1809 - Vente par expropriation forcée des deux tenues de Kerdudal
Un document où il apparaît que le domaine de la famille noble de La Marche, centré autour du manoir de Lezergué et incluant le village de Kerdudal, est l'objet d'une expropriation quelques années après la Révolution et vendu aux enchères.
Document familial détenu à titre privé et communiqué en 2016 par Jérôme Salaun, dernier exploitant de l'une des deux métairies agricoles.
Autres lectures : « Plans du village de Kerdudal » ¤ « Toponymie Kerdudal/Kerzudal » ¤ « Kerdudal, matrice parcellaire de 1834 » ¤ « Les de La Marche, nobles de Kerfort et de Lezergué, 17e-18e siècles » ¤ « 1816 - Transmission des tenues de Kerdudal du comte de Dampierre à Guillaume Favé » ¤ « 1808 - Saisie du château de Lezergué » ¤ « 1808 - Mesurage et description de la tenue noble à domaine congéable de Kerveady » ¤ « 1792-1795 - