Billet du 15.06.2024

De GrandTerrier

Le départ forcé des sœurs blanches


Il y a une quinzaine notre billet portait sur l'opposition collective et unanime contre les inventaires des biens religieux en 1906. Cette semaine on se place 4 ans auparavant avec une polémique plus nuancée où les clans des "chouans" et des "jacobins" s'affrontent allègrement.

Le contexte politique de cette période précédant la promulgation de la Loi de 1905 est très tendue : dès son accession à la présidence du Conseil, Emile Combes par circulaire du 9 juillet 1902, c’est-à-dire avant même la fin de l’année scolaire, ordonne la fermeture, sous huitaine, de 3 000 établissements scolaires, dont l'école Notre-Dame de Kerdévot ouverte en 1898 par la congrégation du Saint-Esprit (les sœurs dites blanches de par leur tenue vestimentaires).

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Début août 1902 un décret national et un arrêté préfectoral de fermeture et dissolution de l'établissement sont publiés. Suite au refus d'obtempérer des sœurs, du recteur et du conseil d'Ergué-Gabéric, une troupe de 3 brigades de gendarmerie, conduite par le commissaire spécial Thomazzi, est dépêchée sur place le 7 août pour procéder aux scellés.

De très nombreux quotidiens nationaux, dont « La Nouvelle presse », « La Souveraineté Nationale », « Le Petit Journal », « Le Peuple Français », « Le petit sou », mettent en avant la résistance locale avec un texte identique : « ... trois brigades de gendarmerie à cheval, se rendant à Ergué-Gabéric pour fermer l'école. Une manifestation sympathique a été faite par la population aux Sœurs... ».

Le journal L'Ouest-Eclair, journal plutôt républicain, mais surtout de sensibilité chrétienne et sociale, se saisit du sujet en mettant en avant une position rédactionnelle très marquée contre les mesures de fermeture des écoles congrégationnistes.

Le 7 août un petit entrefilet signale la manifestation de protestation à l'école Notre-Dame de Kerdévot : « Bravo Ergué ! ». Dès le lendemain les articles se multiplient avec ces titres accrocheurs : « Nouveaux crochetages », « Nouvelles infamies », « Protestation », « Contre la liberté ». Le 9 août un courrier des lecteurs publié par l'Ouest-Eclair donne tous les détails de l'opération de maintien de l'ordre et de la contestation :

Square.gifSpace.jpg« Tout à coup, vers trois heures (du matin), on entend un coup de clairon sur la route de Quimper ; c'est l'un des factionnaires qui donne l'alarme ».

Square.gifSpace.jpg« Bientôt 500 personnes sont arrivées au bourg. Un quart d'heure après, apparaît une voiture, escortée de 12 gendarmes à cheval. Les chevaux des braves gendarmes reçoivent des coups de chapeau sur les naseaux et sont obligés de reculer ».
Square.gifSpace.jpg« Les religieuses sont alors mises à la porte ; à leur sortie, elles sont l'objet d'une ovation enthousiaste ».
Square.gifSpace.jpg« Il est 5 h. 1/4 ; tout est fini ; le commissaire monte en voiture et donne l'ordre du départ. Tous les habitants le poursuivent en criant : À bas les lâches ! Vivent les sœurs ! Vive l'armée ! À bas les francs-maçons ! ».

La population gabéricoise est résolument pour le maintien des sœurs blanches et leurs écoles, et s'oppose au pouvoir laïc qui a décidé l'interdiction des congrégations. Le pouvoir est ici incarné par le commissaire spécial. Par contre, les habitants manifestent leur sympathie aux gendarmes contraints d'encadrer les opérations de fermeture.

Et notons aussi la chanson du dimanche des Sœurs blanches que le journal Ouest-Eclair publie le 10 août : « À bas Combes ! Nous voulons Dieu Et nos Sœurs blanches ! ». Ce texte était offert aux manifestants « pour tromper l'ennui des heures de surveillance diurne et nocturne sur les routes du pays breton ».

Les journaux locaux « Le Courrier du Finistère » et « L'Union Agricole » rendent brièvement compte des évènements gabéricois en prenant parti pour les manifestants.

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Seul le journal local « Le Finistère » du député républicain Louis Hémon ose s'opposer aux exaltations des dirigeants de l'Ouest-Eclair qu'il traite de « prêcheurs de croisades, violents, exaltés, perroquets, meneurs du cléricalisme ».

Dans Le Finistère on constate les faits : « L'expulsion des sœurs du Saint-Esprit est chose faite », et on minimise la contestation : « sans autres incidents que des cris poussés par les mêmes manifestants qu'à Quimper ».

Et surtout les échauffourées de 1902 sont contextualisées par une résurgence des affrontements de la période révolutionnaire : « - Vous êtes des jacobins dégénérés ! ... Vous n'êtes que des chouans dégénérés ! » .


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En savoir plus : « Réactions et polémiques suite à l'expulsion des soeurs blanches, Journaux 1902 », espace "Journaux".




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