Le pardon de Notre-Dame de Kerdévot
Le présent article rassemble les témoignages relatifs au pardon de Kerdévot, ses traditions et coutumes, recueillis depuis le 17e siècle jusqu'à nos jours, ainsi que les œuvres d'artistes et de photographes illustrant ces rassemblements populaires.
Autres lectures : « Les bannières paroissiales de saint Guinal, ND de Kerdévot, Tonkin, saint Michel et Fatima » ¤ « ST CHARLES BORROMÉE Alexandre (de) - Le voiage de Rennes à Brest et son retour » ¤ « GOURCUFF Olivier (de) - Anthologie des poètes bretons du 17e siècle » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Histoire de ma vie, l'Intégrale » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Mémoires d'un paysan bas-breton (Revue de Paris) » ¤ « Un peintre "persona non grata" à Kerdévot, Le Quimpérois 1842 » ¤ « KERDÉVOT 89, Association - Kerdévot, livre d'or du 5e centenaire » ¤ « Kemperiz e Kerzevot, Quimpérois à Kerdévot, Feiz ha breiz 1870 » ¤ « Pèlerinage à Notre-Dame de Kerdévot, l'Impartial du Finistère 1871 » ¤ « Pardonerien e Kerdevot, Pardon à Kerdévot, Feiz ha breiz 1871 » ¤ « Carnets d'Anatole Le Braz sur Jean-Marie Déguignet et Ergué-Gabéric » ¤ « Chapelle et pardon de Kerdévot, cartes postales Villard, 1880-1910 » ¤ « Raphaël Binet, photographe du pardon de Kerdévot, v. 1930 » ¤ « CERHEG - Bulletin Intron Varia Kerzevot » ¤ « ROUZ Bernez - La chapelle Notre-Dame de Kerdévot » ¤ « ALLOUIS Jean - St-Evarzec, d'hier à demain » ¤
Frère Alexandre, poème, vers 1669
Cité dans l'Anthologie des poètes bretons du XVIIe siècle d'Olivier de Gourcuff, frère Alexandre de Saint Charles Borromé a composé ce poème de 1538 vers de 8 pieds « ST CHARLES BORROMÉE Alexandre (de) - Le voiage de Rennes à Brest et son retour » dans lequel le sieur de La Marche de Kerfors est sollicité par son invité pour l'accompagner au petit pardon de Kerdévot, une semaine après Pâques.
Mais marchons vers cette chapelle.
La Marche prens ton alemelle
Et moy je prendray mon baston,
N'oubly de porter un teston,
Car en de pareille assemblée
Faut boire quelque coup d'emblée,
Allons d'abord nous prosterner
Devant la vierge et luy donner
Nostre cœur, la priant sans cesse
Qu'elle auprès de Dieu s'intéresse
Pour nous obtenir le pardon,
De tout c'est là le meilleur don ;
Un prestre la messe commance,
Nous augmantons son assistance.
La messe dite, nous sortons,
De ce lieu nous nous transportons
Pour voir ce grand amas de monde
Qui dans ce lieu ce jour abonde ;
Un nombre de processions
Font icy leurs incessions ;
Je me souviens de trois ou quattre,
Que je nommeray pour m'ébattre :
Ellian, et Landrevarzec,
Les deux Ergué, surtout Briec,
Qui vient enseignes déployées,
Tambour battant, cinq croix levées,
Est celle qui paroîst le plus.
Bref ce n'est qu'un flux et reflux
De processions qui arrivent,
De processions qui dérivent ;
Il est temps que nous alions voir
S'il ne pourroit point y avoir
Quelque morceau de boucherie
Dans une pauvre hôtellerie
Et goûter si le vin est bon,
À cecy tous disent bonbon,
Cinq ou six de la connoissance
De La Marche, font révérance
Et s'associent à nostre écot,
Disant vouloir donner leur pot ;
Nous nous fourrons dans une grange,
L'un de l'autre proche se range,
Guérot messager de Morlaix,
Prend proche de moy son relais,
Un autre près du sieur La Marche ;
Une pièce de bœuf l'on hache,
Aussi bien qu'un morceau de lard
Tirant par la queue le renard
Car vous scavez que telle viande
N'est pas ce que le cœur demande ;
Donc sortons de ce lieu sortons
Avecque l'hoste nous contons
L'escot n'est pas de conséquence,
La Marche en paye cette dépense,
La compagnie nous dit adieu,
Et à Dieu nous disons au lieu
Jean-Marie Déguignet et presse, récits 1840-68
Trois extraits des Mémoires de Jean-Marie Déguignet : « Histoire de ma vie, version intégrale » (publiée par l'association Arkae en 2001) et « Mémoires d'un paysan bas-breton présentées par Anatole Le Braz » (Revue de Paris en 1904-1905).
Suivis d'un entrefilet paru dans un journal local : « Un peintre "persona non grata" à Kerdévot, Le Quimpérois 1842 »
Revue de Paris 1904, pages 833-834
Vint enfin la vieille fille, mon institutrice, qui prétendit que c’était un sort qu’on m’avait jeté, par jalousie, à cause que j’étais plus savant que les enfants des riches. Il fallait donc, selon la béate fille, trouver quelque chose de divin pour combattre la puissance diabolique, et, pour cela, elle ne trouva rien mieux que promettre une bonne chandelle à Notre-Dame de Kerdevot, qui, en ce temps-là, était en grande faveur dans toute la Basse-Bretagne, et qui était justement dans notre commune. Elle conseilla aussi d’aller chercher quelques bouteilles d’eau à la fontaine qui était auprès de la chapelle de cette bonne vierge, puis elle me dit de réciter le plus souvent possible des pater et des ave à l’adresse de cette divine mère, qu’elle allait elle-même supplier dans ses propres prières. Elle alla chercher deux bouteilles d’eau à la fontaine miraculeuse. Je récitai plusieurs pater et plusieurs ave, après avoir dégusté, matin et soir, un verre de cette boisson miraculeuse qui devait être, surtout à cette époque, plus propre à communiquer des maladies qu’à les guérir. En ce temps-là, Notre-Dame de Kerdevot jouissait d’une réputation et d’une vogue extraordinaires, à peu près comme celles dont jouit plus tard, à la Salette et à Lourdes, la Vierge de l’Immaculée Conception. Tous les enfants scrofuleux, les teigneux, tous les hommes et les femmes affligés de plaies variqueuses ou cancéreuses allaient se plonger dans cette fontaine et y décrasser leurs plaies. Ma mère et la vieille fille me recommandèrent surtout d’avoir la foi et une grande confiance dans le Sauveur du Monde et en sa divine mère. De la foi, j’en avais alors de quoi transporter toutes les montagnes, et ce fut sans doute, comme disait la bonne fille, cette foi solide qui me sauva autant, sinon plus, que l’eau de la fontaine de Kerdevot.
Au bout de deux mois, je fus complètement rétabli, et je fus conduit par la vieille et ma mère, pieds et tête nus, porter une chandelle de vingt sous à la Vierge.
