Marie Gourmelen, une écolière pensionnaire de 1917 à 1922
Ce témoignage a été recueilli auprès de Marie Gourmelen (épouse de Pierre Roumégou) par Gaëlle Martin et Jacqueline Le Bihan dans le cadre de l’exposition présentée par Arkae en juin 2004 : « Ergué-Gabéric et ses écoles ».
L’école primaire des filles « Notre-Dame de Kerdévot » a été ouverte au Bourg de 1898 à 1963. Elle a disposé d’un pensionnat. Elle était tenue par la Congrégation des Filles du Saint-Esprit. Ses locaux ont été, après la fermeture, occupés par le C.A.T. « Les Papillons Blancs », puis ont été transformés en « Résidence Bude-Stratton ».
C’est un témoignage parmi beaucoup d’autres, mais nous avons souhaité le publier parce que c’est, en la matière, le plus ancien de la commune. Ce document riche d’anecdotes, d’émotions, de précisions sur l’époque, ne peut que réveiller chez beaucoup des souvenirs vécus ou entendus dans les familles.
Autres lectures : « Marie Gourmelen, épouse Roumégou, 100 ans de dynamisme » ¤ « Pierre Roumégou (1910-1996), penn-talabarder et correspondant local » ¤
Témoignage d'écolière
Je suis entrée à l'école à l'âge de 9 ans, en septembre 1917. A cette époque, les enfants n'étaient pas scolarisés dès l'âge de leurs 3 ans comme aujourd'hui, et de plus, j'étais l'aînée, donc utile à la maison.
J'habitais dans un penn-ti à Kervéguen, ce qui fait que je fus mise en pension à l'école des filles du bourg : l'école Notre-Dame de Kerdévot.
Je suis allée à l'école dans le char à bancs des voisins, les EVEN, avec mes affaires de pensionnaire : literie, vêtements… Je me rappelle que je disposais de quatre blouses d'écolière et que je faisais trois jours avec une blouse. Mes autres habits étaient de simples habits paysans : la jupe, le gilet, le corsage et les sabots.
J'ai trouvé que les bâtiments de l'école étaient grands par rapport à ceux de la maison. Il y avait peut-être un peu plus de cent pensionnaires.
J'ai démarré l'école alors que la première guerre mondiale faisait rage. Je me souviens qu'il y avait un service mortuaire à l'église, tous les matins, pendant la messe, et qu'à l'école on priait pour les morts, et pour que le conflit s'arrête.
Il y avait deux classes, avec chacune deux divisions. La petite classe était dirigée par Sœur Yvonne et elle avait une salle spéciale pour apprendre à lire. La seconde classe était dirigée par Sœur Euphrasie, puis par Mademoiselle Monique, qui jouait du piano. Le matériel d'écolier (ardoise, craie, cahier, porte-plume…) était fourni par l'école.
Bien sûr, je ne parlais que breton en arrivant à l'école. L'apprentissage du français s'est fait tout doucement. Le français, c'était pour la classe, et le breton, pour le reste : la cour, le réfectoire… Pour moi, je n'ai pas de souvenir d'interdiction, de lutte, de punition contre l'usage du breton. La maîtresse traduisait la date en breton, le catéchisme se faisait en breton, parfois les prières (le "je vous salue Marie") et on lisait la "Vie des Saints" en breton.
La journée des pensionnaires commençait toujours ainsi : Sœur Félicienne réveillait le pensionnat par un vigoureux "Benedicamus Domino", auquel nous répondions par "Deo gratias". Les grandes étaient obligées de se rendre à la messe, qui durait une demi-heure et c'est seulement ensuite qu'elles pouvaient déjeuner. Le petit déjeuner se composait de café et de soupe. Mais il y avait plusieurs menus en fonction de l'argent laissé par les parents. Puis les filles allaient faire leur toilette et leur lit.
La rentrée en classe avait lieu à 9 heures, bien en rangs. On restait debout devant sa place et on disait la prière. La classe commençait par la récitation des leçons : géographie, histoire, poésie. Puis on passait à l'arithmétique. Ce que je préférais, c'était la dictée.
