Recueil des bretonnismes de Jean-Marie Déguignet
Inventaire et analyse des bretonnismes utilisés par Jean-Marie Déguignet dans ses écrits et publications, à savoir l'édition 2001 de « l'Intégrale des Mémoires d'un paysan bas-breton » et les autres tirés à part [1].
L'étude s'appuie sur les ouvrages bien connus d'Hervé Lossec, mais également sur les articles parus en 1909-1910 dans les Annales de Bretagne sur « le parler populaire de Quimper », sans oublier les travaux linguistiques de Mélanie Jouitteau [2] et de Jean Le Dû (« Du café vous aurez ? », Emgleo Breiz).
Le repérage des termes d'antan et expressions fleuries de Jean-Marie Déguignet est loin d'être achevé. Toute aide est la bienvenue, signalez nous les mots trouvés (avec n° de page), les corrections et explications complémentaires ...
Autres lectures : « Lexique de bretonnismes repérés dans les mémoires et archives gabéricoises » ¤ « L'invention des légendes de l'Ankou selon Jean-Marie Déguignet » ¤ « LOSSEC Hervé - Les Bretonnismes » ¤ « Bretonnisme du payot » ¤ « KERVAREC Henri - Le parler français de Quimper » ¤ « Etude de Mélanie Jouitteau sur les Bretonnismes »
Définition des bretonnismes
Wikipedia définit comme suit le néologisme introduit par l'ouvrage d'Hervé Lossec : « Un bretonnisme désigne une tournure propre à la langue bretonne passée dans la langue française. Il peut s'agir alors d'une forme grammaticale traduite mot à mot et qui peut choquer certains francophones ou d'un mot breton passé dans le français local ».
La question est donc posée : quels sont les bretonnismes que le paysan bas-breton a empruntés à sa langue et culture maternelles ?
Tout d'abord excluons les citations et proverbes bretons dont généralement l'auteur donne la traduction en français, car ne constituant pas des bretonnismes, tout comme les autres citations en langues étrangères (latin, italien, occitan ...) peuvent attester de ses connaissances linguistiques.
Par contre on trouvera ici une tentative de classification de ses bretonnismes, à savoir :
- Les tournures particulières de phrases en langue française dont les constructions sont inspirées par une expression typique bretonne, ou alors contenant une forme complètement francisée d'un mot breton.
- Les mots bretons communs que Déguignet a inclus dans une phrase en français, ne connaissant sans doute pas le terme français, et pensant que les lecteurs ne pouvaient que comprendre.
Dans les textes de Déguignet, les mots de la seconde catégorie, à savoir les termes bretons insérés dans une phrase, sont plus fréquents et répétés que les expressions de la première catégorie. En tant qu'autodidacte dans l'apprentissage des langues, le narrateur évite les tournures françaises calquées sur des expressions bretonnes. On en trouve néanmoins quelques-unes très typiques, et notamment dans certains dialogues.
Tournures de phrases, ou mots francisés
Les 800 pages de l'Intégrale des Mémoires de Jean-Marie Déguignet sont écrites en grande partie dans un français très correct, voire académique. De temps à autres, on reconnait une expression fleurie inspirée du breton, car ne l'oublions pas, la langue maternelle et de conversation quotidienne de l'auteur n'était pas le français.
2.1 « tours de physique »
IT, p 337 : « On voulut que je fisse encore quelques tours de physique très en vogue en ce temps-là ».
Il s'agit de tours de magie. Le breton « fuzik », du français « physique », a le sens de magie. « Troioù fuzik » : tours de magie. À rapprocher du mot « termaji », altération du terme français « lanterne magique » (l’ancêtre du cinéma) pour désigner les bateliers ou forains.
2.2 « avoir » et forme passive
IT, p 69 : « elle croyait qu'au lieu de mendier j'avais resté jouer ».
IT. p 85 : « Non, répondait un autre, c'est toi qui a été pour moi, peut-être ? ».
IT. p 390 : « Je trouvai la plupart de ceux qui avaient passé chez moi la veille. ».
