1941 - Demande au préfet d'un délai pour des impayés de fermage à Quillihouarn
En novembre 1941, François Divanac'h, agriculteur louant une ferme à Quillihouarn, menacé d'expulsion suite à impayés, implore l'indulgence du préfet Maurice Georges [1] pour pouvoir rester en activité.
Dans une lettre bien tournée, il présente la série des coups du sort qui s'est abattue sur lui depuis le début de la guerre ; et cela marcha si bien qu'en 1943 il était toujours à Quillihouarn, devant payer une amende aux occupants comme tous les agriculteurs de la commune.
Autres lectures : « 1940 - Le ravitaillement en fourrage de l'armée d'occupation » ¤ « 1943 - Amende communale pour insuffisance de livraison de beurre » ¤ « Braconneurs de bisons sur le plateau de Quillihouarn, Dépêche de Brest 1941 » ¤ « Quillihouarn, Kerlihouarn » ¤ « Géo.Quillihouarn » ¤ « Les mouvances des Régaires » ¤ « HÉVIN Pierre - Matières féodales et coustume de Bretagne » ¤
Nota : cette lettre n'est ni truquée, ni un poisson d'avril, contrairement peut-être à cette histoire de bisonnettes gravides abattues à Quillihouarn.
Présentation
L'argumentaire de l'agriculteur ne manque pas de toupet, voire de panache : « vraiment nous ne méritons pas ce qu'on veut nous faire » ; « ce n'est pas étonnant que je ne pouvais arriver à payer régulièrement avec toutes ces pertes ».
De même il force le trait en énumérant ses nombreux malheurs depuis 6 ans qu'il exploite sa ferme de Quillihouarn :
- Les débuts très difficiles, « J'ai eu du dur pour refaire cette ferme, il n'y avait pas de fourrages, pas de légumes, pas de fumier, mais pas un brin »
- Les nombreux décès de bétail, « j'ai perdu six très bonnes vaches laitières avec leur veau, une épidémie dans l'écurie, d'ailleurs le vétérinaire pourrait le certifier aussi, 23 porcelets et deux truies »
- Les injustes réquisitions de temps de guerre , « J'ai eu aussi un cheval de 5 ans réquisitionné pour la somme de 4.800, et pour le remplacer j'ai dû mettre 40.000 »
- Les problèmes familiaux, « j'ai aussi avec moi une fille qui attend un bébé bientôt, que deviendrons-nous tous, si vous nous mettez à la porte, que ferais-je de mon matériel et de mes bêtes, nous ne trouvons pas même à nous loger. »
Manifestement le conseiller du préfet n'accorde pas crédit à François Divanach. Et de plus le préfet Maurice Georges [1] n'apprécie ni les impertinences, ni les idées communistes : ses arrêtés du 4 janvier 1941 prévoyaient carrément « l'internement administratif des militants communistes » (cf coupure de l’Éclaireur du Finistère).
Et pourtant, François Divanach put rester à Quillihouarn, au moins jusqu'en mai 1943, car il fait partie de la liste des 165 agriculteurs de la commune qui devront payer une amende à la Kommandantur pour insuffisance communale de livraison de beurre à l'occupant.
Transcription
Lettre de François Divanach du 1er nov. 1941
Ergué-Gabéric le 1er novembre 1941
Monsieur le Préfet,
Veuillez s'il vous plait m'excuser si je vous écris ainsi, mais je viens implorer votre protection en vous suppliant de m'accorder un délai d'au moins une année.
Votre police spéciale est venue avant hier faire une enquête pour expulsion. J'ai tout réglé hier les 2000 fr que je restais à devoir pour complément de fermage, chez Mr Kerloch huissier et qui pourrait vous le certifier.
