvol, Françoise Beulz-Larvol, Laurent Saliou, Rémy Barguil, Laurence et Marcel Tallec, Philippe Josse de Quelennec, Christian et Noelle Coquil de Lestonan, Pascal Belinger et Gerard Caer du Bourg, Huguette et Gérard Cantin, Jean Le Berre de Quimper (ancien instituteur de Lestonan) ... |
Arrêts sur images
- Vignettes
Paroles imprimées
La première mention connue de la chanson est une feuille volante recto-verso publiée par la maison Kerangal de Quimper [5]. Elle est signée Kolaig Pennarun, à savoir Hervé-Nicolas Pennarun, né en 1871 à Landrévarzec et décédé à Quimper en 1919. Outre son activité prolixe de chansonnier, il est également concierge au petit séminaire de Quimper.
L'exemplaire ci-dessous provient des archives de l'abbaye de Landévennec, cote 20-2-0372. Au recto une autre chanson plus courte : « Klemmoù ar bennhêrez » (plaintes de l’héritière). La « Chanson eur Meliner Yaouank d'he Vestrez » compte 30 couplets doubles, soit 60 au total, à comparer aux 25 du carnet de chant « Kana da zansal » et aux 36 chantés par Marjan Mao.
Traduction
Gavotte Son ar Miliner, "Kana da zansal"
Gwerz par Marjan Mao (cf § MM)
Ton Simpl
1. Ken trist eo ma flanedenn eet on skuiz o ouela


Ken trist eo ma flanedenn eet on skuiz o ouela
Deuz kreiz ma brasa anken n'im laka da gana
2. Da wel'd ha me a gavo remet d'am 'foan spered


Da wel'd ha me a gavo remet d'am 'foan spered
Da konte deoh ma hlemmou, tud yaouank, chilaouet
3. Me zo paour kez miliner, hi zo merh tiegez


Me zo paour kaezh miliner, hi zo merc’h tiegezh
Goude bezañ he c’haret me ‘oa karet ivez
4. Evel ne oa etrezom nemed eur park hebken


Hani ne oa ket etrezomp nemet ur park hepkén
‘Vijomp bepred asambles o c’hoari, o pourmen
5. O hoari oh ibata heb kont hag heb muzul


O c’hoari, oc’h ebatañ hep kont hag hep muzul
Er c’hatekis a-wechoù en oferenn d’ar sul
6. An dud demeuz on gweled lavare etrezo


An dud demeus o gwelet a lâras etrezo
Rankomp bezañ breur ha c’hoar, pa ‘n em heuliomp atav
7. Ha nikun nije sonjet vije an ibatou
Oh ober ar skloumm kenta o ya tre or halonou
8. Or bugaleaj zo euruz zo pell 'zo tremenet


He bugaleaj eurus zo pasaet, zo tremenet
Pa nomp graet hon pask kentañ ni ‘oa dispartiet
9. Hi oa kaset da Vrieg laket e pansion


Hi ‘oa kaset da Vrieg lakaet e pension
Me ieas gant va c’herent d’an tu all d’ar c’hanton
10. Ma zad din-me zo meiller feurmas eur veil nevez


Ma zad e oa merour feurmas ur veilh nevez
Ret oa din-me labourat ha cheñch krenn a vuhez
11. Diski lemmi ar velin, ober paotr miliner


Deskiñ lemmañ ar vilin, ober paotr miliner
Digor an dour er skluzioù, hag pep tra en ar gêr
Ton Doubl
12. Dont a ree din ar mare d'ond er-mêz deuz ar vro


Dont a reas ar mare da vont ‘maez d’ar vro
Biskoazh deus ma c’hoar vihan 'm eus ket klevet keloù
13. Deuz hi herent kennebeud glevan mui kaozeal


Deus he c’herent kennebeud ne glevan ket mui kaozeal
‘M eus ket gallet koulskoude donet d’o disoñjal
14. Echu ma zri bla servij da rag eost diweza


Achu ma sri vloaz servich ‘vare eost diwezhañ
‘Zistro e ti ma zad, laouenn hag ‘n ur ganañ
15.Henvel duez eur golvenig libr e d'hi diouaskell


Heñvel deus ar golvennig, libr e diouaskell
O hont er-maez da gaouet a gan a nij a-bell
16. O honed prestig goude da weled ma mignoned


