Le mur technique papetier au musée du manoir d'Odet
L'exposition privée au 1er étage du manoir d'Odet est une promenade déambulatoire consacrée à l'histoire locale de l'entreprise papetière Bolloré, avec des vitrines d'objets, des documents d'archives, des photos et vidéos, sans oublier un mur entier présentant de façon didactique la fabrication du papier.
Ce musée papetier a été préparé dans la perspective des fêtes du bicentenaire de l'entreprise familiale en février et juillet 2022.
Une réalisation de la société parisienne Ivoire Production avec, pour le mur dit technique, les apports suivants :
- le croquis central de la chaine de fabrication par Man Kerourédan,
- les figures illustratives stylisées de Louis Barreau,
- les témoignages d'anciens ouvriers et ouvrières,
- les clichés du photographe Isaac Kitrosser dans la revue Réalités de noël 1949.
Autres articles : « Le musée d'Odet du bicentenaire en visite virtuelle, bollore2022.com » ¤ « Mann Kerouredan raconte la fabrication du papier » ¤ « Notes et croquis de Mann Kerouredan, jeune papetier d'Odet » ¤ « La fabrication du papier à cigarette expliquée et illustrée par Louis Barreau » ¤ « L'entreprise Bolloré, Réalités Noël 1949 » ¤ « Souvenirs de huit anciens salariés des papeteries Bolloré » ¤ « Louis Bréus, sécheur à la papeterie d'Odet » ¤ « Hervé Gaonac'h, sécheur à la papeterie d'Odet » ¤ « Marjann Mao, chiffonnière (Skol Vreizh, 1989) » ¤ « Jean Le Berre, souvenirs de la papeterie d'Odet » ¤ « Chronique du début du siècle à Odet par Marianne Saliou » ¤
Présentation
La construction de l'espace musée au manoir d'Odet a eu lieu en 2012-2013 sur l'initiative de Vincent Bolloré comme une première étape vers la commémoration du bicentenaire de son entreprise familiale en 2022 et en écho de la fête du centenaire des papeteries de son grand-père René en 1922.
La réalisation a été confiée à la société parisienne Ivoire Production et a mobilisé des contributions multiples des services de communication, et des anciens ouvriers papetiers.
Ainsi pour le mur technique qui décrit les étapes de fabrication du papier dans les usines d'Odet, Cascadec et Troyes on notera d'abord ce croquis réalisé par l'ancien ouvrier et dessinateur industriel Man Kerouredan : déjà en 1954 il en avait fait une esquisse dans son rapport de stage à Odet.
Ensuite chaque étape de fabrication, de la chiffonnerie à l'emballage, est agrémentée d'illustrations photographiques et figuratives : les premières sont fournies par le grand photographe du Front Populaire, Isaac Kitrosser (revue Réalités, 1949) et les secondes par l'ingénieur chimiste Louis Barreau en activité à Cascadec et Odet de 1925 à 1964.
Et enfin les techniques de fabrication sont commentées par des anciens ouvriers et ouvrières, témoins et acteurs de ce savoir-faire papetier :
- Marjan Mao à la chiffonerie : « Au début on faisait tout avec une petite faucille. La faucille était petite et elle avait les deux côtés tranchants pour couper les cordes, ficelles et filets. »
- Marianne Saliou à l'emballage : « Quelquefois, on mettait 40 caisses de Cascadec avec 60 d'Odet pour faire 100. »
- Louis Bréus et Hervé Gaonac'h, tous les deux sécheurs de faction : « La machine 8 tournait doucement au début, et à la fin elle tournait à 120 mètres la minute », « On arrêtait la machine quand il fallait changer de toile. On disait "chañch form" en breton. Et ça pouvait arriver la nuit. »
- Jean Le Berre embauché en 1935 : « Une fois la pâte blanchie, elle était transportée dans des wagonnets jusqu'aux piles raffineuses. »
- Et également les dessinateurs déjà cités, Louis Barreau expliquant le rôle du « gouverneur » à la pile de raffinage et Man Kerouredan admiratif des performances des appareils plus récents comme les Erkensators et les cleaners.
Photos et témoignages
Étapes techniques
1. Chiffonnerie
Des guenilles de fibres de lin et de chanvres sont récupérées et triées ; les chiffons sont réduits en petit fragments de 6 à 8 centimètres de côté.
2. Lessivage
Les tambours laveurs tournent et nettoient la pâte.
3. Défilage
La matière est défilée en passant entre des lames d'acier fixées au cylindre et d'autres formant bloc au dessous.
4. Blanchiment
Consiste à décolorer les fibres, afin de les rendre hydrophiles et de les dépouiller de toutes matières étrangères.
5. Raffinage
Le raffinage a pour effets de couper, d'hydrater et de modifier la surface des fibres où apparaissent des fibrilles.
6. Machine, toile
L'eau est éliminée et les fibres fibrillées s'enchevêtrent jusqu'à ce qu'elles forment une structure.
7. Sècherie
Succession de cylindres en fonte, chauffés intérieurement par de la vapeur qui sèche et régularise l'épaisseur et le lissé de la surface.
8. Bobinage
La bande de papier est enroulée sur une bobine mère qui sera éventuellement refendue en bobines filles.
9. Emballage
Le papier est emballé pour être expédié.