Intégrale 2001, page 117 (enfance)
Il me reste encore à citer une autre sorte de légendes : celles concernant les miracles dont notre chapelle de Kerdévot était alors le siège principal ; au temps où la Dame de ce lieu s'appelait simplement Mère de Dieu (Mam Doue), avant que Pie None en eut fait l'Immaculée Conception. À cette époque cette Mam Doue faisait plus de miracles à elle seule que tous les saints et saintes du Finistère.
À tous les pardons, on voyait arriver des gens, non seulement du Finistère, mais de tous les coins de la Bretagne et probablement d'ailleurs. Et tous ces gens venaient là apporter les dons pour des miracles accomplis, ou faire des avances pour ceux à accomplir. Les pièces d'argent et d'or pleuvaient là comme neige. Des ceintures de chandelles jaunes dites chandelles bénites, faisaient plusieurs fois le tour de l'église. Des quantités de cierges de tous les calibres, des charretées de blé, des porcs, des moutons, des gros bœufs et des chevaux. Tout ça était vendu à l'encan et bien cher, car tout le monde voulait en avoir.
Toutes ces choses, je les voyais bien, puisque j'allais alors à tous les pardons, mais de miracles je n'en voyais pas. J'entendais un prêtre, du haut de la chaire, citer quantités de noms de gens guéris de toutes sortes d'infirmités, mais je n'en connaissais aucun et n'en voyais aucun. Je voyais, au contraire, une multitude d'infirmes se traîner sur les genoux nus et faire ainsi plusieurs fois le tour de l'église en priant à haute voix ; je les voyais aller à la fontaine laver leurs membres tordus ou gangrénés, et je les voyais partir comme ils étaient venus. Et l'année après, je les voyais encore revenir plus infirmes que jamais. Ah ! il y en avait là, le soir, des individus que bien des gens auraient pris réellement comme ayant été miraculés. J'ai déjà parlé de ces malins que l'on voyait le matin faire les manchots, les paralytiques, les aveugles et les culs-de-jatte, et qu'on voyait le soir se mesurant à coups de pieds et à coups de poings avec les meilleurs gars.
Intégrale 2001, page 325 (1868)
Après avoir copieusement dîné chez le maire, j'allai faire un tour jusqu'au pardon où je vis que rien n'était changé. À l'entrée, je revis les mêmes affligés et les mêmes paralytiques bordant les deux côtés du chemin et appelant à tue-tête avec les intonations jérémiques et jalimiques la pitié des passants, des béquillards, des manchots, des culs-de-jatte, d'autres montrant des plaies horribles et hideuses souvent entretenues à dessein pour exciter la pitié, d'autres affligés d'une demi-douzaine de gosses en guenilles et rangées artistiquement par rang de taille sur la paille ou la fougère. Et c'était au nom de Dieu et de Marie, sa mère, la Notre-Dame de Kerdévot que ces malheureux imploraient la charité et c'était aussi au nom de ces mêmes fictions qu'ils la recevaient, l'humanité n'y était pour rien. Ce n'était pas une aumône que ces malheureux recevaient, c'était de l'argent placé à gros intérêts puisque les donateurs devaient recevoir en grâce et en indulgence le centuple, comme il est dit dans les Évangiles : « Et Timothée dit : "Le riche qui donne, s'amasse aussi pour l'avenir un trésor placé sur un bon fonds." »
L'aspect de ce grand grand pardon était toujours tel que je l'avais vu autrefois. L'esplanade était entièrement couvertes de débits et de longues tentes blanches, lesquelles étaient remplis de gens buvant des camots (café mêlé d'eau-de-vie, du breton mikamo) et demi-camots, c'est-à-dire de l'eau noircie mêlée de la plus mauvaise eau-de-vie. Je voyais encore des hommes et des femmes tournant autour de la chapelle, les uns debout, les autres se traînant sur leurs genoux. Ici, je pouvais constater cependant malgré les épithètes dont on gratifie les Bretons au sujet de leur ignorance, de leur fanatisme, que j'en avais vu d'autres peuples plus ignorants et plus fanatisés encore, aussi bien chez les chrétiens de toutes sectes que chez les mahométans. J'avais vu les moujiks russes se traînant à deux genoux pour se rendre au saint Sépulcre en suivant, soi-disant, la Voie Douloureuse et se brûler le front, les seins et autres parties du corps avec des bouts de chandelle allumés au feu du Saint-Esprit. J'avais vu au Mexique des femmes se traînant à genoux, les jupes relevées à la suite du carrosse d'un évêque pansu et j'avais vu, un Vendredi Saint, imiter toutes les scènes de la passion avec un pauvre bougre qui se laissait faire comme s'il eût été le Christ. On ne peut pousser plus loin les folies de la religion. Je voyais cependant qu'à Kerdévot les miracles avait baissé car il n'y avait pas autant de sacs de blé, de moutons, de bœufs et de génisses que j'en avais vu autrefois, offerts par des miraculés et par ceux qui demandaient à l'être. Cela provient sans doute de ce que cette Dame, malgré ses nombreux enfants, ne peut pas tenir plusieurs maisons de commerces à la fois. Ici, en Bretagne, elle en a tenu successivement plusieurs, grâce à sa mère sans doute qui en est la patronne, mais toutes elles tombent en décadence, les unes après les autres, surtout depuis que cette grande industrielle a porté le centre de son industrie dans les Pyrénées (allusion à Lourdes).
Le Quimpérois, 27 août 1842
Les cultivateurs du pays se forment les idées les plus bizarres sur tout ce qu'ils voient. Dans l'année 1840, au moment où la guerre générale semblait inévitable, et qu'on rappelait sous les drapeaux les jeunes soldats des classes libérées, un artiste dessinait au pardon de Kerdévot les costumes bretons si nombreux et si variés dans cette assemblée considérable.
Bientôt le bruit se répandit qu'il travaillait par ordre du gouvernement, et dans l'intérêt de la conscription. L'artiste, averti que cette opinion prenait de plus en plus de consistance, disparut prudemment. Il craignit, avec juste raison, d'être la victime de quelque méprise.
Il avait pensé que les bretons, si patients ordinairement et d'un caractère si inoffensif, n'entendent aucune espèce de raillerie en matière de conscription.
Eugène Boudin, croquis 1855-57
Etude réalisée par Denis Delouche et parue dans la brochure "Kerdévot Ergué-Gabéric" de 1989 à l'occasion du 5e centenaire de la chapelle de Kerdévot.
Les croquis au crayon (et un pastel) avec pour certains des touches d'aquarelle ont été exécutés par Eugène Boudin, peintre d'Honfleur, lors de ses voyages en Bretagne vers 1855-57.
Ils sont conservés au Cabinet des Dessins du Louvre. Intégralité des 23 croquis sur Kerdévot : DELOUCHE Denise - Eugène Boudin au pardon de Kerdevot. Le peintre crayonnait probablement dans l'idée de préparer un tableau sur Kerdévot, et ce tableau est peut-être celui qui a été exposé au Havre en 1858 sous le titre "Un pardon près de Quimper", oeuvre non retrouvée à ce jour.