O hont prestik goude da wel’ ma mignoned
‘Zistroent diwar ma hent, hep digarez ebet
17. Evel ma vijen poulzet da dremen dre ar gêr


Evel ma vijen poulzet da dremen dre ar gêr
‘lâr pehini oa bevet ma eürusted amzer
18. An dud a oa o turna, peurzastum an ed-du


‘Benn m’oan degouezhet eno, peurzastum an ed du
Yudal ‘reas ar mekanik, pres e oa en daou du
19. War ma halonik ivez e oa prez warnezi


War va c’halonig ivez ‘oa pres warnezi
Kement ma reas ul lamm o tostaat deus an ti
20. - Yehed deoh-ta Franzeza. Mond a rit mad a ret bepred ?


Dibonjour deoc’h Franseza, ha mat a ya bepred
Ma ya kenkoulz diganeoc’h den yaouank didostait
21. Ha matreze peus seched. Azezet eun tammig


Matrese ho peus sec’hed. Aze’it un tammig
Da c’hortoz ken teuio va mamm ‘zo waet da gerc’hat sistr
22. Gand plijadur azein, vi din n'on ket eet skuiz


Gant plijadur azezin, evit ma n’on ket skuizh
Tri deiz so e retournan demeus a Sant Deniz
23. Ha 'benn eiz devez aman e vo pevarzek là


Kar ‘benn eizh devezh ahann ni vo pevarzek vloaz
‘Oan aze’et en ho kichenn ‘vit ar wech diwezhañ
24. Touzet peus ho pleo melen chenchet henvelidigez


