1792-1797 - Pétition quimpéroise contre l'abolition des domaines congéables
Cette pétition, non datée, demandant le rétablissement des domaines congéables en Basse-Bretagne, suite à leur suppression en août 1792, existe sous forme manuscrite et imprimée, et sera déterminante pour le rétablissement de ce régime de fermage en octobre 1797 (loi du 9 brumaire de l'an VI).
Le manuscrit conservé à la Médiathèque de Quimper et numérisé sur son site, et l'imprimé de l'imprimerie d'Y. J. L. Derrien (signataire) numérisé sur le site Internet Gallica de la Bibliothèque Nationale de France.
Autres lectures : « 1789 - Le cahier de doléances du Tiers-Etat d'Ergué-Gabéric » ¤ « 1789 - Séances de la sénéchaussée de Quimper pour les cahiers de doléances » ¤ « RIHOUAY Gilles - Le domaine congéable et les communs de village » ¤ « 1786-1787 - Rapports médicaux sur le traitement de l'épidémie de dysenterie » ¤ « L'arbre généalogique familial des Bolloré, papetiers à Odet » ¤
Présentation
Le régime des domaines congéables, appelé aussi convenancier, est le contrat d'affermage appliqué systématiquement pendant l'ancien régime en Basse-Bretagne pour toutes les tenues agricoles, les propriétaires fonciers étant généralement nobles.
Ces contrats avec des variantes locales (ceux d'Ergué-Gabéric étant précisés « à l'usement de Cornouaille ») prévoient pour le domanier le paiement d'une redevance convenancière annuelle, généralement en nature (en mesures de céréales), l'exécution de corvées, et optionnellement une taxation dite « champart » [1] sur les récoltes. Et en contrepartie, le propriétaire doit payer des droits réparatoires couvrant les améliorations des édifices du fermier s'il est amené à le congédier.
À la révolution, de nombreux membres du tiers-état breton réclament la suppression du régime des domaines congéables, car « il participe de la nature des fiefs ».
Moins revendicatif, l'article 8 du cahier de doléances du Tiers-Etat d'Ergué-Gabéric, rédigé en 1789, demande simplement la conversion du régime convenancier en redevance censive simple, c'est-à-dire sans les corvées (et sans les impôts sur les récoltes) et sans le paiement des droits réparatoires : « Que les aides coutumières soient supprimées, toutes corvées déclarées franchissables, le fief anomal ou domaine congéable [2] converti en censive. »
En août 1792 une loi nationale décrète finalement la suppression des convenants dans les départements du Finistère, Morbihan et Côte-du-Nord, ceci pour permettre « l’abolition du régime féodal ». Cette mesure déclenche cette présente pétition adressée aux députés de la Convention par des « Citoyens Propriétaires & autres Habitans de la Commune de Quimper ».
Certains arguments sont un peu spécieux, voulant prouver l'existence du Domaine congéable bien avant l'arrivée du système féodal : « ces pratiques immémoriales dont l'origine se perd dans les siècles les plus reculés de la Nation Bretonne ».
D'autres raisons sont exposées : le droit de propriété, les pertes fiscales, le dynamisme agricole ... et même la corruption d'un certain député abolitionniste du Morbihan, propriétaire terrien, qui voudrait par l'abolition échapper aux paiements de droits réparatoires conséquents.
Les signataires sont des notables républicains de Quimper, des négociants, avoués ou commerçants, dont certains sont des propriétaires terriens qui se sont enrichis par les ventes adjudicataires des biens nationaux confisqués aux nobles.
Certains pétitionnaires, dont certains sont francs-maçons, sont liés à la commune d'Ergué-Gabéric : Mermet dit « notable »est le demi-frère de Mermet « le Jeune » (nouveau propriétaire du château du Cleuyou) ; Jean-Baptiste Laurent Le Breton, membre du Directoire du District, docteur en médecine en charge des épidémies locales (dont celle d'Ergué-Gabéric en 1786) ; René Bolloré est le syndic à Locmaria, ancêtre des Bolloré qui développeront la papeterie d'Odet quelques décennies plus tard.