Presse locale, 19e, Pèlerinages 1870-71
Feiz ha Breiz, 1er août 1870
Scrifa a rer deomp euz an Erge-Vraz, pe Erge-Gaberic
KEMPERIZ E KERZEVOT
Savetaet eo ar Frans ! ! Setu komzoù ur vamm gristen d'he bugale, pa zistroas eus Kerzevot, an ugent eus ar miz-mañ. Savetaet eo ar Frañs ! ! pa 'z omp deut pelloc'h da grial war-zu an Itron Varia.
Petra 'zo bet eta a-nevez e Kerzevot an ugent eus ar miz-mañ ? Petra ? Un dra gouest da roiñ fizians d'ar re o deus kazi he c'hollet. Ur gerik eta eus an deiz kaer-se.
...
Ar c'helou mat 'zo deut hep dale. Korf arme ar prusian Fritz 'zo bet dispennet gant hor jeneral Vinoy, en deiz memes ma teuas Kemperiz d'ar Gerzevot.
An Itron varia a selaouas en deiz-se he bugale, na ehano mui d'o selaou ken na zeuio da vezan gwir ar c'hri leun a feiz d'eus ur vamm gristen d'he bugale en distro d'eus Gerzevot. Savetaet eo ar Frans, pa 'z omp deut pelloc'h d'en em droiñ war-zu an Itron Varia.
Ur C'hrouadur da Itron Varia Kerzevot.
Feiz ha Breiz, 13 mai 1871
Eur pardoner, bet e chapel Itron-Varia Kerdevot d'ar 4 euz ar miz, a scrif deomp kement-ma :
Pardonerien bet e Kerdevot d'ar 4 a Vae 1871
...
Eur planken marbr guenn eo, kizellet varnezhan a lizerennou aour ar c'homzou-ma evelen :
+
Merk a Anaoudegez vad
da
I.-V KERDEVOT
Evit ar skoazel
E deus teurvezet rei
D'hor Soudardet, Mobilet,
Ha Mobilizet.
1871.
Articles en espace Presse : « Kemperiz e Kerzevot, Quimpérois à Kerdévot, Feiz ha breiz 1870 », « Pèlerinage à Notre-Dame de Kerdévot, l'Impartial du Finistère 1871 », « Pardonerien e Kerdevot, Pardon à Kerdévot, Feiz ha breiz 1871 ».
Feiz ha Breiz, 12 avril 1871
Nouvelles religieuses
Pèlerinage à Notre-Dame de Kerdevot
Jeudi dernier, 4 avril, dès le matin, de nombreux pèlerins se rendaient de Quimper à Notre-Dame de Kerdévot, en la paroisse du Grand Ergué.
Le but du pèlerinage était de remercier la Sainte-Vierge d'avoir veillé sur nos jeunes gens partis pour l'armée et de les ravoir ramenés sains et saufs dans leurs foyers, et aussi de prier pour ceux qui avaient succombé.
La chapelle, un des plus jolis monuments de nos environs, était ornée comme dans ses plus beaux jours de fête. L'étranger pouvait surtout admirer le beau retable de l'autel représentant les principales circonstances de la vie de la Sainte-Vierge. La foule des pieux pèlerins était si grande que la chapelle ne suffisait point à les contenir. Mais, grâce à la sagesse prévoyante de M. le Recteur, les messes se succédèrent sans interruption pendant toute la matinée et ainsi tous les pèlerins purent satisfaire à leur aise leur dévotion. A neuf heures fut célébrée la messe du pèlerinage par M. l'abbé de Lézéleuc, chanoine titulaire et grand vicaire de Quimper.
Parmi les assistants, on remarquait des membres des familles des plus honorables de notre bonne ville de Quimper, et des représentants de toutes les classes de la société : tous les rangs se trouvaient là confondus, le pauvre était agenouillé à côté du riche et tous n'avaient qu'une seule et même pensée : prier Marie, la remercier des grâces reçues et demander sa puissante protection ... Dans le chœur, près des prêtres, accourus pour unir leurs prières à celles des fidèles, se faisaient remarquer les braves militaires de l'ambulance de Saint-Joseph qui, tous, même les blessés, avaient tenu à faire le pèlerinage et à donner ainsi à Marie une preuve de pitié et d'amour. Pendant le saint sacrifice de la messe les cantiques bretons alternèrent avec les hymnes latines, chantées par le chœur de demoiselles de Saint-Corentin.
Anatole Le Braz, carnets, 1899
Les carnets du mémorialiste évoquant Déguignet et Ergué-Gabéric : « Carnets d'Anatole Le Braz sur Jean-Marie Déguignet et Ergué-Gabéric ».
(carnet ED, pages 42-45 numération intérieure)
« Nous arrivons à Kerdévot la veille du pardon. Je m'assieds pour prendre ces notes sur le vieux banc de pierres déjetées qui entoure le piédestal du calvaire, très haut sur base, ce piédestal avec ses deux étages séparés par une frise qui est comme un enguirlandement de vigne autour du monument. Le 2e étage se compose de vides, quatre sur chaque face Sud et Ouest, 2 sur chaque face Nord et Sud. Les trois croix se dressent au-dessus de la plate-forme, le christ au sommet de la médiane, face à l'Ouest, deux anges courbés, recueillant dans des calices les gouttes du précieux sang ...
Le clocher est d’une sveltesse extraordinaire et pointe très haut au dessus des arbres. On le voit de la montée de tout à l’heure aigü et clair au-dessus des grandes verdures de la vallée boisée où est située la chapelle à mi-versant. Deux fermes sont de part et d’autre : l’une un ancien manoir avec un très grand porche, l’autre masquée derrière un rideau de pins...
J'ai assisté à vêpres, adossé au pilier qui, dans une embrasure, porte un St-Edern sur un cerf, déguisé en St-Eloi. Sanctuaire agricole, du reste, que ce Kerdévot.»
- Dans le bas-côté de droite est la statue de St-Eloi, avec son cheval blanc, près de lui, et, dans le bas-côté de gauche, lui fait face St-Fiacre, en moine vêtu de bure grise, sa pelle dans sa main droite. La Vierge de Kerdévot toute dorée est assise sur un trône dominant le rétable. des gens se confessent. Un paysan tient l'harmonium. - Les hommes sont debout ; les bannières droites dans la balustrade. L'une d'elles, blanche, avec une image en or est l'Intron Varia Kerzevot. D.E.D. On lui a mis derrière une Vierge de Lourdes qui, bientôt sans doute la supplantera. Une autre bannière de velours écarlate représente St Corentin en rouge et en jaune, avec mitre d'or, et St Guénolé, tout en blanc, blanche la mitre, protégeant un jeune enfant en robe. - Au dessous, dans un cartouche, Tonkin, 1885. Elle a été offerte par Signour. D'autres vieilles bannières aux tons plus fanés.
