La campagne pour l'indépendance italienne en 1859 par Jean-Marie Déguignet
Pourquoi et comment le soldat Jean-Marie Déguignet participe avec le 26e RI [1] à la deuxième guerre d'indépendance italienne, pendant laquelle l’armée franco-piémontaise affronte celle de l’empire d'Autriche. L'issue de cette guerre sera la réunion de la Lombardie au royaume de Piémont-Sardaigne et posera la base de la constitution du royaume d’Italie.
Autres lectures : « D. Citoyen du Monde - archive Norbert Bernard 2005 » ¤ « Jean-Marie Déguignet et sa campagne d'Algérie (1862-1865) » ¤ « La médaille de Crimée de Jean-Marie Déguignet » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Mémoires d'un paysan bas-breton (Revue de Paris) » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Memorie di un contadino » ¤
Deuxième guerre d'indépendance italienne
La campagne ou guerre d'Italie de 1859, correspondant à la deuxième guerre d'indépendance italienne [2], voit s’affronter l’armée franco-piémontaise et celle de l’empire d'Autriche, le tout dans un contexte global de Rigorgimento (mouvement idéologique et politique italien qui, dans la première moitié du 19e siècle, renversa l'absolutisme et réalisa l'unité nationale).
La conclusion du conflit en 1860 permettra la réunion de la Lombardie au royaume de Piémont-Sardaigne et pose la base de la constitution du royaume d’Italie.
En fait la France et son empereur Napoléon III se devaient d’intervenir en faveur du Piémont, leur allié, car ce dernier avait prêté main forte à la coalition franco-britannique lors du conflit en Crimée contre les Russes.
Jean-Marie Déguignet a très bien raconté sa campagne d'Italie, ce dans les deux éditions de ses mémoires : en 1905 les premiers cahiers manuscrits publiés par Anatole Le Braz dans la Revue de Paris, et en 2001 un deuxième jeu des cahiers complètement réécrits. Ces récits de ces deux éditions se recoupent souvent, et se complètent aussi pour certains détails.
Ainsi on peut lire dans les deux textes, ainsi que sur la carte et dans le résumé daté de l'itinéraire :
- A. L'entrée en guerre du 26e régiment d'Infanterie, en train et à pied depuis le fort d'Ivry jusqu'au port de Toulon.
- B. L'arrivée en Italie à Livourne, et l'accueil chaleureux du peuple toscan.
- C. L'arrivée à Florence en même temps que le prince « Plomb-Plomb », avec des échos de la bataille de Magenta.
- D. La traversée de la montagne des Apennins, et le campement non loin du lieu de la bataille de Solferino.
- E. Les quartiers d'hiver en garnison à Bergame, et médaille militaire de la campagne d'Italie.
- F. Retour en France en passant par Suze et le Mont-Cenis.
Jean-Marie Déguigner se sent solidaire de ses alliés : « C'était un véritable délire patriotique et de liberté qui était au cœur de ces gens. Victor-Emmanuel venait d'adresser aux Toscans un chaleureux appel aux armes pour chasser de chez eux les étrangers, les Autrichiens, qui les spoliaient et les tyrannisaient de si longtemps. Il les conviait à la grande union de tous les peuples italiens ; il les invitait à unir leurs efforts aux soldats piémontais, et aux braves et invincibles soldats de la grande nation unie, la France, l'émancipatrice des peuples opprimés ».
Lors de son retour d'Italie en juin 1860 le régiment de Jean-Marie Déguignet stationnera à Chambery pendant cinq jours pour célébrer « les fêtes de l'annexion de la Savoie à la France ».
Par le traité de Zurich de novembre 1859 l'Autriche - perdante de la deuxième guerre d'indépendance italienne - avait du rétrocéder la Lombardie à la France qui la rétrocéda au Royaume de Piémont-Sardaigne. En contrepartie de la cession de la Lombardie, la France reçut la Savoie (et son annexe de Nice), sous réserve du vote des populations (le oui référendaire l'emporta à une écrasante majorité : 85% dans le Comté de Nice et 96% en Savoie).
