1929-1930 - Le combat de René Bolloré contre le barrage du Stangala

En 1929, et début 1930, l'entrepreneur René Bolloré va lutter contre le projet de barrage de la société d'électricité Lebon, ce malgré une crise d'appendicite en février 1929.

Ce dossier, préparé et conservé par Yves Léonus de Keronguéau (avec également une revue de presse), est composé de 100 feuillets de courriers entre les administrations (préfecture, chambre de commerce), le représentant de la société de pêche, le propriétaire de Poulpiquet, l'industriel Bolloré et la société Lebon, et également la carte de la rivière entre le barrage projeté et la papeterie d'Odet, sans oublier la pétition des habitants d'Ergué-Gabéric.
En savoir plus : « Projet de barrage au Stangala, Journal des Débats et journaux régionaux 1928-29 » ¤ « 1919 - Déversoir et bassins de décantations de la papeterie d'Odet » ¤ « 1923 - Dossier de relèvement du barrage de la papeterie d'Odet » ¤ « 1925 - Conventions transactionnelles Le Ster Bolloré pour le relèvement du Kresquer » ¤ « Le site de la papeterie d'Odet et son alimentation en eau » ¤ « Le site naturel protégé du Stangala » ¤
Présentation
À la lecture des journaux locaux (L'Ouest-Eclair, La Dépêche de Brest et de l'Ouest) et nationaux (Le Journal des débats), on s'aperçoit que le projet du barrage électrique au Stangala avait fait l'objet de protestation des journalistes, politiques et notables quimpérois, surtout pour des raisons de défense du lieu touristique et de la pêche. Mais aussi pour le risque de submersion des terres riveraines et des bassins de décantation de l'usine à papier d'Odet.
Mais ce qui est moins connu, c'est la forte implication de l'industriel René Bolloré et des riverains. Dès janvier 1929 le papetier formalise ses arguments auprès des municipalités d'Ergué-Gabéric et de Briec : « je proteste contre l'exécution de l'établissement d'un barrage dans le Stangala sur la rivière "l'Odet" ... car mes décantoirs et les terrains d'épandage ... seraient submergés d'un bout à l'autre de l'année, mais par suite ces eaux tomberaient directement à la rivière non épurées comme autrefois ».
Et René Bolloré évoque même des considérations d'hygiène publique : « sans compter qu'un si grand étang ou lac près de mon usine et de mes habitations ouvrières peut donner d'humidité et peut-être même des épidémies ».
En février 1929, il écrit à tout le monde, aux maires, au préfet (et son secrétaire général qui lui adresse quotidiennement des courriers), au ministre des Beaux-Arts, au président des Sociétés des Pêcheurs du Finistère, à Charles de Poulpiquet, à la Chambre de Commerce, et bien sûr à Sud-Finistère Électrique, filiale de la compagnie Lebon, ce malgré l'opération chirurgicale qu'il vient de subir : « Je regrette de ne pouvoir me déplacer actuellement, mais je suis au lit avec une crise d'appendicite ».
Même le maire d'Ergué-Gabéric met par écrit son désaccord sur le projet du barrage, bien qu'exprimant le souhait que l'usine hydraulique soit installée en aval plus près de Quimper : « dans ce cas, le département du Finistère et surtout ma commune devraient obtenir une diminution très appréciable du prix du courant électrique ».
Outre les arguments économiques du fait de la proximité de son usine, René Bolloré ne manque pas aussi de mettre en avant les risques sanitaires occasionnés par l’asséchement en aval du barrage : « la portion de rivière comprise entre le barrage situé à la pointe de Griffonez et le quai du Stéir ancien poste-séjour des résidus des égouts de Quimper pendant 19 heures - odeurs - typhoïdes ... ».
Il a également très probablement incité les riverains du Stangala à rédiger et signer une pétition, avec une insistance sur leurs statuts de père de familles nombreuses habitant de modestes penntis [1] : « ces exploitations privées de fourrages et pâturages ne pourront plus nous fournir le lait et le beurre nécessaires et indispensables à nos familles nombreuses, ni continuer leur élevage ». Un total de 18 chefs de famille, rangés par nombre d'enfants décroissants (8 à 1) vont signer la protestation.