- La quête ; des paysans avec des plats de cuivre sculptés. - Des vieux tout courbés, d'allure hésitante et lourde. Cela serait ridicule ailleurs. Les enfants, appuyés à la balustrade. Un paysan circule, allumant les cierges des femmes. Puis la procession se déroule par le chemin qui fait le toir du placître. - Pendant les vêpres, j'entendais des fragments de psaumes : "Nigra sum, sed formosa ... etc ...".
Le chêne est, à lui seul, un monument, avec de grandes plaies, de vraies grottes dans son écorce, et les bossèlements de ses racines qui forment des sièges naturels. Dans des charrettes, brancards à terre, sont des barriques qui attendent pour demain.
La fontaine sacrée est située dans un champ labouré, à 300 mètres environ de la chapelle, dans la direction du levant. Elle est très monumentale, en forme de voûte surmontée d'un faitage triangulaire en forme de tympan, accolé de deux clochetons. L'image de la Vierge et de l'Enfant-Dieu, en pierre, très vieille, très fruste. Des petites croix de bois, à ses pieds, sur son socle, mises sans doute par des pèlerins. Le fond tapissé de débris de faïences. Un pavé devant la fontaine et deux petits bassins où, autrefois, on se baignait les pieds ».
Joseph Villard, cartes postales vers 1910
Nous disposons de quelques cartes postales du photographe quimpérois mettant en scène Kerdévot et son pardon au début du 20e siècle.
Raphael Binet, photos 1920-30
Article du site GrandTerrier, en rubrique patrimoine : "Raphaël Binet, photographe du pardon de Kerdévot, v. 1930"
Le Musée d'Art et d'Histoire de Saint-Brieuc a présenté une exposition intitulée et parmi les photos exposées on peut admirer des photos prises au pardon de Kerdévot en Ergué-Gabéric dans les années 1920-30.
Raphaël Binet, né en 1880, fils de photographe, pratiqua très jeune la photographie. Après une première installation en Normandie, puis à Paris, St-Brieuc, il s'installe à Rennes d'où s'est attaché à parcourir la Bretagne pour saisir, surtout à l'occasion de Pardons, les derniers témoignages de la vie traditionnelle bretonne.
Jean Guéguen, 20e, Commission d'Histoire 1980
Article de la brochure éditée en 1980 par la Commission Extramunicipale de Recherches Historiques d'Ergué-Gabéric : CERHEG - Bulletin Intron Varia Kerzevot. Le texte a également été repris dans l'ouvrage Kerdévot 89.
Réjouissance et Pénitence, double visage des Pardons.
Outre le grand pardon de septembre qui attire encore des milliers de pèlerins, on célébrait à Kerdévot au début du siècle de nombreuses bénédictions, pèlerinages et foires qui avaient la particularité d'être à la fois des cérémonies religieuses et des fêtes profanes.
Le calendrier qui suit montre clairement que de mars à septembre les pardons et autres fêtes offraient à la population d'Ergué-Gabéric et d'ailleurs de multiples occasions de se rencontrer autour du célèbre sanctuaire.
- Jeudi saint (fin mars, début avril) : Pèlerinage de silence.
- Quasimodo (1er dimanche après Pâques) : Petit pardon.
- Veilles de l'Ascension (fin mai) : Jours des Rogations.
- Saint-Jean (24 juin) : Pardon des chevaux.
- Assomption (15 août) : Procession.
- Nativité de la Vierge (Dimanche suivant le 8 Septembre) : Grand Pardon.
- Lendemain de Nativité (Lundi du pardon) : Foire.
- Immaculée Conception (8 Décembre) : Foire aux gages.
Nous vous invitons à examiner le déroulement de quelques-unes de ces festivités, telles qu'elles nous ont été décrites par les anciens de la commune d'Ergué-Gabéric.
Une cure de silence le Jeudi-Saint
Ce jour-là, par monts et par vaux, sous tous les temps, les pèlerins d'Ergué et de toutes les paroisses avoisinantes se dirigeaient nombreux vers la chapelle de Kerdévot. Rarement seuls, par groupes de trois, quatre et parfois plus, ils s'y rendaient à pied, en silence, priant et méditant.
Arrivés à Kerdévot, ils commençaient par faire trois fois le tour de la chapelle, puis y rentraient accomplir leurs dévotions à Notre-Dame, certains complétant leur oeuvre de pénitence par un chemin de croix.
Le retour au foyer se déroulait de la même manière que l'aller. Lorsque des groupes se croisaient, ils se saluaient d'une simple inclination de tête, afin de ne pas troubler la méditation de chacun.
Il arrivait parfois que des gamins facétieux se cachaient sur le chemin des pèlerins, derrière un talus ou un bosquet, et essayaient, d'une façon ou d'une autre, de les faire parler, chose qui, à notre connaissance, n'arriva jamais.
Les chevaux de sortie à la St-Eloi
Chez le peuple breton, la dévotion à saint Eloi existe dans la plupart des paroisses et il est vénéré comme patron de la race chevaline. Saint Eloi est venu comme un saint conquérant et il a sans doute absorbé à son profit le culte attaché jadis à certains de nos saints oubliés.
Une confusion demeure du reste quant au vrai pardon des chevaux à Kerdévot. En effet, on peut voir dans la chapelle la statue de saint Théleau monté sur son cerf, saint qui, en d'autres lieux, a protégé les chevaux. Pendant de nombreuses années, l'inscription Saint Théleau était changé en Saint Eloi, sans doute d'un fabricien bricoleur qui manquait de culture religieuse.
C'était à la fin juin, le dimanche qui suivait le jour de la Saint-Jean, qu'avait lieu de pardon des chevaux de Kerdévot. De grand matin, arrivaient de toute la région des centaines de chevaux, juments et poulains.
Et le carousel des chevaux commençait, dessinant autour de la chapelle une parade de toute beauté. Il est à noter que, si la procession des pèlerins s'en allait d'abord du côté de l'évangile (côté calvaire) et s'en retournait par le côté de l'épître (côté route), l'itinéraire inverse était par contre suivi par les chevaux.
Après cette procession hippique, le prêtre bénissait les chevaux rassemblés sur le placître. Ensuite, les cavaliers et surtout les propriétaires assistaient à la messe qui était dite en l'honneur de saint Eloi.
Avec la mécanisation de l'agriculture, les chevaux ont pratiquement disparu et le pardon de St-Eloi est tombé en désuétude. On a bien essayé de le remplacer par la bénédictions des chevaux ... vapeurs (tracteurs et voitures), mais saint Christophe n'a jamais eu le pouvoir d'attraction qu'avait saint Eloi.
Des domestiques aux gages des fermiers
Contrairement aux journaliers qui se louaient pour quelques journées, les domestiques et bonnes de ferme travaillaient durant l'année pour le même propriétaire.
Avant le 1er de l'an, chacun, domestique et fermier, choisissaient les partenaires de travail qu'ils allaient fréquenter l'année suivante. Et le choix était facilité par de grandes réunions qui se tenaient généralement durant le mois de décembre et qu'on appelait foire aux gages.
