Billet du 13.07.2024

De GrandTerrier

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Indigents et aliénés dans un asile bas-breton


Cette semaine une thèse sur le traitement de l'aliénation au XIXe siècle en basse-Bretagne et le même constat d'inégalité sociale dans les mémoires de l'aliéné Jean-Marie Déguignet en 1902-1905.

Deux livres traitant du placement en asile aux XIXe et XXe siècles
Deux livres traitant du placement en asile aux XIXe et XXe siècles

À une lettre finale près, le nom-prénom de l'auteur du livre "Aliénés" publié en 2024 aux Editions du CNRS renvoie à un autre mémorialiste breton, l'auteur des légendes de la mort et premier éditeur des mémoires de Déguignet en 1905.

L'agrégé et docteur en histoire Anatole Le Bras (et non Braz comme son presque homonyme) a rassemblé ses recherches au croisement de l'histoire sociale et de l'histoire de la psychiatrie au XIXe siècle en se basant sur des trajectoires d'individus internés à l'asile Saint-Athanase de Quimper, l'hospice pour femmes de Morlaix et la Maison de santé de Ville-Évrard.

L'ouvrage est émaillé de statistiques, de remises en contexte des lois et politiques sociales, et surtout de nombreux témoignages d'internés et de soignants. Le patient Déguignet, qui a séjourné dans l'établissement de Quimper entre 1902 et 1905, est cité brièvement pour son appréciation du gîte et du couvert dont il bénéficie le confort en tant qu'indigent : « Pour moi, je n’ai jamais été si bien logé, ni mieux nourri de ma vie ».

Les mémoires de Déguignet sur sa fin de vie d'aliéné à l'hôpital au début de XXe siècle pourraient très bien illustrer encore le constat d'Anatole Le Bras : « La notion de dangerosité est suffisamment labile pour permettre d’agréger au domaine de la folie une grande diversité de tares, de pathologies et de déviances, mais aussi de formes de vulnérabilité  ».

Hôpital Civil de Quimper, dessin de Louis Le Guennec
Hôpital Civil de Quimper, dessin de Louis Le Guennec

Lors de ses séjours à l'asile Saint-Athanase de Quimper entre 1902 et 1905, après ses accès de folie et tentative de suicide, Déguignet a décrit longuement dans ses Mémoires le mode d'internement psychiatrique de l'époque sur plusieurs dizaines pages d'invectives et dans un long poème :

  • « Me voici échoué sur un lit d'hôpital» : ce sont les agents de police qui l'y ont amené.
  • « Étant déclaré fou, idiot, imbécile / Digne d'être admis parmi les alcooliques, / Parmi les insensés et les épileptiques » : les causes d'aliénation incluent de nombreuses tares sociales.
  • La mendicité est interdite par ailleurs : « Officiellement exclu de la société / Mis au ban des hommes et de l'humanité, / Que pourra-t-il désormais, sinon mourir de faim / N'ayant plus aucun droit de demander du pain ».
  • Interné à vie et dans l'indifférence : « dire à un pauvre vieillard de 68 ans ... étant officiellement déclaré fou par lui, il me serait impossible non seulement d'aller chercher du travail que je ne trouverais certes pas ... depuis il ne me parle plus. Il passe tous les matins devant moi sans même me regarder  ».
  • Subjectivité asilaire : « Alors on m'a jugé atteint de la manie / Des persécutions. Oui, toute ma vie / J'ai cruellement supporté des persécutions » ; « Si souffrir en silence est appelé manie, / Alors je suis bien fou, plus fou que la folie ».

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En savoir plus : « LE BRAS Anatole - Aliénés » et « La folie hospitalière selon Jean-Marie Déguignet », espaces "Biblio" et "Déguignet".




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