L'explication des mythes selon Déguignet, Dupuis et Voltaire
Réagissant contre l'ouvrage « Mythes, cultes et religions » d'Andrew Lang traduit par Léon Le Marillier, Jean-Marie Déguignet a produit trois cahiers intitulés "Explication des mythes" dans lesquels il présente sa vision de l'origine des religions dans la lignée du mythographe Charles-François Dupuis [1] et de l'anticlérical Voltaire.
En 2004 Norbert Bernard, en charge du Centre de Recherches Déguignet, a retranscrit ces cahiers de notes de Jean-Marie Déguignet. L'analyse ci-dessous est un complément sur les sources d'inspirations et les références, ainsi que la publication des cahiers d'origine numérisés par la Médiathèque de Quimper.
Autres lectures : « Cahier de notes sur la "Vie de Jésus" d'Ernest Renan » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Jésus, fils aîné de Marie-Joachim » ¤ « Déguignet, le paysan bas-breton, était-il bouddhiste ? » ¤ « Les 24 cahiers manuscrits de la seconde série des mémoires de Jean-Marie Déguignet » ¤
Présentation
Le traducteur en langue française est Léon Le Marillier, le beau-frère d'Anatole Le Braz, ce dernier étant souvent par ailleurs la cible de nombres de railleries de la part de Déguignet.
Notre paysan bas breton ne peut qu'être en désaccord absolu avec la thèse de Lang et de Le Marillier qui défendent tous les deux l'idée que la religion et les mythes s'expliquent par le milieu naturel et la curiosité des sociétés tribales.
Et pour donner plus de poids à sa contre-argumentation Déguignet donne sa propre expérience d'homme sauvage : « Je le répète sans outrecuidance, je ne crois pas que personne ait jamais été mieux placé que moi pour connaître les sauvages tels que Lang les conçoit. Élevé là-bas au Guélénec - Ergué-Gabéric -, au bord de ces fameux Stang Odet, ces gouffres profonds et rocheux, peuplés de nains, de lutins, de fées méchantes et de coriquets [...], Jamais je n’ai entendu personne parler des choses scientifiques et naturelles, ni chercher à expliquer le moindre phénomène. »
La théorie de Déguignet est, a contrario, que les croyances des religions sont des héritages successifs des religions précédentes, et ce depuis la nuit des temps, c'est-à-dire notamment du côté des Perses et des mythologies pré-védiques en Inde.
Pour asseoir cette vision il a lu les travaux d'un scientifique, Charles-François Dupuis [1] (1742-1909), qu'il l'appelle « Monsieur Dupuy le grand savant » dans ses Mémoires (Intégrale page 653). Il lui consacre 4 pages de citations et d'exemples de filiations entre les écritures saintes chrétiennes et juives d'une part, et les dieux persans, romains et grecs d'autre part. Les 77 pages des cahiers 26 et 27, au-delà de l'attaque en règle contre l'anglais Lang constitue un long exposé des exemples de Dupuis [1].
À titre d'exemples empruntés à son maître, Déguignet écrit :
Les prêtres catholiques célèbrent la fête d’Aura Placida deux jours avant la fête de Bacchus sous le nom de sainte Aure et sainte Placide. La formule latine de souhaits perpetua felicitas donna naissance à deux saintes, Perpétue et Félicité.
La même explication est aussi rapportée par Dupuis page 272 :
Le texte de Déguignet sur les mythes est donc très largement influencé par l'ouvrage de Charles-François Dupuis [1] « L'origine de tous les cultes ou religion universelle » publié en 1795 et dont les deux tomes ont été amplement diffusés dès 1822 ; un abrégé a également publié en 1798 pour la vulgarisation de ce qui est considéré comme un véritable bréviaire de l’athéisme philosophique.
D'après Dupuis et Déguignet, tous les cultes, y compris chrétiens, se rattachent dans leur essence et héritage à l'adoration du soleil. Et ce n'est pas le seul point commun entre le Christ et le Mithra persan.
