L'année 1939-40 de Magdeleine Gloaguen à l'école communale de Lestonan

De GrandTerrier

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Récit que Magdeleine Gloaguen [1], née au Havre le 27 janvier 1931, fit de son séjour à Lestonan, de l'automne 1939 au mois de juin 1940.

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La personne qu'elle appelle « Marraine » était sa tante Marie-Thérèse Lazennec, à l'époque institutrice à l'école communale de Lestonan.

Autres lectures : « Les fêtes annuelles du quartier de Lestonan, Ouest-Eclair Dépêche de Brest 1936-1939 » ¤ « L'essor de Lestonan (1900-1950) raconté par Jean Guéguen » ¤ « Mémoires des anciens de Lestonan de 1910 à 1950 » ¤ « Chronique de Ménez-Groaz par Laurent Huitric en 1998 » ¤ « Lestonan avant 1900 » ¤ 

Des sabots rouges et des crêpes au beurre

« En 1939 - j'avais huit ans - nous habitions le Havre. Dès la déclaration de guerre, mon père, qui avait trente-huit ans, a été mobilisé. Ma mère, institutrice, était obligée de rester à son poste, mais on a trouvé plus prudent alors de m'éloigner d'une région qui risquait d'être dangereuse. On m'a donc confiée alors à ma tante et mon oncle Lazennec. Marraine était à cette époque institutrice à Lestonan, petit village aux environs de Quimper, sur la commune d'Ergué Gabéric.

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Nous habitions l'école et je suivais la classe avec les enfants du village. Me voilà devenue une vraie petite bretonne pour une année scolaire presque entière ! Je me souviens plus des récréations que du temps que je passais en classe, où je travaillais avec plaisir, sans aucun problème. Je ne me souviens pas davantage d'avoir eu de travail à faire le soir à la maison.

Dès mon arrivée à Lestonan, Marraine m'avait acheté des sabots. Le même jour, elle en avait acheté également à mon cousin Claude, qui s'était empressé de les casser dès le lendemain en jouant au foot, ce pourquoi il ne s'était pas fait féliciter, comme vous le pensez ! Moi, j'avais eu droit à de petits sabots de filles, rouges, très jolis, assez légers, avec une bande de cuir sur le dessus. On les mettait bien sûr avec des chaussons. Je marchais très bien avec ces sabots.

Cela ne m'empêchait aucunement de courir. J'étais beaucoup plus à l'aise qu'avec les galoches à semelles de bois que j'ai portées à la fin de la guerre. Tous les écoliers étaient en sabots et nous les laissions, en rentrant de la cour de récréation, dans un grand couloir qui séparait les deux classes de l'école des filles. Je me souviens de cette enfilade de petits sabots que nous devions aligner bien soigneusement. Puis nous rentrions en chaussons dans la classe. Je ne sais si le parquet était ciré mais la classe sentait la cire, l'encre et la craie. Et puis, il y avait la ronronnement du poêle, au milieu de la classe, entouré d'un grillage. Comment ne pas bien travailler dans ces conditions ?

Autre souvenir de cette année bretonne, les crêpes. Une fois par semaine, nous allions manger des crêpes chez une personne du village qui nous recevait chez elle. Nous apportions notre serviette et notre beurre. Pas de crêpes sophistiquées à cette époque : crêpes au beurre uniquement. Peut-être au sucre, et encore je n'en suis pas sûre. Mais ces crêpes étaient énormes et délicieuses. Je me souviens d'être allée un jour chez la crêpière avec mes cousins Claude et Jean-Michel et qu'ils avaient fait un concours à qui en mangerait le plus. Ils en avaient englouti des quantités prodigieuses !!

Quand je n'allais pas chez la crêpière, je me faisais, en cet automne 1939, des crêpes dans la cour de récréation avec les feuilles mortes qui jonchaient le sol. C'étaient des feuilles de tilleul, bien grandes, bien jaunes, bien rondes, idéales pour les empiler par douzaines et jouer à la maman ou à la marchande. Il m'en est resté l'amour des tilleuls. Il me semble que c'est l'arbre préféré des cours d'école de la Troisième République, et je m'attendris toujours, encore aujourd'hui, quand je traverse en voiture un petit village, de voir l'école avec sa cour de récréation, le préau dans un coin, les cabinets dans l'autre et un ou deux tilleuls au milieu ».