En breton le verbe « être » (bezañ) peut aussi prendre le sens de « avoir » [3] en fonction de la préposition qui suit, d'où les confusions en français entre les deux verbes. De plus la forme passive est très usitée en breton où on exprime le résultat de l'action plutôt que son déroulement.
L'expression « j'ai été » peut être considérée comme la traduction de me zo bet alors le verbe aller dans « je suis allé » s'imposerait en français standard. Mais cet emploi « avoir été » est aussi largement attesté en français familier.
2.3 « un/le monsieur »
IT, p 126 : « En ce temps-là, il était venu un monsieur à Kerfeunteun comme professeur d'agriculture, pour apprendre aux Bretons l'art de cultiver la terre »
IT, p 127 : « Malgré que le monsieur ne pouvait me parler, il me faisait entendre que je lui convenais assez bien »
IT, p 128 : « Le monsieur faisait l'école au Likès de Quimper en ce qui concernait l'agriculture [...] La dame venait tous les soirs dire les grâces »
IT, p 137 : « Je m'attendais le lendemain matin à recevoir un savon de monsieur et de madame ».
Le terme respectueux « le monsieur » inspiré du « an Aotrou » désigne un maitre, une personne au rang social élevé, et « la dame » est son équivalent féminin « an Intron ».
2.4 « friter en amour »
IT, p 363 : « Nous n'avions pas eu le temps de fliter, ou de friter en amour, comme on dit en breton »
Friter en amour, exp. : traduction littérale de « fritañ ar garantez ». Le verbe fritañ signifie frire, claquer, gaspiller, dépenser exagérément. [Terme BR] [Lexique BR]
2.5 « des camots et demi-camots »
IT, p 326 : « Lesquels étaient remplis de gens buvant des camots et demi-camots, c'est-à-dire de l'eau noircie mêlée de la plus mauvaise eau-de-vie »
Camot, kamo : café mêlé d'eau-de-vie, faux bretonnisme issu du gallo « mikamo », ou « micamo, usité en Trégor et Penthièvre. Dictionnaire askoridik, café avec de l'eau-de-vie : « (arg): Pierig paregzañp, Mikamo (?) ». Mon canepin de Galo, de Galoromaen, un mic ou un micamo : « café arrosé d’eau-de-vie ». Dans un billet du blog ecoutesiilpleut, l'expression « Passez donc prendre un mic ! » utilisée en Mayenne fait aussi référence à un "mic" désignant un café, accompagné ou non de goutte. [Terme BR] [Lexique BR]
2.6 « gallegant »
IT, p 416 : « Mon commis, qui ne savait pas un mot de français, blaguait avec les Bretons non gallégants ... ».
Gallégant : parlant français. Du breton « galleg » (langue française), néologisme de J.-M. Déguignet signifiant « francisant ».
2.7 « donner »
IT, p 95 : « légende purement bretonne celle-là, ainsi que celles que je vais donner ici ».
RP, ch IX : « Moi, je vais vous donner de la vraie histoire ».
Le verbe « rein » en breton a un sens plus large que « donner », et peut signifier « dispenser, prêter, s'adonner ». On le retrouve dans de nombreuses expressions triviales comme « rein an arnodenn » (se présenter à un examen), « reiñ da arvestal » (se donner en spectacle), ...
2.8 « envoyer »
IT, p 155 : « Vous avez l'habitude d'avoir des clients payants, je vous envoie un ici qui ne payera pas, du moins son lit ».
IT, p 283 : « Embêtés par ces cavaliers qui venaient presque sous nos yeux nous narguer et nous envoyer quelques projectiles en passant ».
IT, p 578 : « Les juifs, les protestants, les fracs-maçons et les libres-penseurs qu'il aurait envoyé tous dans son enfer ».
RV, p 21 : « Elle était venue avec son fils aîné envoyer une barrique de cidre ».
En Bretagne on « envoie » tout .... du fait d'une traduction simplifiée des verbes « kas » (exprimant un mouvement vers l'extérieur et son contraire « degas » (mouvement vers soi). Ces deux verbes ont en fait un sens très large et couvrent tout le champ sémantique constitué en français par conduire, mener, amener, emmener, porter, apporter, emporter, envoyer, expédier.