Touzet ‘peus ho plev melen cheñchet henveligez
Mes ho mouezh hag ho safar zo bepred ar memes
25. Ar plant yaouank hall breman dougen frouez ha bleiniou
Traduction française
Premier temps
1. Si triste est ma destinée, me voici fatigué à pleurer
Du fond de mon plus grand chagrin je me mets à chanter
2. Pour voir si je trouverai remède à mon esprit affligé
En vous contant mes plaintes, jeunes gens, écoutez
3. Moi je suis pauvre meunier, elle est fille de ferme
Après l'avoir aimée, moi j'étais aimé aussi
4. Comme il n'y avait entre nous qu'un champ seulement
Nous étions toujours ensemble à jouer et à nous promener
5. À jouer, à nous ébattre sans compter et sans mesure
Au catéchisme quelquefois, à la messe le dimanche
6. Les gens à nous voir disaient entre eux
Que nous devions être frère et sœur puisque nous nous suivions toujours
7. Et personne n'aurait pensé que les ébats
Feraient le premier lien entre nos cœurs
8. Notre enfance heureuse est passée depuis longtemps
Dès notre première communion nous fûmes séparés
9. Elle fut envoyée à Briec, mise en pension
Moi j'allais avec mes parents de l'autre côté du canton
10. Mon père est meunier, il loua un nouveau moulin
Il me fit travailler et changer complètement de vie
11. Apprendre à aiguiser la meule, faire le garçon meunier
Ouvrir la porte des écluses, envoyer les sacs à la maison
Deuxième temps
12. Vint pour moi le moment de partir du pays
Jamais de ma petite sœur, je n'entendis plus parler
13. De ses parents non plus je n'entends plus parler
Sans que je puisse pourtant arriver à les oublier
14. À la fin de mes trois années de service, à la mi-août dernière
J'arrive chez mon père, joyeux, en chantant
15. Semblable à un passereau aux ailes libres
Qui en sortant de sa cage, chante et s'envole au loin
16. Allant peu après voir mes amis
Je me détourne de mon chemin sans autre prétexte
17. Comme si j'étais poussé à passer par le village
Dans lequel j'avais vécu mon temps le plus heureux
18. Les gens étaient en train de battre, achevant la récolte du blé noir
La machine tressaillait, on s'affairait des deux côtés
19. Mon petit cœur aussi s'accélérait
Tellement il sautait en s'approchant de la maison
20. - Bonne santé à vous Françoise. Est-ce que vous allez toujours bien ?
- Oui, si cela va aussi bien avec vous jeune homme.
21. Et peut-être avez-vous soif. Asseyez-vous un petit peu
Pour attendre que vienne ma mère qui est allée chercher du cidre.
22. Avec plaisir je m'assoirai, bien que je ne sois pas fatigué
Voici trois jours que je suis de retour de Saint-Denis
23. Et dans huit jours d'ici il y aura quatorze ans
Que j'étais assis à votre côté pour la dernière fois.
24. Vous avez tondu votre chevelure blonde et changé de ressemblance
Mais votre voix et votre parler sont toujours les mêmes.
25. Les jeunes plantes peuvent maintenant porter fruits et fleurs
Mais bientôt se lèveront des toiles d'araignée sur leurs tiges.
Annotations
- ↑ Billig, sf. : plaque épaisse circulaire en fonte d'une quarantaine de centimètres de diamètre pour faire cuire les crêpes. Du terme « pillig » signifiant poêle, nom féminin en breton, "billig" étant la forme lénifiée après l'article défini "ar" : « ar billig » Cette plaque, d'un diamètre variant généralement entre 33 et 50 centimètres, étaient posée autrefois (avant l'apparition de l'électricité ou du gaz dans les campagnes bretonnes) sur un trépied métallique sous lequel on enserrait de petits fagots de bois secs enflammés. [Terme BR] [Lexique BR]
- ↑ Jean Billon est natif de Balanoù en Ergué-Gabéric. Autodidacte, depuis de nombreuses années, il s'est formé au chant, qu'il soit dansé ("kan-ha-diskan" pour l'animation de fest-noz avec ses compère Christophe Kergourlay ou Guy Pensec) ou mélodique ("gwerz"), principalement en langue bretonne. Dans son répertoire on trouve notamment les chants de la chanteuse gabéricoise Marjan Mao, notamment « Ar Gemenerez hag ar Baron » et « Ar breur mager ». Fin juillet 2019, au concours de chants organisé par l'association Dastum à Quimper, il a été récompensé du 1er prix dans la catégorie Mélodie.
- ↑ La gabéricoise Marjan Mao a travaillé comme ouvrière pendant 41 ans à la chiffonerie de la papeterie Bolloré d'Odet. Née en 1902, elle a commencé à y travailler en 1920. Lors du centenaire de l'usine à papier de 1922, elle gagne la course à pied féminine. Ayant à son actif un rare répertoire de chants traditionnels, elle se prête au jeu d'un enregistrement de collectage par l'association Dastum en 1979. Elle est décédée en août 1988.
- ↑ Gwerz, au pluriel gwerzioù : « ballade, complainte », chant breton racontant une histoire, depuis l'anecdote jusqu'à l'épopée historique ou mythologique. Proches des ballades ou des complaintes, les gwerzioù illustrent des histoires majoritairement tragiques ou tristes. Ces chants populaires en langue bretonne se sont transmis oralement dans toute la Basse-Bretagne jusqu'au XXe siècle. [Terme BR] [Lexique BR]
- ↑ La maison De Kerangal (« ti De Kerangal ») était l'atelier de typographie d’Arsène de Kérangal, imprimeur de l’Evêché. D’une famille originaire des Côtes d’Armor, à 31 ans Arsène de Kérangal épousa en 1858 Mademoiselle Darnajou, fille d’un riche négociant en vins quimpérois. Il était alors employé aux Contributions indirectes. En 1862, Eugène Blot lui vendit son imprimerie. Abandonnant sa situation de fonctionnaire, De Kerangal devint alors rédacteur en chef des revues imprimées, notamment « L’Impartial du Finistère », journal fondé en 1846. Comme ses prédécesseurs, il devint l’imprimeur officiel du diocèse, « mouler an aotrou‘n eskop ». L’évêque, Monseigneur Sergent, lui confia en 1866 l’impression de la revue intitulée « Feiz ha Breiz » (« Foi et Bretagne »), destinée à une large diffusion, dans l’ensemble du Finistère. Sous la Troisième République, Arsène de Kerangal se rangea dans le camp des catholiques et royalistes convaincus. Il imprima une quantité énorme d’ouvrages de dévotion, catéchismes, cantiques, vies de saints, missels et de nombreux tracts en faveur de la monarchie. Toute sa vie, il lutta contre les idées des anti-cléricaux. Il céda son affaire à son fils aîné, pour assurer la continuité de l’entreprise, déjà vieille de plus de deux siècles.