Mais aucun habitant d'Ergué-Gabéric ne donne sa signature, ceci très certainement du fait que les nouveaux notables de la commune sont tous agriculteurs, et qu'ils ont souffert en tant que domaniers des effets néfastes des domaines congéables (redevances seigneuriales et aspects arbitraires des congéments). Ils préfèrent certainement l'abolition des convenants, lesquels vont subsister tout au long du 19e siècle avec une hostilité maintenue entre domaniers et fonciers, avant de disparaître définitivement en 1947 grâce à une loi à l'initiative du député communiste finistérien Alain Signor.
Transcriptions
Folios 1 à 5
LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ.
A LA CONVENTION NATIONALE.
PÉTITION
De Citoyens Propriétaires & autres Habitans de la Commune de Quimper, Département du Finistère sur la loi des 23 & 27 Août 1792, qui abolit la Tenure convenancière, ou à Domaine congéable dans les Départemens du Morbihan, du Finistère et des Côtes du Nord.
CITOYENS REPRÉSENTANS,
Un des grands avantages de la Liberté, & peut-être le plus essentiel est fans contredit que chaque individu a le droit d'éclairer le Gouvernement & de l'avertir de ses erreurs, d'autant plus inévitables dans un vaste état, qu'il y a plus de gens intéressés à le tromper.
Sur ce principe, une foule de malheureux propriétaires se proposoient de réclamer contre une Loi surprise à l'Assemblée législative, qui ruine au moins vingt mille pères de famille, sans aucun avantage pour la République, & qui
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bail est près d'expirer il s'arrange avec te propriétaire qui, moyennant une somme convenue qu'on nomme commission, lui donne une nouvelle assurance pour 9 ans, ce qu'on nomme baillée ; & l'on voit des tenues ainsi possédées de père en fils depuis des siècles par des renouvellemens de baillées ; il en est aussi qui sans renouvellement, font également possédées de père en fils, de temps immémorial, ce qui arrive quand le prix de la ferme n'offre pas un avantage à faire envier la tenue par un autre colon.
Mais si le domanier ne s'arrange pas avec le propriétaire, celui-ci est le maître de le congédier, soit par lui-même, soit par un tiers à qui il accorde la baillée.
On voit par cette explication que cette tenure est une espèce particulière de ferme & en a tous les caractères, nulle tradition du fonds réserve des bois de futaye, terme de 9 ans, tacite reconduction faculté au propriétaire d'augmenter le prix de la ferme ou de la commission à chaque renouvellement de bail ; la feule différence est que dans les simples fermes, le fermier n'acquiert rien, au lieu qu'en domaines congéables, le colon acquiert les droits réparatoires, à réméré ou rachat perpétuel mais aussi le fermier n'a-t-il rien à prétendre pour toutes les améliorations qu'il a pu faire pendant le cours de son bail, au lieu que le domanier est remboursé de toutes les siennes, si on veut le congédier.
La plus grande partie des moulins dans la ci-devant Bretagne est affermée à des conditions pareilles, ce qu'on nomme à grand renable ; le meunier paye en entrant tous les ustensiles du moulin généralement & eft chargé de toutes les réparations, & à l'expiration de son bail le propriétaire ou le fermier qui lui succède, les lui rembourse à dire d'ex-
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dix-neuf vingtièmes des propriétés rurales font ce titre & plus des trois quarts des revenus des fiefs étoient en domaines congéables, il est aisé de calculer ce qu'y perd la république.
Il est vrai que la plupart des seigneurs de fiefs, abusant de leur pouvoir, avoient assujetti leurs domaines congéables à des droits onéreux de féodalité ; mais c'étoit contre la nature de cette tenure, & le décret du 4 août 17S9 qui avoit supprimé ces abus, avoit remis ces Domaines à leur véritable place, celle de tous les autres propriétaires sans fiefs ni principes de fiefs.
L'abus des choses les plus honnêtes & les plus licites n'est certainement pas un motif de les proscrire ; car de quoi n'abuse-t-on pas ? Même de la liberté, & nous jurons tous de la défendre jusqu'à la mort !