2.9 « avec »
IT, p 118 : « Celui-ci la laissa monter et traversa avec toute la commune d'Ergué-Gabéric ... ».
IT, p 160 : « Il avait gardé avec lui ma solde et mon pain ... ».
RV, p 34 : « Avec ça les grands bandits, canailles et voleurs peuvent continuer ».
IT, p 393 : « Le facteur arriva juste en ce moment et qui avait avec lui les résultats de tout le département. ».
Derrière les nombreuses prépositions « avec » [4], on croit souvent entendre bien le fameux « gant » qui, en breton, est le complément passe-partout de toute forme passive. On n'est pas loin de la phrase fétiche « j'espère que ça va bien avec vous ».
2.10 « gouapeurs »
IT, p 374 : « Les bretons, étant menteurs, blagueurs, trompeurs, gouapeurs ... ».
Goaper, sm : terme d'argot peut signifier en langue française « vaurien, coupe-jarets », et provenir du mot espagnol « guapear » (faire le brave). C'était le nom donné à Paris aux vagabonds sans domicile, sans travail, et qui cherchaient des occasions de vol. Mais il est plus vraisemblable qu'il vienne ici d'un mot breton « goaper » qui veut dire « moqueur ». Charles Armand Picquenard dans son article « Le parler populaire de Quimper » publié dans Annales de Bretagne cite en 1911 ainsi ce terme : « Goape, goapeur : moqueur ». En breton gwapaer / goapaer », « hennezh zo goapaer ». [Terme BR] [Lexique BR]
2.11 « ramasser »
IT, p 335 : « Il y avait même "grande journée", ce jour-là pour ramasser des pommes ... ».
RP, ch X : « Dans l’espoir de ramasser quelques pièces de vingt francs à la suite des armées ».
RP, ch VI : « À la première alarme, il fallait se dépêcher de ramasser ses effets, de mettre tout sur le dos, armes et bagages ».
RV, p 22 : « Il y avait grande journée à la ferme ce jour-là, à ramasser des pommes ».
RP, ch XV : « Le lendemain, nous fûmes obligés de ramasser nos bagages pleins d’eau ».
Le verbe ramasser est employé à toutes les sauces en lieu et place de « ranger, rentrer, cueillir ». A l'école on entend toujours : « Maintenant, ramassez vos cahiers ». Pas totalement incorrect mais surprenant.
2.12 « extrémiser »
IT, p 401 : « Elle pensait sans doute, en me faisant extrémiser par ce jeune fripon tonsuré, acheter les crimes qu'elle avait commis envers moi ».
Extrémiser : Donner l'extrême-onction. Source : Émile Littré, Dictionnaire de la langue française (1872-77), avec cette précision : Mot de la Bretagne.
Cité également comme une expression de Quimper et ses environs collectée par Corentin Ollivier (Revue du Pays de Quimper, numéro 1, http://www.bagadoo.tm.fr/kemper/parler.html). Aux halles : « Ils sont morts vos crabes, Henriette ! Morts ? Celle-ci est pas bien ! Regardez donc, ils sont tout à faire du bourboul ! Tout de même ! Pas morts, je vous dis, extrêmisés ! ».
2.13 « fricot »
IT, p 110 : « le jour de ce grand fricot, en l'honneur de l'aire neuve ... ».
IT, p 344 : « visite obligatoire avant les fiançailles, et qui donne ordinairement lieu à un fricot extraordinaire ».
IT, p 345 : « Le dîner, le fricot des fiançailles, était prêt depuis longtemps ... ».
IT, p 363 : « bientôt la noce recommença, c'est ce qu'on appelle en breton an dilost fricot (retour de noce) ».
IT, p 415 : « chez les paysans bretons, il n'y avait jamais de fricot sans lendemain, qu'on appelle en breton dilost ar frico ».
Le Larousse donne la définition « Fricot, sm. : de fricasser, familier, viande et légumes mélangés et grossièrement cuisiné ». En breton, « friko » signifie sans valeur péjorative « repas de noce ou de fête ». C'est ce dernier sens qui est utilisé ici.
