Inventaire gabéricois des pierres de granit pour bailles à buée
Ces pierres de moins d'un mètre de circonférence avaient aux XIXe et début XXe, et peut-être bien avant, un usage particulier : servir de support et de récupération d'eau pour les bailles à laver le linge.
On trouva ci-dessous quelques explications, témoignages et bien sûr les photographies de ces pierres signalées, les dernières inventoriées étant celles de Kerdilès, Kergoan et Balanoù (2018), Lezergué (2021) et Pennarun (2022).
Toutes les informations et autres trouvailles éventuelles seront les bienvenues pour compléter cet inventaire patrimonial.
Autres lectures : « Le patrimoine rural et utilitaire d'Ergué-Gabéric » ¤ « GIOT Pierre-Roland - Machines à laver, pressoirs à cidre ou pierres gravées ? » ¤ « Une pierre insolite, Le Télégramme 1973 » ¤ « KERVAREC André - L'ancêtre de la machine à laver » ¤ « 1792-1803 - Séquestre, amnistie et main levée pour les de La Marche de Lezergué » ¤
Présentation
Les premières pierres à laver, différentes des maies de pressoir bien plus larges, ont été signalées dans les années 1970-90 dans les journaux locaux et magazines d'archéologie, et un mystère plane encore car le nombre de ces pierres trouvées sur le territoire gabéricois est important : à ce jour neuf ont été exhumées (Balanou, Bohars, Kerdilès, Kergoan, Garsalec, Lezergué, Pennarun, Pennervan, Squividan).
Le principe de leur fonctionnement était le suivant :
- sur la pierre circulaire rainuré on plaçait une ancienne barrique sans fond dans laquelle on mettait le linge.
- sur un foyer à côté on faisait bouillir de l'eau dans des grandes chidournes [1].
- on versait l'eau sur les couches de linge qu'on saupoudrait de cendre de bois (« ludu tan » en breton), gorgée de potasse.
- avec un bâton on mélangeait énergiquement le linge.
- l'eau sale s'écoulait lentement sur la pierre et les rigoles l'amenaient sur l'avancée en dessous de laquelle on mettait un seau.
Les premières eaux pouvaient resservir pour la tournée de lessive suivante, mais ce mélange de cendre servait ensuite d'engrais potassique appelé « ar cloag » et était très recherché par les maraîchers.
Sur Ergué-Gabéric une première pierre a été repérée à Pennervan et décrite en 1973 par un journaliste du Télégramme, puis en 1994-95 par l'archéologue P.R. Giot [2] et le docteur André Kervarec.
Généralement les pierres présentent quatre rigoles perpendiculaires sous la forme d'une croix, et mesurent 93 cm à 1 m de circonférence, 1 m 10 au bout du déversoir, et 20 à 40 cm d'épaisseur.
Madame Billon de Balanoù se souvient : « Dans le temps on mettait les draps et les chemises dans une sorte de lessiveuse avec de la cendre et on faisait la grande lessive trois à quatre fois dans l'année. Le grand-père avait trois douzaines de chemises, et donc ça suffisait. La pierre était surélevée, et par l'écoulement on récupérait l'eau de lavage qui servait à faire plusieurs tournées. »
Mais les grandes lessives n'excluait pas un besoin de laver au quotidien. Et ce lavage se faisait dans la buanderie où était la baille à buée [3]. La buée est en fait l'ancien nom de la lessive traditionnelle jusqu'au début du XXe siècle qui a vu sa disparition avec le développement de la lessiveuse en fer.
La plupart des pierres à buées d'Ergué-Gabéric, désormais inutiles, ont été déplacées en ornements de jardins. Mais deux d'entre elles ont été localisées en arrière-cuisine : l'une à Lezergué trouvée il y a 2 ou 3 ans dans les ruines du manoir et transportée dans un hangar, et l'autre toujours en place dans la cuisine du manoir de Pennarun.
