1683 - Vente à la marquise de Sévigné de quelques terres gabéricoises et cornouaillaises

Un acte de vente entre Marie-Anne d'Acigné et Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné, pour annuler une dette de 60.000 livres, avec son rentier des terres concernées dans l'Evêché de Cornouaille.

Autres lectures : « 1696 - Déclaration du manoir de Keranmelin et autres par le marquis Charles de Sévigné » ¤ « 1510-1633 - Adveus de Keranmelin extraicts de l'inventaire de Kempercorantin » ¤ « 1644-1645 - Deux lettres de Guy Autret évoquant l'épistolière Marquise de Sévigné » ¤ « LEMOINE Jean - Madame de Sévigné, sa famille et ses amis » ¤ « Toponymie de Kerveil » ¤ « Plan de Kerveil » ¤ « 1758-1791 - Rentier de la Seigneurie de Kerjestin des Rohan-Guéméné » ¤ « 1536 - Réformation des personnes et des terres en Ergué-Gabéric » ¤
Présentation
On imaginait bien que des terres gabéricoises fussent un temps possédées par la marquise de Sévigné (1626-1696), née Rabutin-Chantal. Mais une confusion entre le manoir de Lanroz en Ergué-Armel et les terres de Penanros en Ergué-Gabéric avait généré une désillusion, car seul le premier avait été acquis par la marquise après le décès de son époux Henri de Sévigné (1623-1651). De plus, pour compliquer un peu les choses, un document a été inventorié (ADF A85) pour l'année 1633 avec un certain village de Keranmilin possédé par un certain Charles de Sévigné.
Mais en réalité le document publié in-extenso ci-dessous, daté du 6 août 1683, conservé aux archives nationales et découvert récemment totalement par hasard (cote MC/ET/LI/612), donne le détail des propriétés cornouaillaises, avec en annexe le rentier précis des revenus attendus pour chaque domaine et village concernés. Le « manoir » de Kerveil, orthographié « Keranmilin », en Ergué-Gabéric et ses mouvances de Kerjan, Niverrot et Kerveady y sont bien mentionnés comme intégrés au domaine de la marquise, ce au même titre que la seigneurie de Lanros et d'autres terres à Plomelin, Plonéour ... Tous ces biens sont acquis par la veuve Sévigné et ses deux enfants : Françoise épouse Grignan (1646-1705) et Charles (1648-1713).
Quelques années plus tôt, en 1644-45, Guy Autret évoquait la belle épistolière en ces termes depuis son manoir voisin de Lezergué : « les plus belles dames de la province & particulierement pour madame de Sevigné, aveq les reponces de la mesme dame & plus de 300 vers de sa façon & de son esprit, qui themoignent qu'elle a bon esprit et qu'elle est de tres belle humeur ».Sur le document de 1683, en fin d'acte et de l'état des revenus, les deux signatures de Marie de Rabutin Chantal authentifient la nouvelle propriétaire des terres cornouaillaises.
La vendeuse est Marie-Anne d'Acigné, séparée de son époux Jean-Léonard, héritière de GrandBois, qui, par cette vente, annule sa dette vis-à-vis de la marquise se montant à « quatre vingt mil livres ».
Nous ne savons pas comment la famille d'Acigné de la Roche-Jagu et de Grand-Bois en Landebaëron est devenue propriétaire des manoirs de Lanros et de Keranmilin/Kerveil. Le domaine de Kerveil était auparavant, aux 15e et 16e siècles, une extension des biens nobles des Tréanna installés à Botbodern en Elliant. Ces derniers ont transmis ces biens à d'autres, peut-être directement à la branche des Grand-Bois qui possédaient déjà d'autres biens gabéricois en 1441.
La configuration du domaine de Kerveil est décrite dans la liasse dite A85 des extraits d'aveux du 16e siècle, avec les quatre ou cinq mouvances de villages payant des rentes et droits de succession au seigneur de Kerveil [1].
Dans cette même liasse A85, on découvre aussi qu'en 1633 le domaine est déclaré par Charles de Sévigné. Ce dernier pourrait le beau-père de la marquise qui décédera en 1635 avant le mariage de son fils Henri. Mais il est plus probable que la date de 1633 est erronée, et plus vraisemblablement ce serait la déclaration de vente faite au nom du fils Charles pour lequel la marquise a acquis toutes ses terres qu'elle désignait dans ses lettres comme « les terres de Mme d'Acigné ».