A Kerdévot, sous les grands chênes qui ombrageaient le parvis, il se tenait chaque année une foire aux gages très prisée. Elle se déroulait le 8 décembre, fête de l'Immaculée Conception. Les domestiques de la commune et des environs venaient s'y gager auprès des propriétaires de fermes. Ceux et celles qui ne trouvaient pas satisfaction ce jour-là allaient à Quimper le samedi suivant à la grande foire aux gages de saint Corentin. Et le lendemain de Nöel, le 26 décembre, celui qui s'était gagé allait goûter la soupe" chez son futur patron.
Le grand pardon
Le grand pardon de Kerdévot qui se célèbre le dimanche après le 8 septembre est le plus renommé, le plus fréquenté des environs de Quimper. C'est par excellence le pardon du pays "glazik". Avec les paroissiens d'Ergué-Gabéric, les habitants des communes voisines s'y rendaient et s'y rendaient toujours en grand nombre. Il en venait même de fort loin, de Briec et ses environs, Laz, St-Goazec, du pays Fouesnantais, et de la Bigoudénie.
Comme dans tous les pardons de Basse-Bretagne, celui de Kerdévot a ses coutumes et traditions que nous allons découvrir. Pendant un certain nombre de décennies, voire de siècles, le pardon s'est déroulé pareil à lui-même, avec ses propres règles, depuis les préparatifs indispensables jusqu'à la procession finale, sans oublier les festivités profanes et les dévotions religieuses.
La préparation de la fête
Dès le jeudi précédant le jour du pardon, arrivaient déjà les premier cabaretiers et saltimbanques. Et les préparatifs allaient bon train, surtout dans l'après-midi du samedi où l'animation était à son comble.
La préparation des plats du pardon, soupe au pain et ragoût de boeuf et lapin aux pruneaux, n'était pas une mince affaire. Pendant la nuit entière, on nettoyait les chaudrons, faisait le café, épluchait les légumes et apprêtait le feu. Le plat de ragoût était vendu 3 francs vers 1925-30 et l'assiettée de soupe un franc.
Les anciens Gabéricois se souviennent des fidèles animateurs du pardon de Kerdévot, sous les bâches de leurs stands, comme par exemple Laurent Rocuet du Réunic, Pierre Le Berre de Lenhesq, Chann Déo de Lestonan, Pierre Le Roux du Bourg qui amenait également son débit de tabac.
Depuis la matinée du samedi, ceux qui avaient la lourde tache de préparer le pardon restaient sur le lieu même de Kerdévot. En effet, si aujourd'hui les moyens de locomotion permettent aux pardonneurs de rentrer chez eux après chaque office, il n'en était pas de même il y a une cinquantaine d'années et plus.
On s'y rendait en chars-à-bancs, et surtout à pied. Les chemins et sentiers étaient fort nombreux, mais par contre il y avait peu de routes. Si certains pouvaient rejoindre Kerdévot en chars-à-bancs, d'autres, ceux qui par exemple venaient de Langolen ou Landudal, laissaient leurs attelages à Kernaon et poursuivaient leur route à pied. Ceux du Bourg empruntaient une voie charretière, dite Garn-ar-Groas-Var, qui rejoignait la route d'Elliant au Reunic.
Les pardonneurs venaient de Briec, côté Moncouar, franchissaient l'Odet sur le pont de l'Ecluse, passaient par Coat Piriou, Guilly-Vien, l'Hostalari (Garsalec), Kervernic, Quénécrasec, Stang-Kerdilès, Kernéno et arrivaient enfin ) Kerdévot. Quant à ceux du quartier d'Odet, ils avaient également leur sentier particulier, par Pen-Carn-Lestonan, Kervreyen, Kernaou, Mézanlez, Menez-Kerdévot.
Ces chemins et sentiers étaient peu praticables par temps de pluie, et il fallait grimper sur les talus pour éviter certaines garennes boueuses. Aussi était-il courant de voir des pèlerins avec deux paires de chaussures (ceux qui en disposaient), une paire pour la route et l'autre que l'on chaussait en arrivant à Kerdévot.
Les dévotions religieuses
Sanctuaire de dévotion, la chapelle l'était certes, à en juger par le nombre de pardonneurs qui, dès cinq heures du matin, attendaient l'arrivée des confesseurs. Ces derniers étaient des prêtres des paroisses voisines qui venaient aider le clergé local pour la journée du pardon. Les messes avaient lieu toutes les heures, de 5 heures à 11 heures, heure de la grand'messe.
Les pèlerins étaient légion à se confesser, certains même faisant le tour de la chapelle à genoux, en récitant le chapelet, soit par pénitence, soit à la suite d'un vœu. On voyait aussi aux abords des portes de la chapelle et des grilles de l'enclos, des mendiants et des estropiés, implorant la miséricorde et quémandant l'aumône.
Autrefois, les pèlerins de la région bigoudène arrivaient en fin d'après-midi à Kerdévot, après avoir visité les chapelles de la Vierge Marie dont le pardon se déroulait le même jour. A la chapelle de Notre-Dame de la Clarté (Intron Varia ar Kléred) en Combrit, ils assistaient à la première messe du matin. Puis ils se rendaient à Notre-Dame de Basse-mer (Intron Varia Izel Vor) à la Forêt-Fouesnant pour la grand'messe. Après s'être restaurés, les pèlerins reprenaient la route, et, par Carn-Yan et Troyallac'h, arrivaient à Kerdévot pour assister aux Vêpres.
Ce pèlerinage, dit des "trois Marie" (d'an terur Vari), se faisait pour accomplir un voeu, voeu de remerciement pour une guérison, ou pour la demander. Il fallait avoir une foi très vive pour accomplir un tel trajet, à pied naturellement, à travers champs et sentiers.
Pendant la journée du pardon, la fontaine "Intron-Varia-Kerzevot", située dans le pré aux boeufs de la légende, était l'objet de nombreuses visites, souvent en processions. Selon la tradition, ses eaux guérissaient du catharre (inflammation des muqueuses) et de la fièvre. De plus, lorsqu'une mère manquait de lait pour son nourrisson, elle venait à la fontaine, la nettoyait, et en reconnaissance de ce soin, la bonne Dame de Kerdévot lui accordait la grâce de pouvoir allaiter abondamment son poupon.
Le jour du pardon, bon nombre de pèlerins y jetaient des pièces de monnaie, en formulant un voeu. Aussi, parfois avant même que le pardon et les festivités soient terminées, on voyait des gamins et certains adultes aller discrètement à la fontaine, retrousser leur pantalon et leurs bras de chemise, puis pénétrer dans la fontaine pour récupérer l'argent.
L'Ancien Cantique de Kerdévot de 1712 relate plusieurs cas de guérisons extraordinaires obtenues à Kerdévot. Plus près de nous, dans un rapport que le recteur d'Ergué-Gabéric adressa à l'Evêché, il est question d'une guérison subite et extraordinaire due à l'intercession de Notre-Dame de Kerdévot le jour du Grand Pardon de 1849.