Au bout de ces protestations unanimes, relayées par les journaux, il y aura le décret du 6 juillet 1929 qui déclare l'éperon de Grifonnez comme site naturel classé.
En 1930 il y aura quelques tractations et échanges de terrains entre la société Lebon et l'industriel Bolloré. Et le projet d'usine hydraulique sera définitivement abandonné.
Transcriptions partielles
Courriers Bolloré de février 1929
Papeteries d'Odet. Odet le _ février 1929
Monsieur le Maire,
Je vous confirme ma lettre de protestation en date du 30 janvier 1929.
Je proteste contre l'exécution de l'établissement d'un barrage dans le Stangala sur la rivière "l'Odet" tel qu'il est prévu dans le projet déposé pour enquête à la Mairie d___ car d'après le plan d'eau, non seulement mes décantoirs et les terrains d'épandage servant actuellement à l'épuration de mes eaux résiduaires seraient submergés d'un bout à l'autre de l'année, mais par suite ces eaux tomberaient directement à la rivière non épurées comme autrefois, et je proteste donc d'autant plus contre la submersion de mes terrains d'épandage que, pour donner satisfaction à l'Administration des Eaux et Forêts à la suite d'un rapport des Ponts et Chaussées, j'ai dû acheter ces terrains fort chers et dépenser une forte somme pour y amener les eaux résiduaires et construire des bassins de décantation, afin d'éviter le déversement direct à la rivière des eaux nuisibles aux poissons et aux bêtes qui peuvent s'y abreuver.
Même lettre à la Mairie de Briec. Odet, le 30 Janvier 1929.
Monsieur le Maire d'Ergué-Gabéric près Quimper (Dpt)
Monsieur le Maire,
Après avoir pris connaissance du dossier concernant la création d'une chute d'eau dans le Stangala, je proteste énergiquement, non pas contre la création d'une chute d'eau dans le Stangala, mais contre le projet tel qu'il est établi, car son exécution entraînerait l'inondation totale de mes terrains industriels servant à la décantation et à l'épandage nécessaires à l'épuration de mes eaux résiduaires, ainsi qu'à mes récupérations de pâtes.
Paris, le 8 février 1929
Monsieur Layrle, Président de la Fédération Finistérienne des Sociétés de Pêcheurs à la ligne. 19, rue Bourg-les-Bourgs. Quimper
Monsieur,
J'ai bien reçu votre très intéressante lettre du 3 courant et ne puis qu'applaudir au résultat que vous avez déjà obtenu.
Le projet actuel de la Société du Sud-Finistère, dont 75 des actions sont possédées par Lebon, a pour moi, pour vous et l'agriculture un inconvénient considérable : c'est qu'il noie complètement les terrains d'épandage que j'avais organisés conformément à la mise en demeure des Eaux et Forêts, et ces terrains d'épandage étant les seuls qui soient situés en contre-bas de mes eaux usées, je serai désormais dans l'impossibilité de filtrer mes eaux avant de les rejeter à la rivière : voyez poissons, voyez abreuvage des bestiaux.
Je regrette de ne pouvoir me déplacer actuellement, mais je suis au lit avec une crise d'appendicite.
Je vous signale également que j'ai obtenu une protestation de tous les docteurs de la ville de Quimper contre la création de cette chute d'eau, qui est destinée à marcher en pointe, c'est-à-dire, pour fixer les idées, si on prend les mois de Juin, Juillet; Août, Septembre et Octobre, de 7 heures du soir à minuit, au moment des grands appels de courant mettant ainsi à sec, sauf entre 7 heures du soir et minuit, pendant quelque chose comme 19 heures, la portion de rivière comprise entre le barrage situé à la pointe de Griffonez et le quai du Stéir ancien poste-séjour des résidus des égouts de Quimper pendant 19 heures - odeurs - typhoïdes.
