Les coutumes bretonnes du mariage au XIXe siècle selon Déguignet

De GrandTerrier

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Dans ses mémoires de paysan bas-breton Jean-Marie Déguignet raconte son mariage en 1868.

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Il en profite pour détailler le cérémonial, les expressions bretonnes utilisées à l'époque. En remontant à son enfance en début de ses mémoires il évoque aussi la fonction de « bazh-banal » [1].

Autres lectures : « DÉGUIGNET Jean-Marie - Histoire de ma vie, l'Intégrale » ¤ « Recueil des bretonnismes de Jean-Marie Déguignet » ¤ « Lexique de bretonnismes repérés dans les mémoires et archives gabéricoises » ¤ « BABONNEAU Christophe et BETBEDER Stéphane - Mémoires d'un paysan bas-breton Tome 3 » ¤ « Les 24 cahiers manuscrits de la seconde série des mémoires de Jean-Marie Déguignet » ¤ « Le poème "L'Amour et la Mort" de Louise-Victorine Ackermann » ¤ 

Présentation

Quand il a à peine 10 ans, Déguignet apprend le métier de quémandeur par une mendiante professionnelle, laquelle exerce aussi la fonction d'arrangeuse de mariages ou porteuse de balai, « bazh-banal » [1] en breton : « Quand elle passait dans les fermes où il y avait des jeunes gens à marier, elle était fort bien reçue, parfois même on la faisait asseoir à table et on mettait devant elle le pain et le lard traditionnels, le plus grand honneur qu'on pouvait faire alors chez nous à un étranger. »

Quand lui-même se marie en 1868 à l'âge de 34 ans, voici comment il décrit les épousailles en Basse-Bretagne :

  • Le corps religieux réglemente les aspects sociaux, moraux et financiers du mariage : « les paysans bretons n'attachent aucune importance à ce mariage civil » ; « pourquoi je ne me soumettais pas au curé, pourquoi je n'allais pas me confesser » ; « il fallut aller à la sacristie avec témoins signer cet acte sacré et en payer le coût, 6 francs plus un pourboire qui est facultatif ».
  • Les dictons populaires confirment la puissance ecclésiale : « ils ont inventé un proverbe breton à l'usage des jeunes gens, qui dit qu'il faut la permission de l'Église pour mettre la chemise mâle près de la chemise femelle, "Ret eo caoud permission an n'ilis vit lakat ar rochet e kichen an n'binvich" ».
  • La fête des noces (« fricot » en breton) s'étend sur deux longues journées, avec le fameux retour de noces (« dilost fricot ») : « le fricot, le grand repas de noce qui devait durer deux jours » ; « la noce recommença, c'est ce qu'on appelle en breton an dilost fricot (retour de noces). »
  • La bague de mariage de la mariée est désignée sous le terme breton de "bride", ce qui illustre bien le sort réservé à la femme : « il me fallait encore aller à Quimper pour acheter la fameuse alliance, ar c'habest [2] (la bride) ».
BD de Betbeder-Babonneau, Mémoires d'un paysan bas-Breton, Tome 3 Le Persécuté
  • Les pièces pour les mendiants : « Nous allions alors, les mendiants, les chercheurs de sous sur le passage dans l'endroit le plus étroit du chemin avec une bonne corde qu'on attachait à travers le chemin et quand le mab nevez ou la merc'b nevez arrivait, on leur criait : « Arc'bant craon pe ar verc'h an traon » (Argent de noix ou la nouvelle mariée en bas). Et des sous tombaient, puis on baissait la corde. »
  • La coutume de la "soupe au lait" (connu pour sa chanson éponyme), un prétexte pour faire irruption dans la chambre nuptiale : « La maison du reste était pleine de monde, de gens vieux et jeunes, venus assister au coucher des nouveaux mariés, ar zouben dar lez (la soupe au lait) ».
  • Et enfin un dernier bretonnisme avec cette magnifique expression de "friter en amour" [3], le verbe « fritañ » signifiant frire, claquer, gaspiller, dépenser exagérément : « nous n'avions pas eu le temps de flirter, ou de friter en amour [3], comme on dit en breton. ».

Texte d'origine

Cahier n° 2, pages 68-69 de l'Intégrale des Mémoires d'un paysan bas-breton, chapitre 2. Le mendiant (1844-1848) :

Le métier de mendiant

[…] Mes premières tournées furent donc excellentes. Pendant trois jours consécutifs, le temps nécessaire pour faire le tour de la commune, j'apportai à la maison plein les deux bouts de ma besace de farine d'avoine et de blé noir. Cependant je m'aperçus bien vite que ma conductrice, à son état de mendiante professionnelle, elle joignait d'autres métiers tout aussi lucratifs. D'abord elle était le journal vivant et ambulant de la commune, dans laquelle elle connaissait toutes choses et tout le monde ; puis elle faisait l'agent matrimonial qu'on appelle en breton bas vanel [1]. Aussi, quand elle passait dans les fermes où il y avait des jeunes gens à marier, elle était fort bien reçue, parfois même on la faisait asseoir à table et on mettait devant elle le pain et le lard traditionnels, le plus grand honneur qu'on pouvait faire alors chez nous à un étranger. Enfin, au bout de cinq à six semaines d'apprentissage, pensant connaître assez bien le métier, et trouvant que la vieille commère s'arrêtait trop longtemps dans certaines fermes, je pris le parti d'aller seul pour achever plus vite mes tournées hebdomadaires, car il était de règle de n'aller qu'une fois par semaine dans chaque ferme.