Les pages respectives de Déguignet et de Dupuis détaillent aussi les filiations évidentes vis-à-vis de la religion persane appelée Zoroastrisme, son prophète Zarathoustra et sa divinité Ahura Mazda, nommée aussi Ormuzd : « Là nous voyons aussi les premiers hommes placés par Ormuzd, le bon principe, dans un jardin délicieux appelé Eirein, mais où la félicité fut également troublée par le serpent Ahriman » (cahier 28 page 42).
Par ailleurs, Jean-Marie Déguignet s'est inspiré d'un passage d'un ouvrage d'un autre maitre à penser, à savoir Voltaire et ses « Lettres chinoises, indiennes et tartares » (Lettre IX, page 44). Ce dernier y reprenait les conclusions de l'archéologue anglais J. Z. Holwell sur la datation de textes pré-védiques de 5000 ans avant J.-C. Il est aujourd'hui communément admis que les textes les plus anciens d'Inde sont les « Veda », et dateraient de 1500 ans environ avant J.-C.
Autant, sur ce dernier point, Voltaire a été scientifiquement quelque peu contesté, autant les travaux de Dupuis, repris par Déguignet « contenaient nombres de découvertes particulières importantes, et qu'il y a donc toujours avantage à les lire » (Dictionnaire critique de mythologie, CNRS Éditions, 2017).
Transcriptions
Transcription de Norbert Bernard :
Texte complet : [Fichier PDF]- [Cahier n° 26] : c'est ici que nous allons avoir du bec'h ...
- [Cahier n° 27] : il dit à ses invités qu’il donnerait ce coffre ...
- [Cahier n° 28] : Une autre idée encore du savant anglais ...
Avant-propos de Norbert Bernard
Avertissement sur la présente édition
Le travail d’annotation de la présente édition a été beaucoup plus complexe que celui des précédents écrits de l’auteur que nous avons publiés. Les Mémoires d’un paysan bas-breton et surtout le texte intégral des mémoires, Histoire de ma vie, ont surtout demandé un travail de recherche historique pour se replacer dans le contexte du XIX e tant du point de vue des événements que des mentalités. La Vie de Jésus [3] fut également plus facile à appréhender car l’essentiel du travail s’effectuait par la comparaison du texte de la Bible et des textes écrits autour de la Bible.
Ici la recherche fut un peu plus complexe. Il eut fallu que nous disposions de l’ouvrage d’Andrew Lang [4] qui déclencha cette rédaction de la part de Jean-Marie Déguignet. Il apparaîtra en effet au lecteur que Déguignet suit semble-t-il pas à pas les propos de cet auteur, pour mieux les contredire, ce qui laisse supposer qu’il a tenté de consulter les mêmes sources.
La question des sources est en effet un problème majeur car plusieurs mythologie n’ont pas un corpus constitué « canoniquement » mais de nombreuses variantes. Nous ne savons pas toujours sur quelles sources s’est appuyé Jean-Marie Déguignet. Il s’agit parfois de sources de seconde main, telles que le Shasta-bad tel qu’il avait été rapporté par Voltaire [5].
Cette question des sources est aggravée par deux difficultés. Premièrement, le fait que nous ne sachions pas à quelle « bibliothèque » avait accès Jean-Marie Déguignet. D’autant que lui-même nous induit en erreur en prétendant dans ses mémoires n’avoir pu sérieusement fréquenter la bibliothèque municipale de Quimper [6]. Au contraire nos recherches ont prouvé que certains auteurs ouvrages qu’il cite ici (Paul Lucas et dom Thierry Ruinart) ou dans ses mémoires (Loizillon) y furent probablement consultés. Deuxièmement l’excellente mémoire de Déguignet n’interdit pas qu’il se remémore des passages lus bien des années avant qu’il écrivit.
Enfin un problème de compétences s’est posé dans ce travail qui nécessitait d’accumuler une formation en histoire, en théologie, en mythologie, en littérature, en langues (dont le grec et le latin). Nous fûmes donc parfois en défaut sur certains points.
La présente édition ne prétend pas être complète mais être un outil de travail que nous avons tenté au mieux de défricher le terrain afin que les chercheurs qui souhaiteront l’utiliser aient une compréhension globale du texte et des bases pour approfondir certains point. Dans la même optique nous avons tenu à conserver les « fautes » dans les citations en langues étrangères car nous ne sommes pas absolument certains de notre lecture - proposée, elle, en note - et nous restituons la graphie de l’auteur pour permettre de reprendre ces traductions.