Pétition des habitants
Nous soussignés demeurant tous à QUÉLENNEC, St-GUÉNOLÉ en ERGUÉ-GABÉRIC
Déclarons tous protester énergiquement contre l'établissement d'un barrage par le Sud-Finistère Électrique dans le Stangala tel qu'il est indiqué par les plans déposés pour enquête à la Mairie de notre Commune, car si ce barrage est fait selon le projet et avec une si grande retenue d'eau, une bonne partie des meilleurs champs et surtout toutes les prairies naturelles situées dans la vallée de l'ODET et dépendant des fermes de QUELENNEC, St-GUENOLE, STANG-ODET, KERNOAS, KERBERON, GRIFFONES, seront complètement submergés et perdus pour lesdites exploitations agricoles et, par suite, ces exploitations privées de fourrages et pâturages ne pourront plus nous fournir le lait et le beurre nécessaires et indispensables à nos familles nombreuses, ni continuer leur élevage.
Courriers Poulpiquet, Griffonez
Coatveilvour, Fouesnant, Quimper, Finistère. 30 janvier 1919.
Monsieur le Ministre,
Comme propriétaire de la pointe de Griffonnès située en Ergué-Gabéric contre Quimper, je vous demanderai d'avoir la grande obligeance de classer d'urgence comme site pittoresque ce site du Stangala afin que nul ouvrage ne vienne dans l'avenir amoindrir sa beauté naturelle.
Le Stangala est visité par les touristes et aimé par les Quimpérois.
Veuillez recevoir Monsieur le Ministre l'expression de mes sentiments respectueux et reconnaissants.
Charles de Poulpiquet, Fouesnant, Finistère
30 Janvier 29
Chez Monsieur,
Votre chauffeur mettra ce soir à Quimper la lettre recommandée à la poste pour le ministre des Beaux Arts s'il n'est pas trop tard.
Je vous envoie le double de la lettre écrite au ministre.
J'espère que grâce à vos démarches nous n'arriverons pas trop tard.
Recevez chez monsieur l'expression de mes sentiments distingués.
Ch. de Poulpiquet
Position du maire d'Ergué-Gabéric
Avis du maire [2] à la suite de l'enquête sur le projet d'installation d'une usine hydraulique dans le Stangala
1° - Avis défavorable contre le projet actuel qui noie toutes les prairies des fermes et déséquilibre, par le fait même, l'exploitation des dites fermes.
2° - Demande le classement de la partie haute du Site du Stangala.
3° - S'il est absolument démontré que la création d'une chute d'eau soit d'utilité publique dans la partie des gorges du Stangala le plus près de Quimper (très au-dessous du Moulin du Poul) où le barrage ne refoulerait les eaux que sur des bois taillis.
En aucun cas, le remous ne devrait dépasser la pointe de Griffonès, et dans ce cas, le département du Finistère et surtout ma commune devraient obtenir une diminution très appréciable du prix du courant électrique.
Documents
Collection particulière de 100 folios de courriers manuscrits et tapuscrits (dont 96 ci-dessous datées de 1929 (4 datés de 1919 reproduits dans article séparé), 28 feuilles manuscrites de classeurs (transcription de coupures de presse), et 17 exemplaires originaux des journaux Ouest-Eclair, Dépêche de Brest et Journal des Débats politiques et littéraires (article séparé).
Fichiers PDF :
- [Carte annotée du Stangala]
- [Courriers Bolloré]
- [Sud-Finistère-Electrique / Lebon]
- [Société de pêche]
- [Poulpiquet, mairie et pétition gabéricoise]
- [Ministère et préfecture]
- [Chambre de commerce]
- [Dautresmes, préfecture]
Annotations
- ↑ Penn-ti, s.m. : littéralement « bout de maison », désignant les bâtisses, composées généralement d'une seule pièce, où s'entassaient avec leur famille les ouvriers agricoles et journaliers de Basse-Bretagne (Revue de Paris 1904, note d'Anatole Le Braz). Par extension, le penn-ty est le journalier à qui un propriétaire loue, ou à qui un fermier sous-loue une petite maison et quelques terres, l'appellation étant synonyme d'une origine très modeste. [Terme] [Lexique]
- ↑ En février 1929 le maire de la commune d'Ergué-Gabéric est le radical Jean-Louis Le Roux.
