1957-1961 - La restauration du presbytère par Roger Le Flanchec
Nul doute qu'aujourd'hui la plus belle façade de maison du centre-bourg d'Ergué-Gabéric est celle du presbytère. Mais avant l'année 1961, ce n'est pas vraiment le cas, car la bâtisse a été pendant longtemps dans un état plutôt austère et délabré.
En 1957 du fait que les fonds communaux ne sont plus suffisants pour l'entretien de la maison du presbytère, l'association diocésaine décide d'en faire l'acquisition. A la fin de l'année 1957 le recteur Pierre Pennarun en poste à Ergué-Gabéric passe commande à un architecte renommé, Roger Le Flanchec qui, grâce à son projet et les travaux achevés en 1961, donne au presbytère une autre prestance, tout en améliorant le confort intérieur.
Un architecte autodidacte
Roger Le Flanchec est né le 26 novembre 1915 à Guingamp; son père étant mort au combat, il est élevé par ses grands-parents maternels tous deux instituteurs; il hérite, à sa majorité, de la fortune de son grand père paternel, navigateur de commerce. Cette aisance matérielle lui permettra tout au long de sa vie de cultiver son originalité et sa marginalité.
C'est foncièrement un autodidacte : il quitte l'école après son certificat d'étude à 12 ans. Il est doté d'une mémoire extraordinaire qui le fait se souvenir d'un texte après une seule lecture. Après un court passage à l'école des beaux-arts de Rennes en 1931-1932, il travaille chez Jean Fauny, architecte départemental à Saint-Brieuc, chez qui il reste jusqu'en 1936. Le style de ce premier maître hésite, par concession au milieu, entre un régionalisme de type anglo-normand et une expression plus moderne inspirée de l'Art déco.
En 1937 Roger Le Flanchec s'établit à Trébeurden (Côtes-d'Armor). Après la coupure de la guerre, il s'inscrit à l'Ordre des architectes en 1947. Il réalise jusqu'en 1983 de nombreux chantiers de construction et rénovation, pour la plupart dans le Finistère et les Côtes d'Armor.
Profondément anti-académique, marginalisé par la profession, constamment en butte à l'administration, il n'obtient que peu de permis de construire institutionnels, et la plupart de ses commandes émanent du secteur privé, c'est-à-dire de particuliers. Très cultivé, il garde une grande admiration pour ses deux maîtres : Le Corbusier auquel il rend un hommage particulier avec sa résidence Hélios à Trébeurden, et l'américain Frank Lloyd Wright. Ses sources préférées d'inspiration sont la faune et la flore marine, ainsi que la mythologie celtique.
Un projet d'envergure
En tout, entre novembre 1957 et juillet 1959, Roger Le Flanchec ne fait pas moins de huit études comprenant des plans détaillés et des propositions esthétiques différentes de rénovation du presbytère. Ce qui montre la créativité de l'architecte (cf. les versions retenues et non retenues ci-dessous [1]), mais aussi l'esprit critique des commanditaires, à savoir l'abbé Pennarun [2] et l'Évêché [3]. Et cela explique peut-être aussi le différend qui s'en suivra sur la facturation des voyages de Trébeurden à Ergué-Gabéric (cf. en fin d'article la relation des jugements et confrontations judiciaires).
Voici comment l'abbé Pennarun raconte sa rencontre avec l'architecte de Trébeurden : « J'ai fait la connaissance de M. Le Flanchec à l'école St-Charles de Kerfeuteun dont le directeur est un de mes amis (et qui avait confié à l'architecte la restauration de son école). C'est fortuitement que je me suis trouvé un jour, assis à table, à côté de M. Le Flanchec. A l'époque la question se posait, de la restauration du presbytère d'Ergué-Gabéric que j'occupais. Je posai quelques questions à M. Le Flanchec, touchant à mes projets. Il m'indique qu'il aimait travailler pour le clergé et qu'il me ferait les mêmes prix qu'un architecte de Quimper. ».
En comparant les plans [1] représentant respectivement les façades nord et sud dans leur état avant et après travaux, on peut se fait une idée de l'ampleur des travaux réalisés. On se rend compte notamment qu'avant les travaux, il n'y a que peu d'ouvertures sur la façade nord qui borde l'église paroissiale, ce qui, en 1858, fait dit à Michel Feunteun, maire de l'époque, dans une demande de secours à Napoléon III : « Leur presbytère, Sire, outre son aspect rebutant, qui révèle une sorte d'ancienne prison féodale ... ».
