Billet du 14.06.2025
Le combat contre l'implantation d'un barrage électrique
La migration des derniers articles de l'espace "Mémoires des Papetiers d'Odet" de l'ancien site Internet est achevée. Deux d'entre eux, portant sur le même sujet, à savoir la proximité entre Odet et le Stangala, ciblé en 1928-29 par un projet de barrage électrique, ont été retenus pour illustrer le billet hebdo : la revue de presse (une quinzaine de coupures), ainsi que le dossier des interventions écrites de René Bolloré, ont été préparés et communiqués par Yves Léonus de Keronguéau.

À la lecture des journaux locaux (L'Ouest-Eclair, La Dépêche de Brest et de l'Ouest) et nationaux (Le Journal des débats), on s'aperçoit que le projet du barrage électrique au Stangala avait fait l'objet de protestation des journalistes, politiques et notables quimpérois, surtout pour des raisons de défense du lieu touristique et de la pêche. Mais aussi pour le risque de submersion des terres riveraines et des bassins de décantation de l'usine à papier d'Odet.
Mais ce qui est moins connu, c'est la forte implication de l'industriel René Bolloré et des riverains. Dès janvier 1929 le papetier formalise ses arguments auprès des municipalités d'Ergué-Gabéric et de Briec : « je proteste contre l'exécution de l'établissement d'un barrage dans le Stangala sur la rivière "l'Odet" ... car mes décantoirs et les terrains d'épandage ... seraient submergés d'un bout à l'autre de l'année, mais par suite ces eaux tomberaient directement à la rivière non épurées comme autrefois ».
Et René Bolloré évoque même des considérations d'hygiène publique : « sans compter qu'un si grand étang ou lac près de mon usine et de mes habitations ouvrières peut donner d'humidité et peut-être même des épidémies ».
En février 1929, il écrit à tout le monde, aux maires, au préfet (et son secrétaire général qui lui adresse quotidiennement des courriers), au ministre des Beaux-Arts, au président des Sociétés des Pêcheurs du Finistère, à Charles de Poulpiquet, à la Chambre de Commerce, et bien sûr à Sud-Finistère Électrique, filiale de la compagnie Lebon, ce malgré l'opération chirurgicale qu'il vient de subir : « Je regrette de ne pouvoir me déplacer actuellement, mais je suis au lit avec une crise d'appendicite ».
Même le maire d'Ergué-Gabéric met par écrit son désaccord sur le projet du barrage, bien qu'exprimant le souhait que l'usine hydraulique soit installée en aval plus près de Quimper : « dans ce cas, le département du Finistère et surtout ma commune devraient obtenir une diminution très appréciable du prix du courant électrique ».
Outre les arguments économiques du fait de la proximité de son usine, René Bolloré ne manque pas aussi de mettre en avant les risques sanitaires occasionnés par l’asséchement en aval du barrage : « la portion de rivière comprise entre le barrage situé à la pointe de Griffonez et le quai du Stéir ancien poste-séjour des résidus des égouts de Quimper pendant 19 heures - odeurs - typhoïdes ... ».
Il a également très probablement incité les riverains du Stangala à rédiger et signer une pétition, avec une insistance sur leurs statuts de père de familles nombreuses habitant de modestes penntis : « ces exploitations privées de fourrages et pâturages ne pourront plus nous fournir le lait et le beurre nécessaires et indispensables à nos familles nombreuses, ni continuer leur élevage ». Un total de 18 chefs de famille, rangés par nombre d'enfants décroissants (8 à 1) vont signer la protestation.
Au bout de ces protestations unanimes, relayées par les journaux, il y aura le décret du 6 juillet 1929 qui déclare l'éperon de Grifonnez comme site naturel classé. En 1930 il y aura quelques tractations et échanges de terrains entre la société Lebon et l'industriel Bolloré. Et le projet d'usine hydraulique sera définitivement abandonné.

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