Depuis six ans que j'exploite cette ferme et qui était inhabitée, car le propriétaire avait vendu le fermier qui y était et aussi par le ministère de Mr Kerloch huissier. J'ai eu du dur pour refaire cette ferme, il n'y avait pas de fourrages, pas de légumes, pas de fumier, mais pas un brin. J'ai dû faire avec des engrais qui me coutaient alors et par surcroît j'ai été comblé de malchances. Depuis j'ai perdu six très bonnes vaches laitières avec leur veau, une épidémie dans l'écurie, d'ailleurs le vétérinaire pourrait le certifier aussi, 23 porcelets et deux truies.
J'ai eu aussi un cheval de 5 ans réquisitionné pour la somme de 4.800, et pour le remplacer j'ai dû mettre 40.000 ; cette année encore j'ai perdu un poulain, qui en ce jour aurait représenté une somme d'au moins 20.000 francs.
D'ailleurs Mr le Préfet je vous avais encore écrit en avril dernier pour réclamer la majoration qu'on m'avait accordée par la réquisition.
Ce n'est pas étonnant que je ne pouvais arriver à payer régulièrement avec toutes ces pertes, et pourtant nous travaillons durement, ma famille et moi ; j'ai aussi avec moi une fille qui attend un bébé bientôt, que deviendrons-nous tous, si vous nous mettez à la porte, que ferais-je de mon matériel et de mes bêtes, nous ne trouvons pas même à nous loger.
Je compte Mr le Préfet sur votre bonne indulgence pour nous sauver en nous accordant un délai, car vraiment nous ne méritons pas ce qu'on veut nous faire.
Suite de la lettre du 1er novembre
Je n'ai jamais été riche, ni favorisé par la chance, mais j'ai toujours été honnête et travailleur, partout où j'ai été j'ai fais de mon mieux mon devoir, personne ne pourra vous dire le contraire, je vous le dis en toute sincérité, et je ne demande qu'à travailler la terre ainsi que mes enfants, même s'il faudrait augmenter la location.
Que de reconnaissance je vous devrais Mr le Préfet su vous voudriez bien m'accorder cette faveur que je vous sollicite. Mais comment vous remercier ? suis-je digne de me présenter personnellement à votre cabinet. J'attendrais votre réponse et vous prie Mr le Préfet de bien vouloir agréer mes civilités les plus empressés.
Mr Divanach François
Agriculteur à Quillihouarn en Ergué-Gabéric, Finistère.
Lettre du préfet du 7 novembre
Préfecture du finistère. Etat français. Quimper, le 7 novembre 1941
Renseignements. Pour Monsieur le Préfet (Secrétariat Particulier)
Le Service possède un dossier concernant M. Divanach, d'Ergué-Gabéric.
L'affaire suit son cours.
L'enquête d'usage a été demandée au Commissaire le 22 Octobre dernier. Dès que les résultats nous seront parvenus, une décision sera prise et le secrétariat particulier tenu au courant.
A priori, il ne semble pas que M. Divanach soit un sujet intéressant. Ce dernier a reçu divers congés depuis trois ans et il a eu le temps nécessaire pour chercher à louer une nouvelle ferme. Le propriétaire assure que des termes sont restés impayés ; c'est vraisemblablement pour cette raison que le Tribunak a prononcé l'expulsion.
Je crois qu'il serait prudent d'attendre le rapport du Commissaire spécial, pour répondre à M. Divanach.
Le Chef de la 1ère Division (signature)
Originaux
- Archives Départementales du Finistère
- Série W - documents postérieures au 10 juillet 1940
Reférence, droit d'image :
- Cote ADF 200 W 221
- Usage public.
Annotations
- ↑ 1,0 et 1,1 Maurice Georges est préfet du finistère du 17/09/1940 au 23/12/1942. Il est connu pour ses positions anti-communistes, écrivant en avril 1941 : « Parmi les adversaires de la Révolution Nationale on peut distinguer : 1°) les communistes qui sont aussi actifs qu’irréductibles ... ». Pendand son mandat un camp de rétention de nomades et de tsiganes sera ouvert en octobre 1940 à Coray et fermé fin 1941.