2.14 « couriquet, crieur de nuit »
IT, p 113 : « C'était les lutins, les couriquets, les crieurs de nuit ... ».
IT, p 130 : « on ne l'entendait jamais causer que de lutins, de couriquets, de revenants et des conjurations ».
RP, ch II : « Mon père voyait aussi très souvent, surtout aux croisements de chemins, de petits lutins, des « courigans » ou « couriquets », qui lui jouaient de vilains tours ».
IT, p 332 : « Ces crieurs de nuit (hoper noz) sont des enfants morts sans baptême et qui doivent rester errer ainsi jusqu'au jugement dernier ».
La langue bretonne connaît un très grand nombre de mots pour désigner le petit peuple : « kornikaned », « koril », « korrig », « kriore », « kannerez noz », « teuz », « hoper noz », « boudic » et « bouffon noz », mais aussi « duz », « komaudon », « korandon », « kormandon », « kerion », « ozegan », ou encore les termes à la prononciation francisée « boudiguets », « farfadets », « poulpiquets », « courils », « formiquets », « chorriquets » ou « couriquets ». Au fil du temps, toutes ces petites créatures jadis distinctes sont venues à être désignées sous l'unique nom de « korrigan » (du breton korr, nain, suivi du diminutif ig et du suffixe an, et au pluriel « Korriganed »), signifiant « petit nain ».
2.15 « grande journée »
IT, p 335 : « Il y avait même "grande journée", ce jour-là pour ramasser des pommes ... ».
RV, p 22 : « Il y avait grande journée à la ferme ce jour-là, à ramasser des pommes ».
Dans les phrases ci-dessus, notons également l'expression « grande journée », pour « devezhioù bras » qui désignaient les jours de grands travaux dans les fermes.
2.16 « derrière »
IT, p 40 : « Avec une corde on reliait cette corne à un des pieds de derrière de la vache ».
En breton on dit bien : « ouzh troad a-dreñv ar vuoc’h. ». Les confusions entre « arrière » et « derrière » sont fréquentes car le breton n'utilise que le seul mot « a-dreñv ».
2.17 « tirer »
IT, p 42 : « Je tire la malédiction de Dieu sur toi et sur tout ce que tu as ».
IT, p 42 : « au nom de Dieu retirez la malédiction dessus nous ».
En français standard on écrirait « j'attire la malédiction sur toi », mais en breton on dit « me 'denn mallozh Doue warnout ». Le verbe « tennañ » (tirer) s'utilise dans un sens bien plus large qu'en français, notamment pour dire enlever, ôter, prendre, arracher ... . On tire des photos comme les patates, et ses chaussures !
2.18 « toque »
IT, p 42 : « Ma mère et d'autres femmes attribuèrent cette suppuration à ce que je n'avais pas eu la toque dans mon enfance ».
Non, il ne s'agit pas d'un chapeau ! Le terme vient du mot breton « tokenn » désignant la croûte de lait sur la tête des enfants.
2.19 « multiple négation »
IT, p 40 : « car il n'y avait nulle part aucun chemin pour en approcher ».
IT, p 330 : « Car il n'y a pas au monde aucune société de bipèdes ».
IT, p 775 : « Pas un d'eux n'a vu, ni connu absolument rien de cette affaire Dreyfus ».
Négations, expr. : l'emploi de multiples négations est un des traits distinctifs du français de Basse Bretagne. En breton, plusieurs éléments négatifs peuvent cohabiter et décliner les termes « nemed », « ket », « ken », « netra », « ebet », « nemeur ». Soit par exemple "il n'y avait nulle part aucun chemin", « Ne oa hent ebet neblec'h ». Mélanie Jouiteau, dans ses études sur les bretonnismes, cite un exemple gabéricois extrait d'une interview de Marjan Mao de Stang-Odet : « Oui des fois il y avait un an j'allais pas aucun jour à l'école ». [Terme BR] [Lexique BR]
2.20 « tableaux »
IT, p 77 : « et puis un explicateur des tableaux effroyables où l'on voyait les damnés en enfer enfourchés et embrochés par les diables noirs à cornes de vaches, à longues queues ».