À son arrivée à Lanslebourg, en Savoie (« c'est-à-dire en France maintenant »), il a l'occasion de penser à ses origines : « j'eus l'occasion de manger du pain noir en tout semblable à celui de mon pays, que je n'avais vu nulle part depuis que j'ai quitté la Bretagne ».
Carte et itinéraire de campagne
- Toulon : le 26e Régiment d'Infanterie y embarque le 23 mai. Jean-Marie Déguignet est en casernement dans le fort d'Ivry près de Paris lorsque son régiment va prendre le train pour Aix-en-Provence, puis à pied jusqu'à Toulon. Quatre navires vont quitter la France en direction de la Toscane : le Cristophe-Couloup, le Carlo-Alberto, le Maltafano et le Mozambatio.
- Livourne : lieu de débarquement en Italie le 24 mai. Les français sont accueillis par une liesse populaire, et la musique de la Marseillaise.
- Pise : arrive en train, voit la tour penchée et repart à pied.
- Pistoia : arrivée le 29 mai.
- Florence : Déguignet fait son « entrée triomphale dans la capitale de la Toscane » le 31 mai (et non le 27 comme indiqué dans la Revue de Paris ). Le lendemain le frère de Napoléon III, surnommé le prince « Plomb Plomb », est accueilli sous les hourras. Le 4 juin ils recoivent des nouvelles de la bataille de Magenta gagnée par l'armée française à la frontière du Piémont et de la Lombardie. Le régiment reste à Florence jusqu'au 12 juin.
- Lucques : repasse par cette ville le 15 juin.
- Pietra Santa : le 16 juin
- Massa : du 17 jusqu'au 20 juin.
- Pontremoli : le 22 juin
- Apennins : traversée du massif et arrivée à Cassio le 24 où ils entendent le « roulement sourd des canons » de la célèbre bataille de Solférino, avant que ne se déclenche un gros orage. Le lendemain à Fornuavo reçoivent un pli : « Grande bataille, grande victoire, à demain les détails - Solférino 24 juin 1859 ».
- Parme : Déguignet y arrive le 26 juin.
- Valeggio : arrivée le 5 juillet. En face de Villafranca, lieu où furent signées les préliminaires de paix, Jean-Marie Déguignet fit partie des troupes françaises qui se tenaient aux abords de la ville le jour de la signature de cet accord.
- Bergame : le 25 juillet, l’unité de Déguignet y tint garnison pendant tout l'hiver. Déguignet reçoit la médaille militaire de la campagne d'Italie. Son unité quitte Bergame le 16 mai.
- Milan : Déguignet peut y « visiter la belle cathédrale ».
- Magenta: y voit un cimetière avec « les restes des Français tués le 4 juin 1859 ».
- Turin : la troupe n'a pas la permission d'entrer dans cette ville qui sera la capitale du futur roi d'Italie.
- Suze : arrivée au pied du Mot-Cenis le 15 juin 1860.
- Lanslebourg : le lendemain de l'autre côté de la frontière.
Témoignages (Intégrale et Revue de Paris)
A. Entrée dans la guerre
Pages 229 à 231 de l'Intégrale des « Mémoires du paysan bas breton » parue en 2001.
Nous étions au commencement du printemps de 1859, et des bruits de guerre couraient depuis quelques temps. Déjà les Italiens étaient, disait-on, aux prises avec les Autrichiens, et cela presque sur nos frontières. C'était une belle occasion pour le sire de Badinguet [3], qui ne pouvait vivre et régner que par la force et le prestige de son armée, qu'on appelait la meilleure du monde, puisque nous avions vaincu la grande armée du tsar Nicolas devant laquelle le vainqueur des Pyramides fut obligé de battre en retraite.
Par ces bruits de guerre, nous fûmes encore envahis par une autre bande de charlatans, ceux-ci patentés et garantis par le gouvernement : c'était les jésuites, qui venaient nous offrir des chapelets, des petits livres de prière et de cantiques appropriés pour la circonstance, et des scapulaires [4] qui garantissaient les soldats des balles et des boulets. Ils venaient tous les soirs dans la chapelle du fort chanter des cantiques et confesser les soldats catholiques, afin qu'ils allassent avec une conscience pure devant l'ennemi, qui triplait leur force ; et au cas où ils seraient tués, malgré le scapulaire [4] protecteur, le chemin du paradis s'ouvrirait immédiatement devant deux, et ils entreraient en triomphe au beau séjour de gloire et de félicités éternelles.
