1906 - Inventaire au Bourg et à Kerdévot par la gendarmerie
À la recherche de la plus vieille carte postale gabéricoise (cf. article Cartes postales du Bourg d'Ergué-Gabéric) nous sommes tombés sur une carte qui avait circulé et qui contient un témoignage intéressant sur la période tourmentée de la Séparation des Églises et de l’État en 1905-1906
Autres lectures : « Résistance contre l'inventaire des biens religieux à Ergué-Gabéric, journaux divers 1906 » ¤ « La gwerz de l'Inventaire des biens de l'Eglise en 1906 à Ergué-Gabéric » ¤ « 1907 - Rapport de police sur la campagne d'un crocheteur socialiste » ¤ « LE GOFF Jean-Paul Yves - La séparation de l'Église et de l'État dans le Finistère » ¤ « Une procession pour le retour des crucifix, Le Progrès du Finistère 1907 » ¤ « La gwerz de l'Inventaire des biens de l'Eglise en 1906 à Ergué-Gabéric » ¤
Introduction
Cette carte postale relate une opération très difficile d'ouverture de l'église paroissiale par les forces de gendarmerie pour procéder à l'Inventaire des biens de l'église.
La carte est affranchie avec un timbre « Semeuse lignée » (à cause des lignes en arrière-plan, celui-ci comportant un soleil à l'horizon) et la date d'affranchissement est précisément du 2 mars 1906 à 22 heures 30, le jour exact de l'inventaire des biens de l'église à Ergué-Gabéric.
Elle est écrite par le gendarme Alfred Hettinger et adressée à son épouse Lili basée à Chateaulin : « Ma chère et bonne petite Lili. Contrairement à ce que j'avais [dit] nous n'avons pu rentrer aujourd'hui. Impossible de pénétrer dans l'église, tout était barricadé. Les crocheteurs [1] ont du abandonner leurs travaux vu les mauvais traitements des habitants. »
Un renfort a été requis : « Il a fallu l'assistance de la troupe, une compagnie du 118e [2] pour Ergué-Gabéric et Notre-Dame de Kerdévote. »
Et au recto, derrière sous le titre « 3660 ERGUÉ GABÉRIE - Vue générale (Environs de Quimper) », il précise : « endroit où nous avons premièrement opéré à 6 kilomètres de Quimper. Arrivée à 7h du matin. réussite dans nos pérégrinations à 4 h 1/2, d'où départ pour Notre-Dame de Kerdévote à 4 kilomètres de l'endroit précité ».
Cet inventaire difficile, les serruriers-crocheteurs n'arrivant pas à ouvrir les portes murées de l'édifice religieux, a fait l'objet d'articles indignés dans les journaux locaux et d'une chanson en breton rédigée par les opposants à la politique anti-religieuse du gouvernement Combes.
Document
Transcription
Ma chère et bonne petite Lili.
Contrairement à ce que j'avais [dit] nous n'avons pu rentrer aujourd'hui. Impossible de pénétrer dans l'église, tout était barricadé. Les crocheteurs [1] ont du abandonner leurs travaux vu les mauvais traitements des habitants. Il a fallu l'assistance de la troupe, une compagnie du 118e [2] pour Ergué-Gabéric et Notre-Dame de Kerdévote.
Mille baisers de ton petit Alfred qui pense à toi.
A. Hettinger [3]
Nous comptons rentrer demain matin ; dans le cas contraire je t'expédierai un télégramme.
3660 ERGUÉ GABÉRIE - Vue générale (Environs de Quimper) (endroit où nous avons premièrement opéré à 6 kilomètres de Quimper. Arrivée à 7h du matin. réussite dans nos pérégrinations à 4 h 1/2, d'où départ pour Notre-Dame de Kerdévote à 4 kilomètres de l'endroit précité).
(aujourd'hui je n'ai pu le faire vu l'heure matinale de notre départ à 5h du matin [4]).
Autres sources
L'affaire est relatée dans les colonnes de la Semaine Religieuse de Quimper et de Léon du vendredi 9 mars 1906 :
« À Ergué-Gabéric, l'église paroissiale et la chapelle de Kerdévot, dont les portes avaient été murées à l'intérieur, ont tenu en échec pendant une journée entière les crocheteurs qui opéraient sous la protection de 40 gendarmes et un bataillon d'infanterie, appelé dans l'après-midi en prévision de troubles ».
Tous les journaux, qu'ils soient conservateurs ou républicains, en ont parlé :
Le Courrier du Finistère : Une des plus belles protestations faites dans toute la Bretagne contre les inventaires a eu lieu à Ergué-Gabéric, vendredi.
Une « ligueuse » dans l'Action Libérale : À 7 heures moins un quart, les gendarmes arrivent ; il y en a à pied et à cheval ; ils cernent le cimetière, où il est très difficile d'entrer. Néanmoins, la foule y pénètre peu à peu en escaladant les murs, et bientôt 1.200 à 1.300 personnes entourent l'église.
La Dépèche de Brest : À deux heures de l'après-midi, deux compagnies du 118e, placés sous les ordres de commandant Quentin, ont quitté la caserne La Tour d'Auvergne pour se rendre sur les lieux.
Autre document, la gwerz en breton rédigée par les opposants gabéricois à l'opération d'inventaire : La gwerz de l'Inventaire des biens de l'Eglise en 1906 à Ergué-Gabéric (traduction par François Ac'h d'Arkae). Extraits de la gwerz relatant l'intervention des gendarmes :
6. Les gendarmes
se mirent au pas de charge
devant le manoir du Cleuziou
pour aller plus vite encore.
7. Comme surprend un panier en noisetier,
il était surprenant de les voir
quand ils entrèrent dans le bourg d'Ergué,
tous au galop.
8. L'adjudant de la troupe,
c'est lui, je crois, qui mit
cinq hommes auprès de chaque échalier,
le sabre au clair.
Annotations
- ↑ 1,0 et 1,1 Crocheteur, s.m. : malfaiteur ou un artisan spécialisé dans l'ouverture des portes en servant d"un crochet, ou dans la neutralisation du système des serrures à l'aide d'outils ; source : Wikipedia. Lors des Inventaires des églises en 1906, la mission du crocheteur constituait plus à défoncer les portes des édifices religieux qui souvent étaient murés. [Terme] [Lexique]
- ↑ 2,0 et 2,1 Le 118e Régiment d'Infanterie de ligne (ou 118e RI), constitué sous la Révolution, est hébergé à Quimper. Philippe Pétain en sera le lieutenant-colonel en 1907.
- ↑ Hettinger est vraissemblablement un nom originaire de Moselle.
- ↑ On ne saura sans doute jamais ce qu'il devait faire pour son épouse. On peut supposer que le départ à 5h du matin s'est fait de Quimper, lieu de rassemblement des forces, et non de Chateaulin.