IT, p 77 : « Et ce curé nous expliquait tout ça avec une baguette, en tapant sur ces tableaux comme font les saltimbanques devant leurs baraques ».
Tableaux, taolennoù, s.m.pl. : tableaux de mission, traduits du breton « Taolennoù ar mission », illustrations destinées à l’enseignement de la religion et à l’évangélisation. Créés au 17e siècle par le jésuite d'Hennebont Vincent Huby, et par le prédicateur plougonvelinois Michel Le Nobletz, et popularisés par le père Julien Maunoir. Ces tableaux représentant généralement les péchés capitaux et les mauvaises conduites à éviter ont été utilisés jusqu'au milieu du 20e siècle. [Terme BR] [Lexique BR]
Termes communs bretons, sans francisation
Les nombreux mots bretons insérés dans des explications de Déguignet sont évidemment dus au simple fait que l’auteur n’a pas de termes équivalents français, que ce soit à l’écrit et encore moins à l’oral.
3.1 Ankou « l'annonceur de mort »
IT, p 33 : « nous verrons comment ont été fabriquées les légendes du karr ann ankou (la charrette de la mort) sur laquelle on a fait tant de récits contradictoires. ».
IT, p 96 : « la légende de l'Ankou vient de la même source que toutes les légendes bretonnes, c'est à dire des missionnaires chrétiens et des prêtres catholiques, leurs successeurs ».
IT, p 124 : « ces bonnes femmes s'étaient trompées, ou l'Ankou les avait trompées, car je ne mourus pas ».
Ankou, Ankoù, sm. : bretonnisme, l'Ankou, traduit du breton « an Ankoù », est le serviteur de la mort en Basse-Bretagne ; son rôle est de récupérer dans sa charrette grinçante (karr / karrik an Ankoù) les âmes des défunts récents. On le représente comme un squelette revêtu d'un linceul, ou un homme grand et très maigre, les cheveux longs et blancs, la figure cachée par un large feutre et tenant à la main une faux qui diffère des faux ordinaires, en ce qu'elle a le tranchant tourné en dehors. L'Ankoù est parfois — à tort — confondu avec le diable, très présent par ailleurs dans la mythologie bretonne. Anatole Le Bras a popularisé l'Ankoù par la publication de sa "Légende de la Mort". Le mot est masculin en breton ; selon Dom Le Pelletier il serait à l'origine le pluriel de « anken » qui désigne l'angoisse, la peine. Arzel Even (revue Ogam, 1950-53) propose une autre étymologie : « nk » représente l'état réduit de la racine « nek » (périr) (nekros en grec, et nec, necare en latin). [Terme BR] [Lexique BR]
3.2 Chupen « veste courte »
IT, p 36 : « j'eus mon habillement neuf comme on me l'avait promis, c'est-à-dire un pantalon en toile, un chupen, et un chapeau ».
IT, p 110 : « en même temps, il saisit ce sorcier par le coin de son chupen ».
IT, p 112 : « des chupens verts brodés de fils tricolores ».
IT, p 114 : « pour tant que son beau chupen du dimanche et son chapeau ... ».
IT, p 144 : « son esprit à elle se haussait plus haut que le pourpoint, le chupen, et se baissait plus bas que le haut-de-chausses, le bragou », (adaptation d'un passage des Femmes savantes de Molière).
Chupenn, chupen, sf, pluriel chupennoù : veste courte pour homme, veston, pourpoint (Wiktionary). Emprunté du breton, le terme est devenu du genre masculin en parler quimpérois (C.A. Picquenard). Au sens figuré le terme peut avoir la même connotation que l'expression française de « tailler une veste ». [Terme BR] [Lexique BR]
3.3 Paotr-saout « garçon vacher »
IT, p 94 : « Ceux-ci surtout étaient souvent les pire à faire toutes sortes de misères au malheureux potr saout ».
