L'histoire de la Bossen, la peste d'Elliant, par Jean-Marie Déguignet
Les explications du paysan bas-breton sur cette légende régionale, et sur la confrontation entre cette mort personnifiée et le personnage tout aussi légendaire de la Dame de Kerdévot.
« Cette Bossen [1] est représentée sous la figure d'une vieille femme. Il y en a qui disent qu'elle est la Mort elle-même, d'autres disent qu'elle n'est que la pourvoyeuse de l'Ankou [2] qui seul a le droit de trancher le fil de la vie »
Autres lectures : « LUZEL François-Marie - Bosenn Elliant, gwerz de la Peste d'Elliant » ¤ « VILLEMARQUÉ Théodore Hersart (de la) - Le Barzaz Breiz » ¤ « ROUZ Bernez & TREGUER Mikeal - ar Vosenn Nevez, la Peste Nouvelle » ¤ « Les miracles de l'ancien cantique Itron Varia Kerdevot de 1712 » ¤ « KERGOURLAY Guillaume - La Peste d'Elliant, rhapsodie macabre » ¤ « FAVÉ Antoine - Pierre Commémorative de la Peste d'Elliant » ¤
Présentation
« Ceci, c'est de l'histoire » : voilà comment Déguignet présente le fléau. Certes cette Bossen [1] est représentée sous les traits d'une vieille femme. Et son déguisement de mendiante lui permet de traverser incognito la commune d'Ergué-Gabéric avec de se répandre à Elliant.
La peste d'Elliant veut revenir sur le territoire gabéricois, mais une autre figure de légende veille au grain : Notre-Dame de Kerdévot lui interdira l'accès, perchée sur son caillou sacré.
Extrait de texte
« L'histoire, car ici il s'agit de l'histoire, la peste d'Elliant, fut plus terrible que les (autres) légendes (de Kerdévot). Cette Bossen est représentée sous la figure d'une vieille femme. Il y en a qui disent qu'elle est la Mort elle-même, d'autres disent qu'elle n'est que la pourvoyeuse de l'Ankou [2] qui seul a le droit de trancher le fil de la vie. N'importe, un jour, un paysan d'Elliant, en revenant de Quimper, trouve une vieille mendiante assise près du pont du Cleuziou, pont qui sépare la commune d'Ergué-Armel d'Ergué-Gabéric. Elle demande à monter dans la charrette du paysan. Celui-ci la laissa monter et traversa avec [3] toute la commune d'Ergué-Gabéric, mais aussitôt qu'elle fut sur le territoire d'Elliant, elle disparut sans que le paysan sût comment. Mais deux jours après, le Choléra Morbus, la peste noire, se déclara sur tous les points de la commune à la fois. Le paysan comprit alors qu'il avait amené la Bossen dans sa charette. Cette peste dura deux mois, jusqu'à ce que presque tous les habitants de la commune furent exterminés. Ceci, c'est de l'histoire.
Cependant la Bossen, sa besoigne terminée en Elliant, voulut passer en Ergué-Gabéric. Oh oui, mais la Dame de Kerdévot était là, en face, et lorsque celle-ci sut que la vieille voulait venir chez elle, elle courut vite sur le bord du ruisseau par où la mégère devait venir, et elles se rencontrèrent là, toutes deux face à face, une sur chaque bord. Il paraît qu'elles durent rester là un bon moment à se disputer, car j'ai vu là les deux pierres sur lesquelles elles durent rester en équilibre chacune sur un pied. On voyait en effet la marque d'un petit soulier sur la pierre du côté d'Ergué-Gabéric, et la marque d'un pied de cheval sur celle du côté d'Elliant. N'importe, la Bossen dut rebrousser chemin, et la commune d'Ergué-Gabéric fut sauvée de la peste. »
L'Intégrale des Mémoires, Histoire de ma vie (p. 118-119)
Annotations
- ↑ 1,0 et 1,1 Bosenn, bossen, sf : bretonnisme désignant la personnification de la peste, du mot breton correspondant. « Bosenn Elliant » est la complainte de la peste d'Elliant et l'un des chants de l'ouvrage Barzaz Breiz de Théodore Hersart de la Villemarqué. [Terme BR] [Lexique BR]
- ↑ 2,0 et 2,1 Ankou, Ankoù, sm. : bretonnisme, l'Ankou, traduit du breton « an Ankoù », est le serviteur de la mort en Basse-Bretagne ; son rôle est de récupérer dans sa charrette grinçante (karr / karrik an Ankoù) les âmes des défunts récents. On le représente comme un squelette revêtu d'un linceul, ou un homme grand et très maigre, les cheveux longs et blancs, la figure cachée par un large feutre et tenant à la main une faux qui diffère des faux ordinaires, en ce qu'elle a le tranchant tourné en dehors. L'Ankoù est parfois — à tort — confondu avec le diable, très présent par ailleurs dans la mythologie bretonne. Anatole Le Bras a popularisé l'Ankoù par la publication de sa "Légende de la Mort". Le mot est masculin en breton ; selon Dom Le Pelletier il serait à l'origine le pluriel de « anken » qui désigne l'angoisse, la peine. Arzel Even (revue Ogam, 1950-53) propose une autre étymologie : « nk » représente l'état réduit de la racine « nek » (périr) (nekros en grec, et nec, necare en latin). [Terme BR] [Lexique BR]
- ↑ Avec, prep. : bretonnisme, car traduction abusive du terme « gant » qui, en breton, est le complément passe-partout de toute forme passive. On n'est pas loin de la phrase fétiche « j'espère que ça va bien avec vous ». Exemple : « Le facteur arriva juste en ce moment et qui avait avec lui les résultats de tout le département. » (Déguignet, IT, p 393). [Terme BR] [Lexique BR]