A la récréation, les filles sautaient à la corde, jouaient à la "raie" (marelle), à "mouchig dall" (colin-maillard). Elles faisaient la ronde en chantant : "Dansons la capucine…", "La Mère Michel", "Savez-vous planter des choux ?", "Compagnons de la marjolaine", "En passant par la Lorraine…".
Avec des noix ou des haricots, selon la saison, on jouait à "glouc" : on disposait dans un trou quelques noix ou haricots et on gardait le reste pour les lancer chacune à son tour : celle dont le projectile atteignait le trou remportait tous les haricots ou toutes les noix.
Après l'Angelus de midi, on sortait de classe et on se rendait au réfectoire. Les repas des enfants des ouvriers de la Papeterie (une vingtaine) étaient payés par BOLLORÉ. On appelait cela "la grande pension", car c'était un repas amélioré. Pour le reste des enfants (dont moi), les sœurs préparaient une soupe de légumes. Elles y ajoutaient les morceaux de lard que certains parents avaient laissés pour leurs enfants. La ration impartie à chacune était identifiée grâce à une tige de métal fichée dans chaque morceau de lard. Ainsi, chaque fille se voyait servir la quantité de viande laissée par les parents. Les parents laissaient aussi une ration de beurre. Mais chacune allait chercher son pain chez le boulanger du bourg : c'était marqué à la fois sur le carnet de la boulangère et sur un cahier individuel ; les parents payaient par la suite.
Il n'y avait pas de dessert.
Vers 1920-1921, tous les jeudis, une nouvelle religieuse, Sœur Cécilien préparait un ragoût de pommes de terre. On trouvait ça bon. C'est elle aussi qui a changé le système des fiches de métal dans les morceaux de viande : elle les marquait d'incisions différentes les unes des autres. Auparavant, les tiges de métal, qui rouillaient, devaient être nettoyées avec du sable dans la cour
Au printemps, je me rappelle que je pouvais acheter de la salade aux sœurs ; il y avait un grand potager, et aussi un verger à l'école. Pour l'assaisonnement, on achetait du sucre en poudre à la Boulangerie Balès, et on mangeait les feuilles de salade ainsi, avec un peu de sucre.
Après la classe, il y avait le goûter, puis nous allions à l'église. Nous passions devant l'école publique des filles, et on s'interpellait, elles et nous, avec des surnoms : "blevenn karotez", "tresadenn"… Et après, il y avait étude et repas du soir.
Après le repas du soir, l'hiver, on faisait le tour de la cour en courant et en chantant pour se réchauffer. L'été, on faisait des jeux. Le jeudi soir était le jour des travaux manuels. J'ai ainsi fait des coiffes pour ma mère. On faisait d'abord le filet, puis on le brodait. J'ai aussi brodé une nappe pour le pain noir, qui restait en haut de la table à la campagne. J'ai bien sûr fait du tricot.
On allait se coucher à 9 heures, été comme hiver. Il n'y avait pas de toilette avant d'aller se coucher. Mais nous passions devant les maîtresses qui, au peigne fin, cherchaient dans nos cheveux d'éventuels poux.
Le dortoir n'était pas chauffé. Chaque fille avait deux couvertures et un édredon.
Il n'y avait pas le droit de parler. Personne ne pleurait. Jamais je n'ai eu "le cafard". Je me rappelle quand même d'une fille qui avait fugué. Les maîtresses l'ont vigoureusement battue à son retour.
Le jour de congé, à cette époque, était le jeudi. L'après-midi était l'occasion d'une grande sortie : promenade sur toutes les routes d'Ergué-Gabéric, tout en chantant ou en discutant les unes avec les autres. Aux beaux jours nous allions nous baigner dans le Jet. La blouse servait de maillot.
Mes parents venaient me voir le dimanche. C'est alors que se faisait l'échange des vêtements. Ils me donnaient quelques sous. Et ainsi, le jeudi, je pouvais m'acheter des bonbons, que nous vendait une jeune fille, Zita, revenue se réfugier de Paris au bourg chez ses tantes.
J'ai quitté l'école à 13 ans et demi. Mon père était tombé malade. J'étais l'aînée. Je devais revenir aider à la maison. Je n'ai donc pas été au certificat d'études et ai ressenti de la tristesse quand les autres filles de ma classe sont revenues avec le précieux diplôme.
Ainsi furent mes courtes mais heureuses années d'école.
Marie GOURMELEN
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