Les deux juments du diable et le vieux soldat de Louis Philippe

De GrandTerrier

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Un regard croisé sur une superstition rapportée par un vieux soldat et racontée par Jean-Marie Déguignet.

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Extrait du 4e cahier manuscrit du paysan bas-breton, et transcription libre dans un almanach des traditions bretonne aux éditions Ouest-France.

Autres lectures : « Les 24 cahiers manuscrits de la seconde série des mémoires de Jean-Marie Déguignet » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Histoire de ma vie, l'Intégrale » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Contes et légendes de Basse-Cornouaille » ¤ 

Présentation

Au départ il y avait cet almanach des traditions bretonnes de Guy Ganachaud publié en 1984, où l'éphéméride du 15 décembre donne une légende qui aurait été racontée par un journalier gabéricois : « ancien soldat dans les armées du roi Louis-Philippe. Il a toujours affirmé avoir connu deux filles à soldats, qui avaient été précipitées dans "l'enfer froid" toutes vives. Elles y étaient devenues les juments du diable.  »

Et l'auteur de chambrer gentiment le conteur : « L'histoire ne dit pas si quelques moques de cidre, elles aussi, étaient passées par là », une moque étant une tasse à boire avec anse.

En réalité, l'histoire de ces juments nous était familière car elle vient bien d'un conteur gabéricois du XIXe siècle, en l’occurrence Jean-Marie Déguignet qui en a fait un texte sur les superstitions dans ses mémoires de paysan bas-breton : « Nous avions alors un vieux journalier qui logeait à la ferme. C'était un vieux soldat de Louis-Philippe qui n'avait rien appris pendant son congé [1], pas même à parler français. » Et la ferme en question était celle de Kermahonnec en Kerfeunteun où Jean-Marie avait été embauché en 1851-1854 après son enfance à Ergué-Gabéric.

Cet homme adorait raconter des légendes authentiques : « Ainsi, il disait avoir connu deux jeunes filles de mauvaises mœurs qui avaient été condamnées d'aller en enfer, où elles servaient de juments au diable ; il les avait vues voyager sous cette forme, toujours montées par de beaux cavaliers. »

Et ensuite il est question d'un maréchal-ferrant : « Le maréchal et ses assistants furent étonnés de voir que cette belle jument avait de jolis pieds de femme ; et elle dit au maréchal de lui mettre des chiffons entre les pieds et les fers ! Mais lorsque le maréchal entendit sa voix et comprit qui elle était, il dit : "Oh oui, te mettre des chiffons sous les pieds, à toi salopen ! Je vais te mettre des fers rouges, oui !" »

Et enfin la malédiction s'abattit sur l'imprudent : « cet ingrat et inhumain n'eut plus que malheur et misère le restant de ses jours, et on disait qu'il était encore damné par dessus le marché ».

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Transcriptions, fac-similés

Cahier n° 4, folio 57-58, et page 130 de l'Intégrale des Mémoires d'un paysan bas-breton :

Nous avions alors un vieux journalier qui logeait à la ferme. C'était un vieux soldat de Louis-Philippe qui n'avait rien appris pendant son congé [1], pas même à parler français. En revanche, il n'avait rien oublié, non plus, des superstitions de son pays. Il était de Briec, grand pays de légendes et de superstitions, on ne l'entendait jamais causer que de lutins, de couriquets, de revenants et des conjurations, et affirmait toujours avoir vu tout ce qu'il racontait. Ainsi, il disait avoir connu deux jeunes filles de mauvaises moeurs qui avaient été condamnées d'aller en enfer, où elles servaient de juments au diable ; il les avait vues voyager sous cette forme, toujours montées par de beaux cavaliers.

Un jour, une d'elles était arrêtée chez un maréchal-ferrant pour renouveler ses fers. Le maréchal et ses assistants furent étonnés de voir que cette belle jument avait de jolis pieds de femme ; et elle dit au maréchal de lui mettre des chiffons entre les pieds et les fers ! Mais lorsque le maréchal entendit sa voix et comprit qui elle était, il dit : « Oh oui, te mettre des chiffons sous les pieds, à toi salopen ! Je vais te mettre des fers rouges, oui ! », et il le fit, aux grandes exclamations de la damnée. Mais, en partant, elle dit au maréchal qu'elle se souviendrait de lui, et elle se souvint en effet, car cet ingrat et inhumain n'eut plus que malheur et misère le restant de ses jours, et on disait qu'il était encore damné par dessus le marché.

Almanach des traditions bretonnes de Guy Ganachaud, page du 15 décmbre :

15 décembre Sainte Ninon (Nina, Christiane, Chrétienne) et sant Yann Diarhen.

Déportée en Géorgie, vers les années 340, Ninon y prêche l'Evangile, parvient même à convertir le roi. (Sous le prénom de Nina, cette sainte est fêtée le 14 janvier).

LES JUMENTS DU DIABLE

La paroisse d'Ergué-Galéric, dans le Finistère, n'était pas seulement connue, au siècle dernier, par son pardon de Kerdévot — où l'on se restaurait si bien que l'on appelait parfois cette fête le « pardon de Kerfricot » ; elle avait un paroissien, journalier de son état, ancien soldat dans les armées du roi Louis-Philippe. Il a toujours affirmé avoir connu deux filles à soldats, qui avaient été précipitées dans « l'enfer froid » toutes vives. Elles y étaient devenues les juments du diable.

A plusieurs reprises, ces juments lui étaient apparues, que montaient de fringants cavaliers. L'histoire ne dit pas si quelques moques de cidre, elles aussi, étaient passées par là ...

Annotations

  1. 1,0 et 1,1 Congé : période de service militaire. Il était de sept ans à l'époque de Jean-Marie Déguignet.



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Thème de l'article : Ecrits de Jean-Marie Déguignet Création : déceembre 2023    Màj : 10.01.2024