Si la tenure à Domaine congéable est légitime par sa nature, comme on n'en peut plus douter, elle est aussi très avantageuse aux domaniers ; la prédilection des habitans de la campagne pour cette espèce de bien, en est une preuve convaincante, car ils connoissent leur interrêt mieux que personne & ils l'ont toujours préférée aux simples fermes ; l'aisance dont jouissent assez généralement les Domaniers ajoute à cette preuve. On distingue dans nos campagnes trois fortes d'habitans, les Domaniers, les fermiers & les journaliers ; on pourroit les comparer, savoir ; les Domaniers à ce qu'on appeloit sous l'ancien régime bourgeois aifss dans les villes ; les fermiers aux artisans & les journaliers à ceux qui, dans les villes n'ayant point de profession, n'avoient que leurs bras pour gagner leur vie. Les Domaniers sont donc la classe la plus aisée des campagnes, & ils préféroient les Domaines congéables même aux biens fonds ; cela ne doit pas surprendre ; l'argent qu'ils plaçoient en droits réparatoires, leur pro-
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ter pour le moment présent, tous les domaniers conviennent de l'injustice de ce décret de suppression. Nous aurons bientôt occasion de faire connoître une partie des manœuvres qui on été employées pour l'obtenir.
Mais quand il seroit aussi vrai qu'il est faux, que c'eut été le vœu général, ce décret de suppression nous osons le dire, n'en seroit pas plus juste. L'Assemblée constituante avoit déjà statué sur ce prétendu vœu général, & elle ne l'a voit pas fait d'urgence ! Elle avoit examiné scrupuleusement ces demandes, elle avoit consulté les Départemens de Domaines congéables, & ce n'est qu'après une ample discussion, & avec la plus grande connoissance de cause qu'elle avoit rendu le décret des 30 Mai, 1, 6, & 7 Juin 1791. Elle avoit donc reconnu l'injustice des prétentions des Domaniers dont aucune cependant n'étoit si exorbitante que le décret des 23 & 27 Août 1792. Comment donc l'Assemblée Législative a-t-elle pu, sans examen, sans aucune connoissance de cause, annéantir une Loi rendue avec tant de précautions ?
Mais, a-t-on encore dit, il étoit bien dur pour un pauvre colon de se voir congédier du lieu qui l'a vu naître, d'un bien que ses pères & lui ont amélioré ! Cela peut être vrai, mais est-il en cela de pire condition que tous les fermiers du monde ? Ce colon n'ignoroit pas qu'il n'étoit que propriétaire précaire de ses droits réparatoires, & qu'on avoit la même faculté de le congédier que tout autre fermier ; lorsque lui ou ses pères font entrés dans ce Domaine, ils savoient à quelle condition, volenti non fit injuria ; si on le congédie, ce n'est pas sans une juste & préalable indemnité ; on lui rembourse la valeur de ses édifices & superfices &
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II donnoit cependant de grands avantages aux Domaniers, mais tout le monde fut content.
Il n'y eût que ce même Député qui n'y trouva pas son objet principal ; il ne se tint pas pour battu, il demeura intriguer à Paris tout le temps de L'Assemblée législative. Dans un moment où la Patrie parut en danger, il écrivoit en son pays : il faut accorder tout aux paysans, [ ce sont ses termes, ] nous n'avons plus de ressource qu'en eux.
Il étoit cependant difficile de faire réformer une Loi aussi mûrement & aussi solemnellement délibérée que celle du mois de Juin 1791 ; s'il s'ouvroit une discussion les propriétaires en auroient eû connoiffance, & comme en 1791, ils auroient par des mémoires éclairé l'Assemblée Législative. Il falloit donc agir clandestinement pour ainsi dire, & tandis que les propriétaires se reposoient tranquillement sur la foi d'une Loi rendue en quelque façon contradictoirement entre tous les intéressés un rapporteur induit en erreur surprend un décret d'urgence, sous prétexte de féodalité.
Qui croira cependant que, si la Tenure convenancière avoit participé en quoi que ce soit de la féodalité, les quatre Comités réunis de féodalité, Constitution, Domaines, de Commerce & d'Agriculture ne s'en seroient pas apperçûs ?