IT, p 127 : « Le journalier, potr saout, couchait à l'étable, car tel était l'ordre de monsieur ».
IT, p 142 : « On avait enfin trouvé un autre potr-saout pour me remplacer ».
IT, p 853 : « Il n'aura jamais rendu autant de services à l'humanité que dernier pot saout de son pays ».
De « paotr » pour le garçon, et « saout » pour les vaches, soit donc le garçon vacher. À noter que lorsque le métier de surveillance des troupeaux de vaches fut assuré par des clôtures électriques, celles-ci étaient appelées « paotr-saout electrik ».
3.4 Ma Doue benniget « mon Dieu béni »
IT, p 620 : « On sait quels furent l'honneur, la gloire et le bonheur qu'ils en tirèrent, ma Doue beniguet ».
IT, p 696 : « Eh ! Ma Doue beniguet, il auraut pu écrire 750 pages sans en être plus avancé ».
IT, p 841 : « Quelle guerre, ma Doue beniguet, sur terre et sur mer, toute la planète en feu, quoi ! ».
IT, p 834 : « 6 milliards, Ah ma Doue beniguet ».
IT, p 853 : « Oh ma Doue beniguet, comme on serait reçu ! ».
IT, p 848 : « Les autres ? Ma Doue Beniguet ! Je les vois par ici ; j'en vois des vieux qui n'ont rien oublié, n'ayant jamais rien appris ».
IT, p 851 : « Ah ! ma Doue béniguet ! Comme ça doit encourager les professeurs à donner des leçons d'histoire à la jeunesse ».
« Va Doue », ou « ma Doue » pour les non Léonards, c'est sans doute le bretonnisme dont Déguignet use le plus. Notez l'absence d'accentuation sur le E breton qui se prononce é ou è suivant le cas. Correspond à « mon Dieu ! » et marque, tout à la fois, la surprise, l'étonnement, la pitié, le regret. Très souvent suivi de benniget (béni).
3.5 Pilhaouer « chiffonnier »
IT, p 41 : « D'autres cherchant des chiffons et des pilloyers ».
IT, p 562 : « J'ai donné toutes mes pauvres chemises au nombre de quatre qui ne tenaient plus, à un pilaouer pour 50 centimes ».
Du breton « pilhoù » (chiffons), « Pilhaouer » : chiffonnier.
3.6 Lamm kein « chute sur le dos »
IT, p 582 : « Sans avoir pu, comme on dit en breton, me donner un véritable lamkeign, faire toucher les reins et les épaules ».
« Lamm kein » : prise de lutte bretonne, qui consiste à faire chuter (lamm) l'adversaire sur le dos (kein). Cette prise assure la victoire.
3.7 Kaoc'h « merde »
IT, p 805 : « Une mère morte dans une ruche peut être remplacée par un épi de seigle trempé dans coc'h pimoc'h ».
IT, p 505 : « Ce sont là des mots et des phrases que les journaux opportuno-Koc'hki approuvèrent en ce temps-là ».
« Kaoc'h pemoc'h » : merde de cochon. « Kaoc'h ki » : merde de chien.
3.8 Gwerz « complainte »
IT, p 111 : « Il y avait même un cantique ou gwers à ce sujet ».
IT, p 134 : « Cette gwers de Ker Ys fut achetée pour moi, car de tous les serviteurs de Kermahonec, moi seul savait lire le breton ».
La « gwerz » (pluriel gwerzioù), signifiant « ballade », « complainte », est un chant racontant une histoire, depuis l'anecdote jusqu'à l'épopée historique ou mythologique. Les gwerzioù illustrent des histoires majoritairement tragiques ou tristes.
3.9 Louzoù « médicaments »
IT, p 60 : « Nous voulons frotter le dos de notre cheval contre les parois intérieures de la cheminée, qui sont couvertes de ce bon louzou (remède) ».
Emprunté directement au breton, signifiant à l'origine « mauvaises herbes et simples, plantes médicinales ».
3.10 Gast « putain »
IT, p 673 : « Oh ! gast non par exemple ».
IT, p 668 : « Je me disais à moi-même. " Gast, on continuera toujours et partout de me traiter de gamin" ».