L'architecte Le Flanchec résume ainsi les enjeux de la rénovation : « Je me suis rendu sur les lieux et me suis trouvé devant un bâtiment assez complexe en raison d'une partie ancienne présentant un certain intérêt artistique et des ajouts d'époques postérieures. Il fallait revenir au bâtiment ancien, retrouver pratiquement l'ancienne stature et repartir des murs nus ».
Un des éléments anciens à conserver et à mettre en valeur est la belle tourelle nord qui soutient un magnifique escalier intérieur en pierre.
Par rapport aux études ci-dessus, l'aménagement intérieur réalisé du rez-de-chaussée est légèrement différent :
- la garage est remplacé par une salle de réunion, devenue aujourd'hui bureau d'accueil,
- une grande partie de la "salle des visiteurs" est transformée en couloir face à l'escalier principal.
Et enfin, depuis de nombreuses années, la porte d'entrée nord a été condamnée, vu sa dangerosité car elle donne directement sur la rue et à l'intérieur elle oblige de descendre 6 marches.
Des entreprises locales
C'était vraisemblablement une obligation du projet de rénovation : faire travailler les entreprises et artisans locaux. L'abbé Pennarun et l'architecte ont sollicité et supervisé des professionnels du bâtiment presque tous établis sur la commune d'Ergué-Gabéric : René Poupon du Bourg (quincaillerie, bazar, sanitaire), Yves Nicot de la Croix-Rouge (ameublements, menuiserie), Corentin Stervinou de la Croix-Rouge (entreprise générale du bâtiment), Jacques Briand de Quimper (métreur-dessinateur), Jean Coré de Lestonan (couvreur, zingueur).
Pour les travaux de maçonnerie, trois autres entreprises bretonnes sont sollicitées : Henri Ducassou de Lorient, Henri Rolland et René Maguet de Kerfeuteun, mais c'est Corentin Stevinou qui emporte le marché.
Outre les devis et mémoires de travaux (cf. ci-dessous) qui apportent des compléments d'information par rapport aux plans de l'architecte, on peut signaler quelques difficultés de travaux ou de paiement signalés notamment par le maçon Corentin Stervinou et le couvreur Jean Coré.
Un procès interminable
À l'issue des travaux qui, somme toute, se sont déroulés correctement, les choses se corsent quand il s'agit pour le commanditaire de régler les déplacements de l'architecte. Sur des travaux s'élevant au total à 74.762 francs, l'architecte facture son intervention à 13.258 francs.
L'abbé Pennarun n'est pas disposé à payer l'intégralité des sommes réclamés, il estime son dû à 8.100 francs, son argumentation étant que Roger Le Flancher avait promis de ne pas facturer le trajet Trébeurden-Quimper, car sur la même période il devait superviser le chantier de l'école St-Charles à Quimper.
Trois jugements successifs et une confrontation sont nécessaires pour aboutir en 1971 à un jugement définitif [4] déboutant Roger Le Flanchec et autorisant le recteur à ne payer qu'une partie des frais demandés :
- Novembre 1966 : 1er jugement demandant une confrontation des deux parties, et la nomination d'un expert.
- Octobre 1967 : confrontation de l'abbé Pierre Pennarun et de Roger Le Flanchec.
- Juillet 1968 : jugement incluant le rapport de l'expert architecte Nessim Bigio de Lorient [4].
- Juin 1971 : jugement définitif donnant raison à l'abbé Pennarun.
Annotations
- ↑ 1,0 et 1,1 FLC/Cité de l'architecture et du patrimoine/Archives d'architecture du XXe siècle. Fonds Le Flanchec, cote 51/126.
- ↑ L'abbé Pierre Pennarun, né à Briec le 1er septembre 1904, est recteur d'Ergué-Gabéric de 1956 à 1969.
- ↑ Depuis l'Évêché c'est le chanoine Hélou qui supervise le chantier de reconstruction du presbytère d'Ergué-Gabéric. Le Flanchec précise : « J'ai été amené à faire 7 ou 8 plans successifs de travaux que je soumettais à l'abbé Pennarun, curé d'Ergué-Gabéric et à M. le Chanoine Hélou, qui est secrétaire général de l'Évêché. Ces plans que je proposais, quand ils recevaient l'approbation de l'un, étaient rejetés par l'autre. ».
- ↑ 4,0 et 4,1 Après le jugement de 1971 Le Flanchec envisage de poursuivre légalement l'expert architecte de Lorient mais il renonce et abandonne par la suite