Voici ce qui s'y est passé ce jour-là : une fillette d'Edern, Marie-Anne Jaouen, née en 1836, avait perdu l'usage de la parole en 1845 à la suite d'une maladie. Quatre ans plus tard, le père de cette fillette, voyant approcher le pardon de Kerdévot, promit d'y envoyer sa fille, et que si Notre-Dame de Kerdévot lui faisait recouvrer la parole, il ferait vendre au profit de la chapelle le cheval qui l'y aurait portée.
Vers deux heures de l'après-midi, au second coup des cloches, le père voyant que sa fille ne parlait toujours pas lui dit qu'il fallait prendre le chemin du retour. Et alors la fillette répondit distinctement qu'ils avaient bien encore le temps.
La fête profane
Les pardonneurs arrivés tôt le matin à Kerdévot y restaient généralement toute la journée. Après avoir fait leurs dévotions à Notre-Dame et mis leur âme en paix, il fallait songer à la nourriture du corps. Et de fait, rien ne manquait pour remplir sa panse et épancher sa soif.
Celui qui en possédait les moyens pouvait faire ripaille, goûter au ragôut, boire le cidre, même du cidre nouveau pressé spécialement pour le pardon. D'ailleurs, le pardon de Kerdévot était connu pour les agapes et ripailles de ses pèlerins. Et l'usage en était si ancré qu'on donnait au pardon le nom peu orthodoxe de "Kerfricot'.
Si les pèlerins pouvaient goûter à la grande chère, la plupart des pardonneurs, de condition modeste, déjeunaient sur l'herbe dans l'enclos. Pour tout viatique, ils n'avaient en général que des crêpes de froment et de sarrazin, avec parfois un soupçon de beurre, et comme boisson l'eau de la fontaine.
Les vêpres terminées, les gens se dirigeaient vers le placître. Là, sous les frondaisons, on se cherchait, se regroupait entre familles, entre amis. On s'installait sur les bancs des débits de boisson, et devant un verre de café, c'était le plaisir de se retrouver, parfois depuis le dernier pardon.
Et l'on contait les nouvelles de la famille : naissance, mariages, départs, ..., celà était surtout l'apanage des femmes. Les hommes eux parlaient de moisson, c'était l'époque du sarrazin (blé boir), d'autres récoltes à venir : pommes de terre et pommes à cidre. La chasse tenait aussi un grand rôle dans les conversations, l'ouverture étant proche.
Les enfants, pendant ce temps, faisaient le tour des boutiques foraines, grimpaient sur les chevaux de bois, ou regardaient le manège des nacelles aériennes (casse-gueules). Là-haut, jeunes gens et jeunes filles tournaient, virevoltaient dans le ciel, bien attachés sur leur siège. Les cris de joie ou de frayeur se mêlaient à la musique que déversait l'orgue de barbarie du manège.
Ailleurs, des loteries et des bonimenteurs alléchaient les pèlerins en exposant de "magnifiques" lots. Plus loin, des boutiques, véritables bazars où l'on trouvait de tout. Des boites à musique dont les enfants tournaient consciencieusement la manivelle. De longues baudruches colorées que l'on faisait tournoyer des deux mains.
Tout cela, mêlé au bruit confus des conversations, faisait une belle cacophonie que dominait de temps à autre le bruit des pétards. C'était une ambiance de kermesse qui terminait en beauté le pardon.
Ceux ou celles qui n'avaient pas pu assister au pardon, soit trop âgés, trop jeunes, handicapés ou malades, n'étaient pas oubliés pour autant. Le pardonneur se faisait un devoir de leur ramener le "lodenn ar Pardon" (part du Pardon), un chapelet, une bougie ..., ou encore quelques gâteries. Aussi le retour du pèlerin était attendu avec impatience, surtout par les enfants qui accouraient à sa rencontre, lui réclamant des friandises du pardon.
Les processions
Le grand moment du pardon de Kerdévot a toujours été la procession après les Vêpres, souvent présidées par Monseigneur l'Evêque ou l'un de ses vicaires généraux. De tout temps cette procession fut très suivie.
Elle était traditionnellement annoncée par des volées de cloches, et soudain tout le monde s'animait, s'affairait, les uns pour y participer, les autres pour y assister. C'était d'abord la longue théorie des bannières, des saintes figures avec les hautes croix d'or et d'argent.
Elles se rangeaient, et la procession des pèlerins partait. Au milieu du long ruban de spectateurs, la procession s'allongeait faisant sa promenade annuelle sur le territoire de Notre-Dame, elle-même, un peu tremblante, portée par quatre jeunes filles, tout de blanc vêtues, en costume de gala : gants blancs, robes et tabliers brodés de grandes fleurs d'or et d'argent.
L'élégance s'alliait merveilleusement à la beauté et à la richesse des costumes parmi lesquels dominait la couleur bleue de roi du costume Glazik orné de parements de velours. Voici enfin qu'arrivait le reliquaire porté par de jeunes diacres, le clergé et la grande foule des pèlerins chantant le cantique de Notre-Dame.
Si actuellement la procession de Kerdévot n'a lieu que le dimanche du pardon, au début du siècle, il y avait par contre plusieurs processions durant l'année : le 15 août, le samedi de la veille du pardon, celles des Rogations ... Pendant la journée du dimanche du grand pardon, deux processions étaient organisées : la première avant la grand'messe, et la plus importante après les Vêpres.
La nomination des porteurs et porteuses d'enseignes était faite selon certains critères ou coutumes. Les gens de condition modeste, ceux des penn-ti, étaient nommés pour les processions autres que celles du dimanche du grand pardon, alors que pour les dernières on désignait des paroissiens qui avaient un rang social plus élevé.
Pour porter certaines bannières, croies ou statues, il fallait remplir des conditions précises. Soit par exemple : pour la statue de Notre-Dame, avoir 17 ans dans l'année ; pour la statue de sainte Anne, être mariée depuis moins d'un an ; pour la bannière du Tonkin, avoir fait son servic emilitaire ; pour la grande croix d'or, avoir passé la cinquantaine ...
Il était d'usage, chez les porteurs d'enseigne, d'offrir son obole à Notre-Dame, comme remerciement de sa nomination qui était considérée commz un immense honneur.
Les métamorphoses du pardon
Depuis quelques temps, le pardon de Kerdévot se modifie peu à peu, prend un autre visage. Tout d'abord, après la seconde guerre mondiale, vers 1946, c'est la mise en place d'un podium extérieur, contre le calvaire, pour que davantage de pèlerins puissent assister aux offices.
Vers 1960, on essaie une timide reprise de la procession interparoissiale avec la participation des paroisses de Langolen et Landudal. Depuis 1976, le pardon commence le samedi soir par un office et une retraite aux flambeaux autour du placître, mais par contre la procession du matin a été supprimée.
Actuellement, on peut dire que le pardon de Kerdévot offre deux visages : celui du samedi soir, plus fervent, plus recueilli, et celui du dimanche qui garde son air de fête. S'il a perdu un peu de l'éclat qu'il avait autrefois, il est toujours réconfortant de constater qu'il attire toujours les foules , et ...