A. Entrée dans la guerre
Pages 623 à 631 de la Revue de Paris de février 1905. XIV LA GUERRE D’ITALIE
Au commencement de 1859 aussi, il était beaucoup question de guerre. Le caporal dont j’ai parlé, l’ex-sergent-major, qui était presque un savant, s’intéressait aux choses de la politique. Il était riche de chez lui et allait souvent dans les grands cafés, où il voyait les journaux. Celui-là m’assurait, vers le milieu du mois de mars, que la guerre était imminente entre l’Autriche et le Piémont, et que la France ne pouvait manquer d’intervenir en faveur du Piémont, notre allié, qui nous avait donné un bon coup de main en Crimée. Dans les premiers jours d’avril, toute l’armée de Paris était convoquée au Champ de Mars pour une grande revue de l’empereur ; on disait que c’était la revue de départ.
Notre régiment était alors au fort d’Ivry. Il y avait là un aumônier, qui invitait les soldats catholiques à faire leurs Pâques. Je n’avais pas encore renoncé à la religion, quoique les charlataneries que j’avais vues à Jérusalem m’en eussent presque dégoûté. Cet aumônier, qui avait l’air d’un vieux bonhomme, avait sa chapelle dans une casemate, au fond du fort.
Un soir après la soupe, j’allai me promener de ce côté ; je voyais beaucoup de soldats entrer et sortir de la chapelle. J’entrai aussi, avec un sentiment partagé entre la piété et la curiosité : plus de curiosité que de piété, je crois. Je pris un livre et me cachai dans un coin, et lorsque tout le monde fut parti, j’entrai dans le confessionnal. Je racontai brièvement mon histoire et mon voyage à Jérusalem, où j’avais vu les choses tout au contraire des pèlerins.
B. Arrivée en Italie
Pages 232 à 250 de l'Intégrale des « Mémoires du paysan bas breton » parue en 2001.
Arrivés à Toulon, nous n'eûmes que le temps de secouer la poussière de nos capotes et de casser une croûte, qu'il nous fallait encore embarquer, mais sur l'eau cette fois. Cependant, avant d'embarquer, nous eûmes le temps de connaître le général de division qui allait nous commander là-bas. C'était le général Uhlrich. Il nous fit un discours dans lequel il y avait un peu de tout : de l'histoire ancienne, de l'histoire moderne des armes perfectionnées, des légions, de la géographie et même de la météorologie, car il expliquait comment il nous fallait nous prémunir des brusques variations de la température que nous allions supporter. Puis il termina pour dire que nous pouvions avoir confiance en lui, comme il avait confiance en nous : « Rappelez-vous que vous allez combattre sur une terre où à chaque pas vous trouverez des traces glorieuses de vos pères, soyez dignes d'eaux ». Mais, déjà, des chalands nous attendaient pour nous conduire à bord, et bientôt nous fûmes installés sur le navire, serrés comme des sardines. On voyait de tous côtés des navires chargés comme le nôtre, des chalands qui en emportaient toujours, partout on voyait un grouillement de képis rouges. Les cris et les chants se faisaient entendre sur terre comme sur l'eau. On poussait des cris d' « Adieu la France ! » ; pour beaucoup ce fut adieu éternel. Notre navire se mit en route avec plusieurs autres. Nous allâmes droit vers le soleil couchant qui allait disparaître à l'horizon, tandis que nous voyions d'autres navires également chargés de troupes venant de Marseille et d'Afrique, qui filaient droit au Nord.