Nous demanderons encore laquelle est la meilleure, & mérite le plus l'assentiment général de deux Loix rendues sur le même objet, dont l'une a été solemnellement discutée, & mûrement délibérée par des Législateurs qui en ont pris une connoissance scrupuleuse, & dont l'autre a été surprise à des Législateurs qui y sont tout à fait étrangers, & qui n'ont rien approfondi ?
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ou isolés, ils appartenoient entièrement aux propriétaires, & il n'y a qu'un abus d'autorité le plus condamnable qui ait pu les en dépouiller, pour en gratifier leurs fermiers.
ARTICLES VI ET VII
Ces articles portent qu'à « la réquisition de l'une des parties, les bois de futaie tels que chênes, ormeaux, hêtres, sapins & autres de même nature, qui se trouveront soit en semis, ou existans en rabines, avenues. ou bosquets, hors des clôtures des terres en valeur, seront estimés par experts, sur le pied de leur valeur, à l'époque de leur estimation, & les Domaniers ne seront pas obligés de paye de suite, ils payeront seulement l'intérêt du prix de l'estimation au denier-vingt, sur lequel encore ils retiendront l'impôt foncier, jusqu'au remboursement qu'ils ne seront que lorsque bon leur semblera ».
Quelle injustice ! Quoi, on nous force à vendre, à un prix arbitraire & à crédit, une propriété qui nous a peut-être coûté le double & que nous avons payée comptant ! Et c'est sous le règne de la Liberté, de l'égalité !
Sur tout ce qui concerne les bois dans ce décret, nous observerons que depuis long-temps on se plaignoit de la disette des bois, tant de construction que de chauffage ; la grande consommation que les circonstances actuelles occasionnent, en opèrent à peu-près la destruction ; mais nous osons assurer que, par ce décret, l'assemblée législative en tarit la source. Nos cultivateurs veulent jouir ; ils planteront bien des bois courants qu'ils espèrent couper eux-mêmes, mais ils ne planteront pas pour leur postérité ; les plantations coûtent beaucoup, & jamais ils ne se livreront à cette dépense.
Documents originaux
Lieu de conservation :
- Médiathèque de Quimper, réserve ancienne.
- Cote Ms 41.
Usage, droit d'image :
- Licence ouverte de réutilisation des données publiques.
- Décret n° 2017-638 du 27 avril 2017.
Lieu de conservation :
- Bibliothèque Nationale de France, Les archives de la Révolution française.
- Cote 9.2.32.
Usage, droit d'image :
- Licence ouverte de réutilisation des données publiques.
- Décret n° 2017-638 du 27 avril 2017.
Annotations
- ↑ Champart, s.m. : redevance seigneuriale, proportionnelle à la récolte. Droit féodal qu'a le seigneur de lever une partie de la récolte de ses tenanciers ; [¤source : Dictionnaire du Moyen Français]. [Terme] [Lexique]
- ↑ Domaine congéable, s.m. : mode de tenue le plus fréquent en Cornouaille et en Trégor au Moyen-Age pour la concession des terres. Ces dernières constituent le fonds et restent la propriété des seigneurs. Par contre les édifices sont concédés en propriété aux domaniers par le propriétaire foncier (généralement noble) qui peut, en fin de bail, congéer ou congédier les domaniers, en leur remboursant la valeur différentielle des édifices nouveaux ou améliorés. Cela comprend tout ce qui se trouve au dessus du roc nu, notamment les bâtiments, les arbres fruitiers, les fossés et talus, les moissons, les engrais. Ce régime qui ne sera pas supprimé à la Révolution malgré les doléances de certaines communes bretonnes, sera maintenu par l'assemblée constituante en 1791, supprimé en août 1792 et re-confirmé en 1797. [Terme] [Lexique]
- ↑ 3,0 3,1 et 3,2 Lods et ventes, s.m.pl, s.f.pl : redevances dues au seigneur en cas de vente d'une censive relevant de son domaine et payées par l'acheteur (lods) et le vendeur (ventes). Source : trésors Langue Française [Terme] [Lexique]
- ↑ Chefrente, s.f. : rente perpétuelle payable en argent ou en nature au seigneur suzerain par le détenteur d'un héritage noble. La chefrente était en principe immuable (Yeurch, histoire-bretonne). [Terme] [Lexique]