Les chants anciens et les costumes
Vains souvenirs remisés
Boites à reliques et coutumes
Peuvent être un jour déterrés.
Bernez Rouz, 19e-20e siècle, Jos Le Doaré 1987
- Extrait de la brochure éditée en 1987 par la maison Jos Le Doaré : ROUZ Bernez - La chapelle Notre-Dame de Kerdévot.
XIXe-XXe siècles
C'est l'apogée de la civilisation rurale en Basse-Bretagne. Les paysans s'enrichissent La population augmente jusqu'en 1911. Les chemins s'améliorent et Kerdévot reste le pardon le plus couru des environs de Quimper. Plusieurs cérémonies attirent les foules à Kerdévot.
Le pèlerinage du silence, le Jeudi Saint : les pèlerins venaient à pied à la chapelle et il était interdit de parler.
Le pardon des chevaux, le 24 Juin, sous l'évocation de saint Théleau. Les chevaux, et jusqu'aux années 60 les voitures, étaient bénies. Cette cérémonie fort spectaculaire se déroulait comme un carrousel autour de la chapelle.
Le Grand Pardon se célèbre le deuxième dimanche de septembre, pour la nativité de la Vierge. Il y avait grand affluence de cabaretiers, de marchands et de saltimbanques. Les cérémonies religieuses débutaient à cinq heures le dimanche matin, et se succédaient toutes les heures. Une bonne dizaine de prêtres confessaient sans discontinuer de cinq heures à midi.
Parmi les pèlerins, les plus méritants étaient certainement ceux qui effectuaient le pardon des trois Marie : première messe à Notre Dame de la Clarté à Combrit, deuxième messe à la Forêt-Fouesnant (Intron Varia Izel Vor) et Vêpres à Kerdévot. Celles-ci avaient un reflet particulier puisqu'on y venaient de toutes les communes avoisinantes, bannières en tête pour la Grand Procession jusqu'à la fontaine. Les costumes glazik et melenik rivalisaient dans le chatoiement.
Aujourd'hui, bien sûr, moins de monde, moins de costumes, moins d'animation, mais Kerdévot attire toujours plusieurs milliers de personnes et tous s'accordent à dire qu'après une période de désaffection Kerdévot retrouve une nouvelle jeunesse.
Jean Guéguen, début 20e, Kerdévot 1989
Article de l'ouvrage collectif édité en 1989 pour le cinquième centenaire de la chapelle: Kerdévot 89.
Le pardon N.D. de Kerdévot autrefois
Il fallait voir tout de suite après la guerre de 1914-1918, les centaines de charabans alignés le long des talus à l'intérieur des champs autour de Kerdévot, ceci pour que les chevaux soient à l'abri du vent et du soleil. Les propriétaires de ces champs étaient consentants, c'était la coutume, et d'ailleurs ils ne faisaient que suivre l'exemple de leurs aînés. Le pardon commençait le veille par un office en début d'après-midi, auquel assistait déjà beaucoup de monde. La chapelle restait ouverte toute la nuit et était éclairée par de nombreux cierges que l'on brûlait à l'intention de N.D. de Kerdévot. Cette coutume avait pour but d'accueillir les pèlerins venant parfois de fort loin et qui repartaient à pieds aussitôt qu'ils avaient assisté à une messe basse vers la chapelle de N.D. de la Clarté à Combrit pour être présents aux Vêpres là-bas. C'était une tradition beaucoup suivie du temps de nos aînés et même encore tout de suite après la guerre de 1914-18. Les deux pardons sont célébrés le même dimanche de septembre.
Ces courageux pèlerins avaient un itinéraire par des chemins de traverse qui leur faisaient un raccourci non négligeable. De Kerdévot, l'on se dirigeait vers le pont du moulin du Dréau, ensuite Troyallac'h, la route de Quimper à Concarneau, Croix-Kerriou, puis l'arbre du Chapon (ces lieux étant situés à St-Evarzec), de là, la route en direction du Moulin du Pont et celle de Quimper à Bénodet. Avec un battement de 7 à 8 heures entre les deux offices, ils avaient largement le temps, à condition d'être en bonne santé.
La tradition d'aller en pèlerinage à la chapelle de N.D. de la Clarté par les Elliantais remonte fort loin dans le temps. On y envoyait aussi les enfants ayant un problème avec la vue, ou simplement pour qu'ils aient une bonne vue. Cette chapelle est située sur le territoire de la paroisse de Combrit pas très éloignée de Bénodet. D'ailleurs, c'est par le bac que les piétons et les chars-à-bancs transitaient alors.
Le dimanche du pardon, les messes basses se succédaient dès 6 heures du matin jusqu'à 10:30, heure à laquelle était célébrée la grande messe. Les vêpres avaient lieu à 15 heures et la procession si le temps était beau allait assez loin dans la campagne même à travers champs et était suivie par une foule immense, c'était impressionnant. Maintenant, elle ne fait plus que le tour du placître.
En attendant les vêpres, le repas achevé et les emplettes terminées, que faisaient les pèlerins ? Beaucoup retournaient s'assoir à la chapelle pour faire une fervente prière et solliciter N.D. ou encore pour faire bruler un cierge en son honneur. D'autres, des hommes, à la suite d'un voeu, d'une promesse, allaient remercier ou implorer N.D. à genoux contre la chapelle, un chapelet à la main, sans veste, en corps de chemise de chanvre. Cela je l'ai vu, et même une fois parmi les pénitents j'avais reconnu un père de famille avec qui je travaillais assez souvent. Je le dis avec sincérité, j'avais été très impressionné, car cela marque un jeune. Maintenant encore, quand je me rends à Kerdévot pour le pardon j'y pense à ce fait marquant.
Beaucoup de monde allait aussi à la fontaine qui se trouve d'ailleurs assez éloignée, pour faire une promenade ou y boire un verre d'eau, c'était aussi une tradition de nos aînés.
L'on dit également qu'autrefois les jeunes filles en âge de se marier le jour du pardon de Kerdévot, ne manquaient pas de se rendre à la fontaine pour connaître si leur mariage était pour bientôt. Voici comment chacune d'elles devait procéder pour connaître son sort. La dalle de pierre qui recouvre le fond de la fontaine est percée d'un trou pour que l'eau puisse sourdre. La postulante devait laisser tomber une épingle dans la fontaine à la verticale du trou. Si elle tombait dedans, le mariage ne tarderait pas. Dans le cas contraire, elle devait revenir l'année suivante.
Jean Allouis, 20e siècle, St-Evarzec 1996
Ce texte provient du livre Saint Evarzec d'hier à demain, tome 2, de Jean Allouis, imprimé en 1996 par l'imprimerie régionale de Bannalec.
On ne saurait clore ce chapitre sans évoquer la part que le sanctuaire de Notre-Dame de Kerdevot, en Ergué-Gabéric, à deux kilomètres de la limite nord de Saint-Evarzec, avait prise dans tous le Sud-Finistère jusqu'à ces dernières années. Il n'est pas question de décrire l'édifice de la chapelle - pourtant riche en souvenirs - mais on peut affirmer que sur le plan religieux son pardon avait une influence et un attrait comparable à ceux de Saint Anne d'Auray et de Notre-Dame du Folgôet. C'est en effet un proche voisin de Saint-Evarzec, commune que traversaient de nombreux pèlerins, et dont beaucoup de paroissiens participaient aux cérémonies du "Pardon" annuel.
