Marjan Mao, star du troisième âge
« C'est vous l'Ouest-Eclair ? »
Née en 1902, domestique de ferme dès son enfance, puis chiffonnière-papetière à l'usine Bolloré d'Odet, Marjan Mao parlait plus facilement le breton que le français. Elle ne savait ni lire, ni écrire, mais le compter n'était pas un problème. Dotée d'une mémoire fantastique c'était une très grande chanteuse. Elle est décédée en 1988.
L'article qui suit a paru dans les pages Finistère du Ouest-France du 3-4 novembre 1984 avec la signature de Laurent Quevilly, correspondant-journaliste d'Ergué-Gabéric.
Autres lectures : « Les chants de Marjan Mao, collectage des Daspugnerien Bro C’hlazig en 1979 » ¤ « Conversation avec Marjan et Fanch Mao (1982) » ¤ « Marjann Mao, chiffonnière (Skol Vreizh, 1989) » ¤ « Marjan Mao : une chanteuse populaire » ¤ « Kan al labour ur vuhez a vicherouzez Mari Jan Mao » ¤
Transcription de l'article
Mémoire en or et noces de diamant
A 83 ans, Marjan, c'est un peu la star du troisième âge à Ergué-Gabéric. Son rare répertoire de chants traditionnels et ses quarante-trois années de papetière en ont fait la vadette armoricaine d'un récent magazine sur FR3. Question d'habitude. Car soixante plus tôt, son sourire crevait déjà l'écran à l'occasion du centenaire des papeteries, en 1922. Question d'habitude encore quand, il y a quelques jours, elle chantait au micro de Daniel Géquel pour une émission diffusée dimanche prochain sur R.B.O., à partir de 19h20. Elégant cadeau d'anniversaire. Ce jour-là, elle fêtera avec Fanch, l'amour de sa vie, ses soixante ans de mariage. Ils se souviennent ...
"Après vous saurez pas !"
Nous sommes le 25 novembre 1924. Il pleut des cordes. Dans la maison natale de Marjan, tout au bout du sentier désert qui mène à Stang-Odet, on s'anime. Café, crèpes. C'est qu'on vient chercher la fille de la maison, chiffonière chez Bolloré. Dans une heure, elle épouse Fanch Le Mao, 25 ans, un journalier.
"On s'est mariés au bourg. Moi, j'y suis allée dans un petit car. Un tout neuf. Et c'est moi, la première qui suit montée dedans".
Fanch, lui, empruntera un moyen de locomotion plus conventionnel : "un char à bancs. Mais il a cassé et on est allés tous au fossé".
Après la messe, le repas : "On était cent quinze chez Quéré. Et c'est encore là que dimanche prochain, on fêtera nos noces de diamant".
Jusqu'au souper, un homme coiffé d'un chapeau à guides tire sur son accordéon. "Et après le souper, on a dansé encore jusque tard dans la nuit". Et après ? "Après (grand éclat de rire". Après, vous saurez pas !".
Trois siècles de mémoire
Sur la table, aujourd'hui, le gwin ru et les traou mad. La séance d'enregistrement s'achève. Dehors il pleut toujours des cordes. "Banne ricar paotred ? Hu Marjan, c'est pas l'heure". Et la bonne hôtesse de s'inquiéter en breton auprès de son voisin : "Ils ont changé leur nom à Ouest-Eclair ?".
Il est vrai que Marjan ne sait ni lire, ni écrire. Mais sa culture n'en est pas rien moins riche. Au contraire. Et ses neurones n'ont pas besoin de phosphore.
Pour preuve, cette confidence de Bernez Rouz : "Elle vient de chanter le cantique de Kerdévot. Répertorié en 1712, nous en connaissions le texte. Mais c'est la première fois que nous en entendons la mélodie". Une mine d'or, je vous dis. Et elle d'insister : "Banne ricar ?". Dimanche Marjan ! Dimanche.
Laurent QUEVILLY
Mamm Jesus a lavaras d'ur munuzer yaouank
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