Pour ce qui concerne Lezergué le document détaillé de séquestre de 1792 suite à l'émigration des propriétaires nobles de La Marche atteste bien de l'existence de la pierre à laver à l'intérieur du manoir : « Dans la cuisine : une table longue, une armoire à deux battants ... un fut à buée ... ».
À Pennarun la pierre à laver est toujours en place dans la cuisine ancestrale, placée près de l'endroit où l'on chauffait l'eau. C'est un très beau bloc de pierre d'épaisseur de plus de 40cm avec ses rigoles en croix et circulaire, et son canal incliné pour évacuer les eaux usées à l'extérieur de la pièce.
Les pierres gabéricoises
Voici les pierres repérées au cours de ses dernières années et répartis sur les 10 lieux-dits suivants : Balanou, Bohars, Kerdilès, Kergoan, Garsalec, Lezergué, Pennarun, Pennervan, Squividan et Niverrot. Au-delà des années où elles ont été photographiées, certaines ont été déplacées et ne sont plus visibles aujourd'hui.
Un appel est lancé à toutes indications de nouvelles pierres à buée dans le cadre d'une sorte d'enquête archéologique de notre patrimoine rural et utilitaire.
Les études de 1973, 1994 et 1995
- 1973 : Article dans le journal Le Télégramme, signé O.R.
- « M. Taboré, d'Ergué-Gabéric, possesseur de cette rareté, éclaire nos lanternes. Car cette dalle n'est qu'une partie d'un engin qui s'utilisait voici encore 50 ans. Elle constitue un fond de récupération d'eaux salées. Sur cette assise s'adaptait une baille tirée d'une barrique dont on avait ôté le fond. Seules subsistaient les douelles. Et tout cela donnait une machine à laver - l'ancêtre de la machine devenue indispensable dans tout ménage moderne. »
- 1994 : Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, rédigé par Pierre-Roland Giot.
- « Un bel exemple est celui des pierres à laver, de l'ordre d'un mètre carré, sur lesquelles on a gravé profondément des rigoles en forme géométrique, avec une évacuation vers un bord. Le plus souvent il s'agit d'un cercle, avec à l'intérieur par exemple une croix. Parmi d'autres, il en a été signalé une en granite, de ce style, à Ergué-Gabéric, dans la presse en 1973, avec des détails sur son utilisation encore au début du siècle. »
- 1995 : Revue 'Le Lien' du Centre de Généalogie du Finistère, article d'André Kervarec.
- « Objets décoratifs aujourd'hui, on peut encore voir de ces dalles en place tout près d'un foyer de cheminée, parfois même encastrées dans la maçonnerie de la bâtisse. Les inventaires après décès sont d'une grande utilité pour retrouver ces ancêtres de la machine à laver.»
Annotations
- ↑ Chidouarn, sf, : bretonnisme francisé en chidourne, chaudron, grosse marmite, « kerc'hat dour g' ur chidouarn » (quérir de l'eau au chaudron), « lak ar chidourenn war an tan » (mets le chaudron sur le feu). Source : Favereau. [Terme BR] [Lexique BR]
- ↑ Pierre-Roland Giot (1919-2002) est un préhistorien français, considéré comme le créateur de l'archéologie armoricaine moderne.
- ↑ Baillot, bayeau, s.m. : Baillot à buée : baquet servant à faire la lessive (histoiresdeserieb sur free.fr.) La buée est l'ancien nom de la lessive traditionnelle jusqu'au début du XXe siècle qui voit la disparition de ce mode de lavage avec le développement de la lessiveuse en fer. La baille était généralement un baquet cerclé de fer de la taille d'un demi-fut ou d'un tonneau entier ouvert sur le dessus, et ce fut était placé sur une pierre ronde de granit creusé de rigoles d'évacuation. Un baillot peut aussi désigner un récipient pour conserver le lard ou d'autres aliments. [Terme] [Lexique]