Témoignages
Marjan Mao (chiffonnerie)
« Pour trancher les chiffons (ou pilhoù [1]) en petits morceaux il y avait une petite table en bois. Vous étiez assise d'un bout presque allongée et une faucille était plantée avec la tranche aiguisée du côté extérieur. Au début on faisait tout avec une petite faucille. La faucille était petite et elle avait les deux côtés tranchants pour couper les cordes, ficelles et filets. [2] » (revue Skol Vreizh, 1989)
Man Kerouredan (défilage, pâte à papier)
« La pile défileuse avait une capacité de 28 m3, ce qui somme toute était assez rare en France. Le cylindre de 2m de diamètre possédait des lames en acier demi dur, il pesait 8 tonnes, et reposait sur une platine qui avait 9 lames du même acier. »
« À Troyes lorsque la pâte avait atteint un niveau de consistance, elle était amenée dans des appareils Erkensators qui enlevaient les matières solides par la force centrifuge. Après on a mis un autre système moins encombrant, 40 cm de long environ ; c'était américain et on appelait cela des cleaners » (article "la fabrication du papier", 2007).
Louis Barreau (raffinage)
« Au raffinage, le gouverneur devait de temps en temps plonger sa main dans la pile, refermer les doigts pour retenir un peu de pâte qu'il examine après avoir retiré sa main et écarté les doigts. Il estimait ainsi la longueur des fibres et le degré d'engraissement de la pâte. Quand il jugeait être à point il relevait le cylindre jusqu'à le faire effleurer la platine ; pour cela il prenait un bâton qu'il plaçait entre son oreille et la platine : le "ronronnement" de la pile cessait brusquement au point cherché. » (mémoires dactylographiées et illustrations, ~1970)
Jean Le Berre (blanchiment et raffinage)
« Une fois la pâte blanchie, elle était transportée dans des wagonnets jusqu'aux piles raffineuses où elle était finement broyée avant de descendre dans une grande réserve de 200 à 300 litres qui était toujours pleine et qui récupérait également le trop plein de pâte de la machine à papier. » (revue Skol Vreizh, 1989)
Hervé Gaonac'h (machine, toile)
« On arrêtait la machine quand il fallait changer de toile. On disait "chañch form" en breton. Et ça pouvait arriver la nuit, il y avait besoin plus de monde qu'il fallait aller chercher chez eux. » (entretien GrandTerrier 2006).
Louis Bréus (machine, sècherie)
« Au départ sur la machine 7 ça tournait à 35 mètres de papier à la minute. Après ça a tourné plus vite ; 45, 50, 60, 70, 80 mètres par minute? Là on a dû la consolider? Sur la 8, c'était marqué 1938 dessus, ça tournait doucement au début, et à la fin elle tournait à 120 mètres la minute. La machine 10 c'était 100-120 mètres. » (entretien GrandTerrier 2007).
Marianne Saliou (emballage)
« J'ai été aussi marquer les caisses de Cascadec qui venaient à la gare de Quimper. On allait là-bas à pied. On mettait les caisses de Cascadec avec celles d'ici pour faire une expédition. C'était du temps où le papier à cigarettes allait en Amérique. Les deux usines travaillaient ensemble pour aller plus vite. Quelquefois, on mettait 40 caisses de Cascadec avec 60 d'Odet pour faire 100. » (entretien bulletin municipal 1981).
Chronologie papetière
1822 : Inauguration par Nicolas Le Marié du moulin à papier : pile hollandaise pour la pâte, travail du papier à la cuve et séchage aux perches.
1828 : 3 cuves, 31 ouvriers, 7674 rames de papier
1834 : Livraison à Odet par les Canson-Montgolfier d'Annonay de la 1ère machine en continu remplaçant la cuve.
1861 : 170 employés pour 480 tonnes de papier à l'arrivée du docteur Bolloré
1865 : Premiers essais de fabrication du papier à cigarettes
1886 : Construction à Odet de la chaufferie de production de vapeur et de la cheminée
1893 : Location de la papeterie de Cascadec sur l'Isole pour accroître la production (achat en 1917)
1904 : Production de 336 tonnes de papier à cigarettes par an
1913 : Acquisition d'une 2e machine à Odet et création du laboratoire
1928 : Démarrage de la machine 7, 3e machine d'Odet
1936 : Construction d'un 2e bâtiment pour la chiffonnerie
1938 : Démarrage de la machine 8, la 4e machine d'Odet
1948 : Production de 1800 tonnes par an
1950 : Achat des papeteries de Champagne à Troyes
1961 : Démarrage de la machine 9 ; fabrication du papier condensation à Odet
1963 : Démarrage de la machine 10, la 6e machine d'Odet
1983 : Arrêt de la fabrication du papier à Odet
Annotations
- ↑ Pilhoù, pluriel de pilh, s.f., collectif pilhenn : chiffons. Un "pilhaouer" est un chiffonnier ou un colporteur qui ramassaient dans les campagnes les chiffons ou autres produits usagers. [Terme BR] [Lexique BR]
- ↑ Texte breton de l'interview de Marjan Mao : « Ewid troc'hañ ar pilhoù e tammoù bihan e oa un daolig goad vihan. C'hwi 'oa asezet er penn all o rampañ hag ur falz 'oa plantet gant an tu lemm en tu all. Goudese e oa ur gasset vihan ewid lakaad ar pezh 'poa gwraet. Da gentañ e oa gwraet tammoù hir gant ar pilhoù paket en ho torn er mod-se, un tu en ho torn, an heni all o pegañ e-barzh an tamm pilhoù. »