Billet du 18.01.2025
Terres de chanoine à la fin du Moyen-Âge
Merci aux éminents Vital Le Dez et Baptiste Etienne pour avoir tempéré notre enthousiasme sur l'intelligence artificielle, et surtout pour avoir amendé et complété le travail de transcription du document de 1639 de la semaine dernière. Nous voici aujourd'hui dans une même dynamique paléographique pour un document plus ancien, conservé aux Archives départementales du Finistère sous la cote 2 G 181.
Le document en question a pour objet les « acquêts » d'une tenue de fief entre un chanoine et sa tenancière roturière. Le lieu-dit concerné est Keralen en Ergué-Gabéric, variante orthogra-phique de Kerelan/Kerellan, qui, au 15e siècle a été rattaché à la paroisse de Lanniron, puis successivement Quimper St-Esprit et d’Ergué-Armel, avant d’être réintégré officiellement à Ergué-Gabéric en 1791.À notre connaissance, c'est le plus ancien document isolé mentionnant Ergué-Gabéric et écrit en langue française, les références plus anciennes étant des mentions latines datées de 1325-1368 dans les ouvrages collectifs comme les pouillés, les cartulaires ou les actes du Saint-Siège.
Le document est une pièce unique de dimension 20cm sur 12cm établi sur parchemin rigide et accompagné d'un feuillet de présentation rédigé bien plus tard. L'écriture a pâli avec les siècles, est très difficile à déchiffrer et serait digne d'une étude de paléographie médiévale. La note succincte d'archiviste : « 1389. Acquet Me Guillaume Marhec chanoine. Eva fille Jan Riou vend(eu)se. Les terres qu'elle avoit au village de Keralen, dans Ergue Gaberic ».
On a tenté une reconnaissance textuelle ligne à ligne du document principal, avec nos yeux et ceux de l'agent conversationnel "IA Claude 3.5 Sonnet", mais pour l'instant cela reste à l'état embryonnaire (cf. transcription en ligne) et seuls les points suivants semblent acquis :
- La datation portée en dernière ligne ne semble pas discutable : « en l'an mil iiic quatre vingt et neuff »
- Le lieu, déjà cité : « Keralen en la paroisse d'Ergue gaberric », une tenue « loué et baillé ». À la ligne 15, on croit lire cette expression « ne puisse entrer en fief », ce qui interroge, car, 100 ans plus tard, en 1489, le village de Kerelan est détenu en « franc-fief » par l'administration des régaires du seigneur évêque de Quimper.
- Le nom d'une première protagoniste est lisible sur plusieurs lignes : Eva Riou, qui serait qualifiée de « fille » (son père est-il décédé ?). Dans la note de l'archiviste, il y a cette précision mystérieuse de « vendse » qui pourrait signifier "vendeuse", alors qu'elle serait plutôt titulaire d'un contrat de bail.
- Le propriétaire foncier, le chanoine Guillaume Le Marhec, est bien mentionné dans le document avec le qualificatif de « Messire ». Ce chanoine a bien existé car son intronisation fait l'objet d'un acte en janvier 1383 dans le cartulaire de Quimper.
En effet, suite au décès de son prédécesseur Alani Treoulini, « Guillermus Militis » ("Militis" en latin, tout comme "Marhec" en breton, signifie "chevalier") reçoit bien le titre de nouveau chanoine de Quimper, avec sa stalle au chœur et sa place au chapitre, et doté d'une « prébende », à savoir les revenus qui ont attachés à sa charge.
À noter que l'agent "Claude 3.5 Sonnet" est très efficace pour traduire en français le texte latin transcrit par Paul Peyron : cf. en ligne cette charte 56, feuillet 376, publiée dans le Bulletin de la commission diocésaine d'Architecture et d'Archéologie du Finistère en 1907.
Qui était donc ce Le Marhec ? Marjolaine Lémeillat dans son livre « Les gens de savoir en Bretagne à la fin du Moyen Âge » parle d'une famille originaire du diocèse de Tréguier comptant une douzaine de gens de savoir. Guillaume, successivement chanoine de Saint-Martin de Tours, Quimper et Léon est licencié « in utroque jure », c'est-à-dire « en l'un et l'autre droits », c'est-à-dire en droit canon et en droit civil.

![]() |