Les terres du domaine et du manoir de Keranmilin/Kerveil sont listées dans le rentier de 1683, à savoir les villages de Kerjan (aujourd'hui Keryann), Niverot, Kervernich (Kervernic) et Kerveady. Les revenus annuels et en part de récoltes sont détaillés. Le manoir de Kerveil générant 30 livres par an représente environ 15% du revenu du château plus important de Lanroz. Le village du Niverrot paie aussi une rente en argent,
Les quatre villages doivent annuellement quelques boisseaux « combles » de froment (« scandihl » [2] pour le Niverrot, c'est à dire "barbu") , de seigle et d'avoine, sans oublier un autre impôt proportionnel sur les récoltes (« champart » [3]) et les corvées. L'ensemble du domaine de Kerveil est déclaré « fief du Roy soubs Quimper » contrairement à Lanroz « fief des regaires » [4] qui est sous l'égide du Seigneur Evêque.
Marie Raputin-Chantal et son fils ne sont jamais venus sur leurs terres cornouaillaises qui n'étaient qu'objets de spéculations financières. Certes ils faisaient des séjours dans leurs autres résidences luxueuses de Bretagne, notamment dans le château des Rochers-Sévigné, mais on peut douter que la précieuse épistolière ait compris le quotidien de ces tenanciers et paysans, à la lecture de l'une de ses lettres : « Vous savez qu'on fait les foins. Savez-vous ce que c'est que faner ? Il faut que je vous l'explique : faner est la plus jolie chose au monde, c'est retourner le foin en batifolant dans une prairie ; dès qu'on en sait tant on sait faner ».
Transcriptions
Acte de vente
Vente à laquelle sont annexés un acte d'autorisation et un estat
6 aoust 1683
Rentier par communes et villages
Pages 4-5 Ergué-Gabéric
Keramellin paroisse d'Ergué Gaberic
fief du Roy soubs Quimper
Le manoir de Kerammelin tenu par Francois Gros pour en paier par argant : 30 livres tournois [6]
Froment : 6 combles [7]
Seigle : 8 combles [7]
Avoine foullé : 10 combles [7]
Chappons : 6 chappons [8]
Corvée, champart [3]
Le village de Kerjan tenu par Marc et Guillaume Legal pour en paier par froment : 6 combles [7]
Seigle : 8 combles [7]
Avoine foullé : 6 combles [7]
Chappons : 2 chappons [8]
Corvée, champart [3]
Le Niverot possesté par le sol pour paier par argant : 15 livres tournois [6]
Froment scandilh [2] : 6 combles [7]
Seigle : 6 combles [7]
Avoine foullé : 6 combles [7]
Chappons : 4 chappons [8]
Corvée, champart [3]
Au dit tenu par Guillaume Le Barvet pour en paier par argant : 9 livres tournois [6]
Froment : 3 combles [7]
Seigle : 3 combles [7]
Avoine : 3 combles [7]
Chappons : 1 chappons [8]
Corvée, champart [3]
Kervernich tenu par Nouel et Allain Gueschaud et Martin Leguen pour en paier
par froment : 7 combles [7]
Seigle : 12 combles [7]
Avoine : 10 combles [7]
Chappons : 4 chappons [8]
Corvée, champart [3]
Le village de Kerveady tenu par Jacques Daniel et Guillaume Le Poupon et Ambroise Gillard pour en paier
par froment : 7 combles [7]
Seigle : 8 combles [7]
Avoine : 8 combles [7]
Corvée, champart [3]
Documents originaux
Lieu de conservation :
- Archives Nationales, site de Paris.
- Cote MC/ET/LI/612.
Usage, droit d'image :
- Licence ouverte de réutilisation des données publiques.
- Décret n° 2017-638 du 27 avril 2017.