Batailles à coup de pierres entre les deux écoles

« Revenons à Lestonan en 1939. Je me souviens du revêtement des murs de l'école, qui contenait de petites particules de mica qui étincelaient au soleil. Nous avions, nous les filles, des pommes dans les poches de nos tabliers et nous les tossions [2] contre le mur afin de les assouplir et les rendre meilleures. Nous les aimions un peu blettes. Ces pommes d'ailleurs étaient le plus souvent des pommes à cidre ramassées dans les champs. Avec mes copines, nous nous promenions beaucoup dans la campagne, sans souci exagéré de la propriété privée. Nous connaissions les bons coins, les bons pommiers. Est-ce à dire que j'étais une voleuse de pommes ? Oui, sans aucun doute, et sans aucune mauvaise conscience encore !

Je me souviens d'une année de complète liberté. Je jouais et courais, en sabots, avec les enfants du village et commençais, au bout de quelques mois, à comprendre, sinon à parler, quelques mots de breton. En outre, à défaut d'avoir appris le breton, j'avais pris l'accent du pays. Quand ma mère m'a rejointe en juin 1940, j'ai trouvé qu'elle avait un accent « parisien », et elle-même a trouvé que je parlais comme une vraie petite quimpéroise.

Quand je dis que je jouais avec les enfants du village, j'entends, bien sûr, les enfants de l'école laïque. Pour rien au monde, nous n'aurions frayé avec les enfants de l'école religieuse. Je me souviens d'avoir assisté à des batailles à coup de pierres entre les garçons des deux écoles.

À ce propos, j'ai un souvenir amusant. C'était au printemps 1940. Nous ramassions, nous les enfants, de la salade au bord des chemins. Il me semble que ce n'étaient pas des pissenlits mais une sorte de mâche. Mon oncle François, qui était d'un anticléricalisme virulent, refusa de manger de la mâche ramassée le long du mur de l'école des bonnes sœurs. Il avait aussi l'habitude d'employer une expression que je n'ai jamais bien comprise. Pour parler d'un couteau qui coupait mal, il disait : « il coupe comme les genoux d'une bonne sœur ! ».

J'ai gardé de cette année à Lestonan un excellent souvenir, même si, les premiers jours, j'ai un peu pleuré à l'idée d'être séparée de mes parents. J'ai été très heureuse dans la famille Lazennec. Je ne me souviens pas m'être fait gronder une seule fois. Marraine, tonton François étaient pour moi de la plus grande gentillesse.

Mon cousin André [3], qui était un grand jeune homme à l'époque, de dix ans plus âgé que moi,
Mon cousin André Lézennec
m'avait fabriqué une maison de poupée en bois et son frère Claude me prêtait ses journaux illustrés et me taquinait comme sa petite sœur. J'étais donc bien ignorante des horreurs de la guerre. Quand ma mère est arrivée en juin 1940, fuyant le Havre, ayant vécu l'exode dans des conditions dramatiques, je l'ai accueillie en lui disant : « Tu es déjà en vacances ? ».

Annotations, commentaires

  1. Magdeleine Gloaguen (de son nom de jeune fille) ne se doutait pas qu'un jour elle épouserait le fils d'un ingénieur de la toute proche papeterie. Cf « Les mémoires de Louis Barreau, ingénieur des papeteries Bolloré ».
  2. Verbe entré dans le dictionnaire français et formé à partir du verbe tosañ ; choquer, heurter. On peut entendre : la voiture a tossé le talus ! Depuis sa « francisation », tosser ne devrait normalement être employé que dans le domaine maritime : Le bateau a tossé le quai ou le rocher. Source : Hervé Lossec, Les bretonnismes, tome 1.
  3. André Lazennec qui fut dentiste à Quimper est décédé fin avril 2011 à l'âge de 90 ans. Il a porté haut les couleurs de l'équipe A du Stade Quimpérois qui en 1950-51 sera champion du groupe Ouest-Centre de CFA à quatre matchs de la fin de saison. André en sera demi-centre et capitaine. C'est la même équipe d'ailleurs que celle où continua à jouer, après son retour de captivité, l'avant-centre gabéricois Jean Le Corre : cf. « LE CORRE Jean - Récit d'un résistant déporté ».



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Thème de l'article : Mémoires de nos anciens gabéricois. Création : Novembre 2009    Màj : 14.10.2024