IT, p 146 : « Pas moyen de trouver une seule sainte née en Bretagne. "Eh ben, gast avat !, c'est de plus en plus fort" ».
IT, p 829 : « Il ne serait pas possible d'avoir un meilleur gouvernement. O nan gast a vat ».
«Gast ! » : putain ! Juron très connu. Suivi quelquefois de « a vat » : alors, pour de bon.
3.11 Penn-Bazh « bâton »
IT, p 69 : « commandant aux pauvres femmes transies de peur, de leur donner à manger ou gare le penbas ».
IT, p 668 : « Ils n'auraient même pas besoin d'armes, avec des triques et des pen bas ».
IT, p 681 : « Ne viennent prêcher le peuple travailleur et les pousser à prendre des pen-bas, des triques et des balais pour jeter aux égouts toutes ces pourritures ».
IT, p 750 : « Tandis que 20 de leurs aïeux avec leurs pen-bas auraient dispersé et assommé 4000 gendarmes ».
« Penn-bazh » : bâton de marche qui servait d'arme à l'occasion. Littéralement bout de bâton, désigne le gourdin, à la fois utilitaire, défensif et décoratif qui ne quittait jamais les paysans cornouaillais dans leurs déplacements au 19e siècle. Taillé dans le buis, il présentait à l'une des extrémités un gros nœud de bois garni de clous et à l'autre bout, une lanière permettant de le faire tourner.
3.12 Penn-Ty « bout de maison »
IT, p 31 : « Il trouva enfin à louer un penn-ty au Guelenec, en Ergué-Gabéric, et pouvait aller en journée chez les fermiers où il gagnait de huit à douze sous par jour ».
IT, p 56 : « Celui-ci, pour être fils d'un pauvre pen-ty, était assez intelligent. [...] Dans leur pen-ty, il n'y avait rien que quelques poules et un vieux coq ».
Littéralement « bout de maison », désignant les bâtisses, composées généralement d'une seule pièce, où s'entassaient avec leur famille les ouvriers agricoles et journaliers de Basse-Bretagne. Source : Revue de Paris 1904, note d'Anatole Le Braz [5].
Pennty, penn-ti : littéralement « bout de maison », désignant les bâtisses, composées généralement d'une seule pièce, où s'entassaient avec leur famille les ouvriers agricoles et journaliers de Basse-Bretagne (Revue de Paris 1904, note d'Anatole Le Braz). Par extension, le penn-ty est le journalier à qui un propriétaire loue, ou à qui un fermier sous-loue une petite maison et quelques terres, l'appellation étant synonyme d'une origine très modeste. [Terme BR] [Lexique BR]
3.13 Rastell « râtelier »
IT, p 390 : « Ils donnaient, comme on disait alors, des rastels pleins, c'est-à-dire à boire et à manger à volonté ».
IT, p 391 : « Je ne fus pas convoqué au rastel du samedi soir, ni au rendez-vous du dimanche matin ».
Rastell, sm. : râtelier, terme imagé désignant les collations apéritives (« apéros ») ou les buffets, notamment lors des campagnes électorales. [Terme BR] [Lexique BR]
3.14 Stank « vallée encaissée »
IT, p 40 : « Dans ce stang il y avait d'immenses étendues de forêts vierges ».
IT, p 802 : « Je n'étais pas toujours seul dans ces stang à chercher du bois [...] Chaque fois que je vais dans ces stangs sauvages pourtant si pittoresques et pleins de merveilles naturelles [...] ».
IT, p 328 : «La partie la plus abrupte, la plus sauvage et la plus inaccessible du stang [...] Partout aux flancs de ces stangs, il y a des grottes, demeures naturelles des couriquets surnaturelles ».
« Stank » : ce mot très courant en toponymie bretonne désigne, dans la région de Quimper, une vallée encaissée.
Peut désigner aussi un barrage et sa retenue d'eau, mais généralement le terme désigne les méandres resserrés d'une rivière avec ses pentes boisées de part et d'autre.