B. Arrivée en Italie
Pages 623 à 631 de la Revue de Paris de février 1905. XIV LA GUERRE D’ITALIE
D’Aix, nous fîmes la route à pied jusqu’à Toulon, où nous arrivâmes le 22 mai. Là, le général Uhlrich, notre général de division, nous adressa son discours d’entrée en campagne. Après nous avoir parlé météorologie et climatologie, il nous parla de la baïonnette qui était toujours l’arme terrible des soldats français ; il ne doutait pas un seul instant de l’énergie et du courage de ses hommes ; mais ce qu’il craignait, c’est que nous puissions nous laisser entraîner par l’enthousiasme, par un trop grand élan, par la furia française, à laquelle rien ne résiste. Nous devions faire partie du 5e corps, commandé par le prince Napoléon, surnommé plus tard le prince Plonplon. Celui-là aussi nous fit un discours, mais d’un autre genre. Il dit d’abord que l’empereur l’avait appelé à l’honneur de nous commander, puis que beaucoup d’entre nous étaient ses camarades de Crimée, de l’Alma et d’Inkermann, que nous allions entrer dans le pays qui fut le berceau de la civilisation antique et de la régénération moderne, que nous allions délivrer un peuple de ses dominateurs, de ses éternels ennemis, qui étaient aussi les ennemis de la France ; il termina par les cris de : Vive l’empereur! Vive la France ! Vive l’indépendance italienne !
C. Arrivée à Florence
Pages 236-237 de l'Intégrale des « Mémoires du paysan bas breton » parue en 2001.
Nous voyageâmes ainsi tous les jours au milieu de ces populations frémissantes au son des musiques et des cloches, couverts de poussière et de fleurs jusqu'à Florence (Firenza) la belle capitale du duché, d'où le duc autrichien venait de s'enfuir avec sa garde sans avoir voulu essayer de défendre son duché. Là, nous allâmes camper dans un grand pré justement en face du palais ducal. Nous avions donc pris le plus beau et plus riche pays de la péninsule sans tirer un coup de fusil. Le lendemain de notre arrivée, je me trouvais de planton chez le général de division qui s'était installé dans une des plus belles maisons donnant sur la grande place. Du premier étage de cette maison où je me trouvais, j'assistais à la dernière scène frémissante et délirante des Toscans ou plutôt des Toscanes car je [ne] voyais partout que des femmes, surtout de jeunes filles formant comme ailleurs des haies des deux côtés de la grande rue et de la place ; les autres femmes se tenaient sur les balcons d'où pendaient des draperies multicolores, avec des paniers de fleurs et des couronnes. Les cloches de toutes les églises sonnaient à toute volée, auxquelles se mêlaient la voix du canon et les cris ininterrompus de : « Viva la Francia ! Viva L'Italia ! Viva Napoleone ! Viva VittorioEmmanuele ! Viva gli soldati francesi et piemontesi, nostri liberatori ! ». Mais bientôt j'entendis un hourra plus formidable encore de: « Viva il principe Napoleone ! ». C'était en effet le prince Jérôme Napoléon [6], surnommé par nous le prince "Plomb Plomb", qui faisait son entrée triomphale dans la capitale toscanaise, qui fut plus tard, un instant la capitale d'Italie. De la croisée où je me trouvais, je le voyais venir sur son cheval blanc le long de la grande rue ; mais on ne pouvait l'apercevoir qu'à travers une véritable pluie de fleurs et de couronnes par lesquelles il était littéralement inondé.
C. Arrivée à Florence
Pages 623 à 631 de la Revue de Paris de février 1905. XV FLEURS ET LAURIERS
De Pistoia, nous pouvions aller en un jour à Florence, mais on nous fit faire un petit détour et même deux. Enfin, le 27 mai, nous fîmes notre entrée triomphale dans la capitale de la Toscane que le grand-duc avait quittée depuis quelques jours avec sa garde autrichienne. Il est inutile de dire que, là comme à Livourne, à Pise et à Pistoia, les ovations, les transports d’enthousiasme éclataient sur notre passage. Nous allâmes camper dans les jardins et les parcs du palais grand-ducal. Le 14e chasseurs à pied et le 18e de ligne arrivèrent le même jour, venant par d’autres routes. Toute la première brigade se trouvait alors réunie à Florence ; la deuxième brigade, 80e et 82e, devait rester à Pistoia. Le lendemain, je me trouvais de planton chez le général qui était installé dans un palais sur la grande place. Là, j’ai pu assister à une scène plus délirante, encore, si c’est possible.