Extraits
(page 2)
Ah ! C’est ici que nous allons avoir du bec'h [7] comme on dit en breton, c’est-à-dire de la rude besogne. J’ai dit dans mon précédent cahier que, ennuyé et écœuré par les comédies de nos gouvernants temporels et spirituels, j’allais traiter de la mythologie pour répondre aux auteurs de ce grand volume qu’on vient de me prêter.
(page 75)
J’admire ces messieurs « intellectuels » qui voudraient rassembler autour d’eux les « manuels » pour faire triompher la raison, la vérité et la justice. Je suis de cœur avec eux et je voudrais les aider dans cette tâche humanitaire.
(page 28)
Le livre [5] dont j’ai parlé plus haut, trouvé et traduit en partie par deux savants anglais, Sirs Holwel et Dow, il y a cent cinquante ans dans l’Inde ; là, il aurait trouvé un autre mythe des aryens, le plus beau sans doute qu’on ait jamais vu ou entendu.
Ce livre appelé Shastabad, écrit il y a plus de cinq mille ans dans la langue sacrée des vieux Brahmanes, le sanscrit, était la Bible, la Genèse des vieux aryens.
(page 29)
ces dogmes et ces cultes sont encore à peu près semblables chez les Bouddhistes et chez les Chrétiens actuels, sauf que les prêtres de Bouddha ont plus de charité et d’humanité que les fripons ministres du bandit galiléen.
(page 41)
Je trouve que ces sauvages ont parfaitement raison de respecter et d’adorer même ces arbres, ces rochers, ces sources, ces fontaines, ces animaux de toutes espèces sans lesquels ils savent bien qu’ils n’auraient pu vivre.
Ces animaux surtout qui ont été leurs nourriciers et leurs habilleurs de tout temps, qui contrairement à ces dieux sauvages, inventés par les sauvages tyrans, prêtres, charlatans, fripons, imposteurs pour persécuter et dévorer les hommes, fournissent à ceux-ci de nombreux agréments durant leur vie et à la mort, ils leur laissent leur sang et leur chair pour se nourrir et leurs peaux pour s’habiller.
Aussi les Aryens de l’Inde faisaient descendre leurs dieux, les bons, d’une vache, la meilleure de toutes les bêtes ; celle qui a rendu et rend toujours les plus grands services à l’humanité.
Documents originaux
Cahiers de Jean-Marie Déguignet
Intégrale - Histoire de ma vie
Livres de Charles-François Dupuis
Annnotations
- ↑ 1,0 1,1 1,2 et 1,3 Charles-François Dupuis (1742-1809) est un philosophe et scientifique connu pour son livre « L'Origine de tous les Cultes, ou la Religion universelle », dans lequel il démontre l'origine commune des positions religieuses et astronomiques chez les Égyptiens, les Grecs, les Chinois, les Perses et les Arabes. Il participe aussi à la création du calendrier révolutionnaire, dont il est l’un des promoteurs, avec Fabre d'Églantine.
- ↑ Les cahiers numérotés 1 à 25 constituent le journal chronologique de Déguignet, publié sous le titre des "Mémoires d'un paysan bas-breton" : « Les 24 cahiers manuscrits de la seconde série des mémoires de Jean-Marie Déguignet » ¤
- ↑ Jésus, fils aîné de Marie Joachim, dernier roi des juifs, sa vie, ses aventures et sa mort, coll. Les Cahiers d’Arkae, n° …, Arkae, 200…
- ↑ LANG (Andrew), LE MARILLIER (Léon) (trad.), DIRR (A.) (trad. avec la collab. de), Mythes, Cultes et Religions, Paris, F. Alcan, 1896, XXVIII-683 pages.
- ↑ 5,0 et 5,1 VOLTAIRE, Lettres chinoises, indiennes et tartres, lettre IX, « Sur un livre des brachmane, le plus ancien qui soit au monde ».
- ↑ Mémoires d’un paysan bas-breton, p. 443 et Histoire de ma vie, p. 838-839
- ↑ « Bec'h » : terme breton signifiant dur, difficile. Avoir du bec'h : avoir du labeur.