3.15 Gwin ardant « alcool apéritif »
IT, p 390 : « Qui distribuaient partout des discours et des boniments appris par cœur, des brochures, des journaux, des cigares et du gwin ardent [...] Il y aurait encore distribution de gwin ardent et des bulletins ... ».
Gwin ardant, g.n.m. : eau-de-vie de raisin, alcool apéritif traditionnel de 18 à 25°, du breton « gwin » (vin) et « ardant » (ardent). [Terme BR] [Lexique BR]
3.16 Bazh-vanal « entremetteuse »
IT, p 69 : « elle faisait l'agent matrimonial qu'on appelle en breton bas vanel. ».
IT, p 333 : « Je dis à la bonne vieille de dire aux bas vanel qu'elles perdraient leur temps avec moi ... je ne pouvais m'empêcher de songer à ce que la marraine me dit au sujet des bas vanel. ».
« Bazh-vanal » : littéralement « bâton de genêt ». Au sens figuré, nom breton de l'entremetteuse qui portait une branche de genêt, en guise de symbole, dans sa mission les porte-parole du demandeur de mariage à la personne désirée ou sa famille.
3.17 Bec'h « rude besogne »
MY, p 2 : « Ah ! C’est ici que nous allons avoir du bec'h comme on dit en breton, c’est-à-dire de la rude besogne. ».
« Bec'h » : terme breton signifiant « dur, difficile ». Avoir du bec'h : avoir du labeur. Quand on est bien berchet (du verbe bec'hiañ « charger, accabler »), on est ... constipé ! Le terme est plus généralement synonyme de « dispute, altercation, chicane, difficultés ».
3.18 Bossen « peste »
IT, p 118 : « la Bossen, sa besogne terminée en Elliant, voulut passer en Ergué-Gabéric ».
IT, p 119 : « N'importe, la Bossen dut rebrousser chemin, et la commune d'Ergué-Gabéric fut sauvée de la peste. ».
Bosenn, bossen, sf : bretonnisme désignant la personnification de la peste, du mot breton correspondant. « Bosenn Elliant » est la complainte de la peste d'Elliant et l'un des chants de l'ouvrage Barzaz Breiz de Théodore Hersart de la Villemarqué. [Terme BR] [Lexique BR]
Annotations et commentaires
- ↑ Abréviations retenues pour les références de page : IT ( Histoire de ma vie, l'Intégrale), MY (Explications sur les Mythes, Cultes et Religions), RV (Résumé de ma vie), RP (Premières mémoires, Revue de Paris).
- ↑ Site de Mélanie Jouitteau, chargée de recherche au CNRS : http://arbres.iker.univ-pau.fr/index.php/Accueil, « Evit un Atlas Rannyezhoù ar BREzhoneg: Sintaks », « Vers un Atlas de la microvariation dialectale de la langue bretonne », dont l’article http://arbres.iker.univ-pau.fr/index.php/Bretonnismes.
- ↑ Avoir, verbe : souvent en remplacement du verbe être : « elle croyait qu'au lieu de mendier j'avais resté jouer » (Déguignet, IT, p 69). En breton le verbe « bezañ » (être) peut aussi prendre le sens de « avoir » en fonction de la préposition qui suit, d'où les confusions en français entre les deux verbes. De plus la forme passive est très usitée en breton où on exprime le résultat de l'action plutôt que son déroulement. [Terme BR] [Lexique BR]
- ↑ Avec, prep. : bretonnisme, car traduction abusive du terme « gant » qui, en breton, est le complément passe-partout de toute forme passive. On n'est pas loin de la phrase fétiche « j'espère que ça va bien avec vous ». Exemple : « Le facteur arriva juste en ce moment et qui avait avec lui les résultats de tout le département. » (Déguignet, IT, p 393). [Terme BR] [Lexique BR]
- ↑ Anatole Le Braz (1859 - 1926) est un écrivain et un folkloriste français de langue bretonne, mais n'ayant écrit qu'en français. Il reçut et publia partiellement la première version manuscrite de l'autobiographie de Jean-Marie Déguignet dans la Revue de Paris pendant l'hiver 1904-1905.