Le pèlerinage était l'objet de plusieurs manifestations :
- Le Jeudi Saint, les pèlerins de toutes les paroisses avoisinantes se dirigeaient vers la chapelle, par petits groupes, rarement seuls; ils faisaient la route à pied - en silence ! - en priant et en méditant. Arrivés à Kerdévot, ils faisaient trois fois le tour de la chapelle avant d' y entrer faire leurs dévotions et assister à la messe. Le retour se déroulait de la même manière que l'aller et lorsque les groupes se croisaient, ils se saluaient d'une simple inclinaison de la tête pour ne pas troubler le silence des méditations.
- Le 8 décembre, fête de l'Immaculée Conception, se tenait sur le parvis une " foire aux gages ", très prisée, qui mettait en rapport les domestiques et les fermiers pour une embauche éventuelle; ceux qui ne trouvaient pas satisfaction se retrouvaient à Quimper le samedi suivant à la " foire aux gages " de Saint Corentin, au pied des clochers de la cathédrale.
- Le dimanche suivant la fête de Saint Jean (le 24 juin), avait lieu le pardon des chevaux. Ceux-ci arrivaient par centaines - chevaux, juments et poulains -, et avant la messe ils faisaient une procession particulièrement spectaculaire - presque un carrousel - dans la prairie qui entoure la chapelle, et leurs propriétaires assistaient ensuite à l'office.
- Mais c'est le dimanche suivant le 8 septembre, fête de la naissance de la Vierge, qu'avait lieu le Grand Pardon de Kerdévot: on y voyait converger les pèlerins des pays de Briec, Laz, Saint-Goazec, de la Bigoudénie, et bien sûr du Pays Fouesnantais.
En fait, le pardon commençait par les vêpres le samedi en fin d'après-midi, et le sanctuaire restait ouvert toute la nuit, à la lumière des cierges déposés par les pèlerins qui avaient assistés à l'office. Parmi ceux-ci, un certain nombre passait le nuit dans la chapelle. Ils prenaient la route après avoir participé à la grande messe du dimanche (à 5 heures), afin d' assister aux vêpres dans l' église de Notre Dame de la clarté dont c' était également le pardon, au sud de Combrit, en Pays Bigouden : en partant de Kerdevot ils descendaient traverser la petite rivière du Jet au moulin du Dreau et arrivaient à Troyalac'h, sur la route de Quimper-Rosporden pour atteindre Cros Kerhornou et se diriger vers l'Arbre au Charpon par la route Concarneau-Quimper. Là, ils prenaient la petite route qui limite à l'ouest la commune de Saint-Evarzec, contournaient la propriété de Tregon-Mab pour rejoindre le Moulin du Pont et Bénodet. Le bac leurs faisait traverser l'estuaire de l'Odet et ils atteignaient la chapelle de Notre Dame de la Clarté (Iron Varia ar Sclaerded) : un trajet de 28 à 30 kilomètres en se basant sur le réseau routier actuel, mais les pèlerins connaissaient des chemins de traverse, utilisables lorsque le temps le permettait.
Dans l'autre sens, les pèlerins bigoudens faisaient le pèlerinage des « Trois Marie » (d'an teir Vari) : ils venaient assister à la première messe du matin à Notre Dame de la Clarté, traversaient "l'estuaire de l'Odet et se rendaient à La Forêt-Fouesnant pour être présents à la grande messe dans l'église paroissiale de Notre-Dame de la Basse Mer (Intron Varia Izel Vor) le troisième pardon ; ils se restauraient ensuite avant de reprendre la route et de traverser la commune de Saint-Evarzec par Carn Yann et Troyalac'h pour rejoindre Kerdévot et assister aux vêpres et à la procession, ce qui représentait un trajet de 33 à 35 kilomètres.
Les préparatifs du pardon commençaient dès le jeudi : les saltimbanques installaient leurs loteries et leur manèges pour les enfants; les cabaretiers préparaient les fûts de cidre, les soupes et les repas (en 1925, l'assiette de soupe coûtait 1 F et le ragoût de boeuf et de lapins aux pruneaux 3F). Mais la majorité des pèlerins arrivaient avec leur provision de galettes et de beurre ; le bureau de tabac n'était pas oublié et faisait le déplacement d' Ergué-Gabéric.
Le pardon lui-même commençait dès 5 heures du matin: les pèlerins attendaient déjà les confesseurs (les prêtres des paroisses voisines) et les messes se succédaient toutes les heures, de 5 heures à 11 heures: la dernière était la grande-messe célébrée parfois par l'évêque de Quimper ou un vicaire général. A cette époque, une grand-messe de pardon durait de 1h 1/2 à 2 h et le sermon était naturellement en breton.
Après le messe, chacun déjeunait, avec ses provisions (galettes et beurre) ou une assiette de ragoût ou de soupe selon ses moyens, arrosée du cidre nouveau spécialement pressé pour le pardon.
Les agapes (si l'on peut dire) terminées, se déroulaient la procession et les vêpres, et la journée s'achevait sur le placître pour retrouver les amis et la famille que l'on avait peu d'occasions de rencontrer. Les jeunes en profitaient pour se diriger vers les manèges et les étalages de bimbeloterie. Il ne fallait pas repartir sans être allé à la fontaine, située dans un pré voisin; elle avait la réputation de guérir du catarrhe [1] et de la fièvre, et de faciliter aux jeunes mères un allaitement suffisamment copieux pour leur progéniture. Les jeunes filles en âge de se marier laissaient tomber une épingle verticalement au-dessus du trou d'alimentation de l'eau: si l'épingle tombait bien dans le trou, tout espoir était permis. Enfin on jetait des pièces de monnaie dans la fontaine en formulant un voeu ... Après quoi il ne restait plus qu'à prendre la route du retour, plus pénible qu'à l'aller. La tradition voulait que les pèlerins rapportent à la maison un souvenir de leur pèlerinage, le « Lodenn ar Pardon » (part du pardon); ce pouvait être un objet de piété, une bougie ou tout simplement des friandises à distribuer à la famille et aux amis qui n'avaient pu assister au pardon pour des raisons diverses.
L'évolution des mentalités et des modes de vie a profondément modifié l'atmosphère du Pardon. Le remplacement des chevaux par les automobiles et les transports en commun a facilité les déplacements.
Par ailleurs, les estivants, encore en Finistère dans les premiers jours de septembre et présents au Pardon, doivent dépasser en nombre celui des descendants des " marcheurs " de Combrit.
Les Varzévois eux-mêmes ne se déplacent qu'en petit nombre, celui-ci se bornant aux " voisins " habitant à la limite de la commune dans les environs du Dréau.
Annotations
- ↑ Catarrhe : rhume.