Le prince Jérôme, venu de Livourne par le train, faisait son entrée triomphale dans la cité florentine, monté sur un beau cheval blanc, semblable à celui de son oncle. Les maisons bordant les rues par où il devait passer étaient décorées des plus riches tapis et de trophées aux armes de France et d’Italie ; tous les balcons étaient chargés de lauriers, de bouquets et de couronnes ; des jeunes filles tenaient à la main de grandes corbeilles de fleurs effeuillées. J’étais bien placé pour voir cette scène féerique ; je me trouvais à une croisée qui faisait face à la rue par où le prince devait déboucher sur la place.
D. Bataille de Solférino
Pages 241-242 de l'Intégrale des « Mémoires du paysan bas breton » parue en 2001.
Nous étions le 24 juin, depuis le matin nous marchions par une chaleur étouffante. Sur notre gauche, au lointain, nous entendîmes le roulement sourd du canon, et l'on disait : « Ça chauffe ! ». Ça chauffait assurément, le soleil surtout, et nous marchions toujours sans rencontrer d'obstacle. Vers quatre heures du soir, nous fûmes assaillis et arrêtés, non par les Autrichiens, mais par le plus épouvantable orage qu'il fut possible de voir. c'était Jupiter qui voulait sans doute mêler ses foudres avec la poudre. Ce fut ainsi qu'il renversa les géants qui voulaient autrefois escalader le ciel. Ceux-là furent ensevelis sous les rochers qu'ils avaient entassés à cet effet. Nous autres, nous faillîmes être enterrés sous l'eau. Jamais je ne vis tomber une si grande quantité d'eau en si peu de temps. Nous étions littéralement inondés, et la nuit était arrivée. On cherchait à gagner les hauteurs, les monticules, sur lesquels on passa la nuit debout ou accroupis, sans manger, car il était impossible de faire du feu.
D. Bataille de Solférino
Pages 623 à 631 de la Revue de Paris de février 1905. XV FLEURS ET LAURIERS
Cependant, le 23 juin, nous avions fini de franchir les Apennins et, le 24, nous marchions sur Fornovo à une étape de Parme. Le 24 juin 1859 est un jour célèbre dans les fastes de la guerre. Toute la journée, nous avions entendu le canon gronder au loin, sur notre gauche, et à chaque instant on entendait dans les rangs : « Ça chauffe, là-bas. » Ça devait chauffer là-bas, certes, mais ici ça chauffait aussi ; jamais, depuis notre départ de Florence, nous n’eûmes une pareille journée. La chaleur était tellement brûlante, l’air tellement étouffant, que les hommes et les chevaux tombaient instantanément sur la route et mouraient en tombant. Dans la nuit, nous fûmes complètement inondés par un épouvantable orage venu du côté du champ de bataille et produit par le bruit du canon. Nous fûmes obligés de décamper et de passer la nuit debout ou accroupis dans l’eau ; le sucre, le sel et le café furent totalement perdus et, le lendemain, nous fûmes obligés de ramasser nos bagages pleins d’eau, ce qui augmenta d’autant le poids du sac. Le général Uhlrich, qui nous avait parlé météorologie à Toulon, aurait bien dû nous expliquer comment et pourquoi, après toutes les grandes batailles, il se produit d’épouvantables orages.
E. Garnison de Bergame
Pages 245-247 de l'Intégrale des « Mémoires du paysan bas breton » parue en 2001.
Après la cessation des hostilités, après le fléau de la poudre, nous eûmes à subir, comme cela arrive toujours à la fin d'une campagne de guerre, le fléau du choléra morbus. Tout le long de la route, nous semions du monde, on en remplissait les hôpitaux de toutes les villes où nous passions. En arrivant à Bergame, notre lieu de garnison, nous fûmes envoyés camper en dehors de la ville sur une haute montagne. Le choléra ne put nous suivre sur cette hauteur, nous le perdîmes en route et, au bout de quelques semaines, nous fûmes tous remis du mal et de la peur du mal. Alors, nous entrâmes dans un immense bâtiment appelé le Lycée, situé également hors de la ville haute (car Bergame est composé de deux villes, la basse et la haute).