- Acte de vente
- Etats des revenus
Annotations
- ↑ Sur la base de la liasse A85, Norbert Bernard a également amorcé l'étude de la configuration du domaine de Kerveil avec ses mouvances attachées (Kerjan, Kerveady ...) dans son mémoire d'étude et de recherches (« Chemins et structuration de l'espace en Cornouaille du Ve siècle à la fin du XVIIe siècle. Exemples autour de la commune d'Ergué-Gabéric »)
- ↑ 2,0 et 2,1 Scandihl, adj. : variété de froment cultivée autrefois, « gwiniz skandilh » ; également appelé « ed barvok » (blé barbu) ; source : Le vocabulaire breton de la ferme, Pierre Trépos, Annales de Bretagne, 1961. Grégoire de Rostrénen : « gwiniz scandilh » (froment blanc). [Terme] [Lexique]
- ↑ 3,0 3,1 3,2 3,3 3,4 3,5 3,6 et 3,7 Champart, s.m. : redevance seigneuriale, proportionnelle à la récolte. Droit féodal qu'a le seigneur de lever une partie de la récolte de ses tenanciers ; [¤source : Dictionnaire du Moyen Français]. [Terme] [Lexique]
- ↑ 4,0 et 4,1 Régaires, s.m.pl. : administration en charge du domaine temporel d'un évêque, propriétaire et seigneur, au même titre que l'aurait été n'importe quel noble propriétaire d'un fief avec justice. Le plus souvent, ils provenaient de donations anciennes faites au cours des âges par des féodaux, qui souhaitant sans doute s'attirer des grâces divines ou se faire pardonner leurs péchés, avaient doté l'église de quelques fiefs avec les revenus en dépendant. Source : amisduturnegouet sur free.fr [Terme] [Lexique]
- ↑ Gardenotes, s.m. : qualité qui se joignait autrefois à celle de notaire. « Notaire garde-note du roi au Châtelet de Paris ». Aujourd'hui, dans le langage familier et par pure plaisanterie, notaire (dict. Littré). [Terme] [Lexique]
- ↑ 6,0 6,1 6,2 6,3 6,4 6,5 6,6 et 6,7 Tournois, thournois, adj. : désigne la monnaie de l'Ancien Régime frappée en argent, un sol valant un vingtième de la livre tournois. Le sol est lui-même subdivisé en 12 deniers. La livre tournois fut d'abord utilisée avant le 13e siècle à l'abbaye de Saint-Martin de Tours où l'on frappait des deniers dits "tournois". Source : Wikipedia [Terme] [Lexique]
- ↑ 7,00 7,01 7,02 7,03 7,04 7,05 7,06 7,07 7,08 7,09 7,10 7,11 7,12 7,13 7,14 7,15 7,16 7,17 et 7,18 Comble, s.f. et adj. : mesure de capacité pour les grains, probablement la mine comble, c'est-à-dire 6 boisseaux ; source : Dictionnaire Godefroy 1880. En région quimpéroise le terme comble est plutôt donné comme équivalent d'un grand boisseau comble, par opposition à un simple boisseau ras. Soit précisément 67 litres pour le froment, 82 pour le seigle, et 80 pour l'avoine [¤source : Document GT de 1807]. La comble se distincte de la raze ; le terme est utilisé aussi comme adjectif pour préciser que la hauteur en son milieu dépasse le bord de récipient de mesure, par opposition à l'adjectif "rase". [Terme] [Lexique]
- ↑ 8,0 8,1 8,2 8,3 8,4 et 8,5 Chapon, s.m. : jeune coq chatré. Source : Dictionnaire du Moyen Français. Utilisé comme moyen de paiement de rentes ou redevances. [Terme] [Lexique]
- ↑ Pourpris, s.m. : enceinte, un enclos et parfois une demeure, dans la France de l'ancien régime, et par métonymie l'espace ainsi entouré, c'est-à-dire le jardin. La réalité désignée dépasse celle d'un simple jardin en ce qu'elle recouvre les différents éléments d'un domaine physiquement bien délimité et fermé (mur, fossé, etc.). [Terme] [Lexique]
- ↑ Courtil, curtil, s.m. : jardin potager. Du bas latin cohortile, dérivé de cohors (voir Cour). Jardin, cour, enclos (Dictionnaire de l'Académie). [Terme] [Lexique]
- ↑ Rabine, s.f. : allée de grands arbres plantés sur l'avenue d'une maison de noblesse et de quelque monastère ; source : Dom Pelletier. Ce mot existe en breton avec la même prononciation ; source : dictionnaire gallo de cc-duguesclin. [Terme] [Lexique]