Cahiers n° 11 et n° 12, pages 357-365 de l'Intégrale des Mémoires d'un paysan bas-breton, chapitre 3. Les tristes noces  :

[…] j'allai voir à l'auberge où devait avoir lieu le fricot, le grand repas de noce qui devait durer deux jours. Là on était inquiet, car du côté de la cure on leur assurait que ce repas n'aurait pas lieu puisqu'on ne me marierait pas. Mais du côté de Toulven où étaient les plus intéressés, on leur assurait qu'il aurait lieu. Le débitant, qui avait gros à gagner dans ce fricot, me dit pourquoi je ne me soumettais pas au curé, pourquoi je n'allais pas me confesser, une chose si simple et [ qui] ne coûte rien. « Pour vous autres, lui dis-je, je sais que cela n'est rien. Mais pour moi, c'est la chose la [plus] grave du monde puisqu'il s'agit de mentir et de trahir, mentir à ma conscience et trahir tout le monde, y compris Dieu lui-même s'il eût existé. Non, pas d'hypocrisie, pas de mensonge, ni de trahison. ]'ai donné ma parole pour aller à Toulven, mais tel que je suis. Si on ne veut pas de moi comme ça, qu'on me rende ma parole et tout sera dit. D'abord, je vais voir encore là-bas, car il faut que cela finisse d'une façon ou d'une autre. »

Mais à Toulven, je trouvai tout le monde dans les mêmes dispositions, attendant avec impatience le grand jour. Je vis l'homme de confiance des seigneurs châtelains et je lui parlai des difficultés qu'il y aurait de la part du curé. « Le curé, dit-il, mais c'est un des clients du château, un commensal et un bon. Ne vous inquiétez pas de ça, allez, monsieur et madame vous ont agréé et vous attendent avec impatience, par conséquent le curé vous mariera quand même que vous seriez le diable en personne. » C'était bien ce que je pensais. Les curés bretons et les seigneurs nobles sont toujours de paire. Ne vivant tous que du sang et de la sueur du peuple, il faut bien qu'ils s'entendent pour le saigner et le faire suer le plus possible. Et là, les curés ont aujourd'hui l'avantage sur les nobles, puisque dans ce métier d'exploitation de l'ignorance, ils sont brevetés, payés et protégés par les lois et le gouvernement. Maintenant je ne voyais plus d'obstacle à la consommation du sacrifice car on était convenu que le mariage civil se ferait le dimanche, et on était au vendredi.

Annotations

  1. 1,0 1,1 et 1,2 Bazh-vanal, sf. : littéralement "bâton de genêt". Nom breton de l'entremetteur(se) qui arrangeait les mariages dans les campagnes et qui portaient symboliquement un bâton de genêt. [Terme BR] [Lexique BR]
  2. 2,0 et 2,1 Ar c'habestr : la bride. Désigne la bague de la fiancée jusqu'au mariage. Cette bague est ensuite désignée par le mot gwalenn. (Heusaff (Alan), Geriaoueg Sant-lvi, éd. Hor Yezh, 1996).
  3. 3,0 3,1 et 3,2 Friter en amour, exp. : traduction littérale de « fritañ ar garantez  ». Le verbe fritañ signifie frire, claquer, gaspiller, dépenser exagérément. [Terme BR] [Lexique BR]
  4. « Ret eo kaout permision an iliz, evit lakaat ar roched e-kichen an hiviz » : « Il faut obtenir la permission de l'église, pour mettre la chemise d'homme à côté de la chemise de femme.»
  5. Mourmelon-le-Petit : commune voisine du camp de Châlons, où J.-M. O. prit le train pour revenir en Bretagne. Voir annexe 27.
  6. « Deus Abraham, Deus Isaac et Deus Jacob vobiscum sil et ipse conjungat vos empleat que benedictionem suam in vobis. Alleluia, alleluia sacramentu hoc magnum est in Christo et in Ecclesia. » : « Que le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob soit avec vous, et qu'il vous marie, et qu'il vous illustre de sa bénédiction sur vous. Alleluia, alleluia, ce sacrement est grand dans le Christ et dans l'Église. »
  7. Saint Alor, troisième évêque de Cornouaille, est le saint patron de la paroisse d'Ergué-Armel.
  8. An dud nevez : les gens nouveaux (littéralement). Expression désignant les jeunes mariés.
  9. Liard : vieille monnaie de cuivre. Un liard vaut le quart d'un sou.
  10. Mab nevez : nouveau fils (littéralement). Merc'h nevez : nouvelle fille (littéralement). Expressions désignant les jeunes mariés.
  11. Marie-Renée Rospart, née en 1862 avait 6 ans. Elle fut enterrée le 11 octobre 1868 (tables décennales d'état civil, AMQ).
  12. El amigo Don Saluarez : l'ami Don Salvarez, ami mexicain de J.-M. D., rencontré durant la campagne du Mexique.
  13. L’amico Orticoni : l'ami Orticoni, ami corse de J.-M. D., rencontré à Aix-en-Provence, à l'issu de la campagne du Mexique. Voir note 416, deuxième partie.
  14. Saint Alexis : ermite de la fin du IV' siècle. Il s'enfuit de la maison paternelle par horreur du mariage.
  15. Il s'agit de Antoine de La Hubaudière, âgé de 79 ans au recensement de 1866 (ADF, 2 M 267). Les De La Hubaudière possédèrent Toulven avant les Malherbe de La Boixière. Leur relation de parenté n'est pas établie.



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Thème de l'article : Ecrits de Jean-Marie Déguignet Création : Septembre 2023    Màj : 18.10.2023