E. Garnison de Bergame
Pages 623 à 631 de la Revue de Paris de février 1905. XVI RENTRÉE AU PAYS.
Quelques jours après, toutes les troupes quittèrent la Vénétie, les unes pour rentrer en France, les autres pour aller prendre garnison dans différentes villes de la Lombardie, où elles devaient rester encore un an pour attendre les arrangements définitifs. Notre brigade, 14e chasseurs, 18e de ligne et 26e, eut pour garnison Bergame : nous restâmes là jusqu’à la fin de mai 1860, à manger de la castagna et de la polenta. C’est en quittant cette ville que j’ai fait le plus grand trajet que j’aie jamais fait à pied, puisque, de Bergame, nous vînmes au Tréport, au fond de la Normandie, en passant par Milan où nous restâmes cinq jours, ce qui me permit de visiter la belle cathédrale, Magenta, Turin, le Mont-Cenis, que nous traversâmes le 15 juin dans la neige et par un froid sibérien, Chambéry, où nous restâmes encore cinq jours pour les fêtes de l’annexion de la Savoie à la France. À propos de cette annexion, nous fûmes obligés d’aller passer quelques jours en observation sur le lac de Genève, car les Suisses avaient protesté contre l’annexion d’un canton qui appartenait à la fédération helvétique. Tout finit par s’arranger diplomatiquement, et nous reprîmes notre voyage par Bourg, Mâcon, Dijon, Paris, Rouen, Dieppe, où devait rester la plus grande partie du régiment ; le reste fut réparti entre la ville d’Eu et le Tréport ; notre compagnie fut désignée pour ce petit port de mer, où il n’y avait alors que des douaniers et des pêcheurs, excepté pendant l’été où il venait quelques baigneurs.
Annotations
- ↑ Le 26e régiment d'infanterie de ligne (ou 26e RI) est un régiment constitué sous l'Ancien Régime sous l'appellation de régiment de Bresse.
- ↑ La première guerre d’indépendance italienne est le premier des nombreux conflits qui opposent le royaume de Sardaigne, qui par la suite deviendra le royaume d’Italie, à l'Empire d'Autriche. Elle se décompose en trois phases : deux campagnes militaires (23 mars-9 août 1848, 20-24 mars 1849), séparées par une période de trêve qui dure quelques mois et se termine par la répression envers les républiques de Rome et de Florence, et la reconquête de Venise où s'était établie la République de Saint-Marc.
- ↑ Badinguet est un surnom satirique donné à l'empereur Napoléon III (son épouse, l'impératrice Eugénie, était surnommée Badinguette). On raconte que c'était le nom de l'ouvrier qui lui avait prêté ses habits lorsqu'il s'évada du fort de Ham, en 1846.
- ↑ 4,0 et 4,1 Le "scapulaire de dévotion" est un objet plus petit que le scapulaire monastique (grand morceau de tissu à l'avant et à l'arrière, joint sur les épaules par deux bandes de tissu). Il peut être porté par des personnes qui ne sont pas membres d'un ordre monastique et l 'Église catholique le considère comme un sacramental. Le scapulaire de dévotion se compose généralement de deux petits morceaux (généralement rectangulaire) de tissu, de bois ou de papier plastifié, de quelques centimètres de taille, qui peuvent porter des images ou des textes religieux.
- ↑ Jules Radu, né en 1810 et mort après 1883, est un écrivain et pédagogue français. Il fonde en février 1848 une Société de bienfaisance, dite Société de bibliothèques communales et propagation des bons livres, dont l'objet est de doter d'une bibliothèque toutes les communes de France, d'Algérie et des colonies.
- ↑ Jérôme Napoléon : Fils de Jérôme, frère de Napoléon (1822-1891). Il commandait le 5e corps d'armée, au sein duquel servait Jean-Marie Déguignet.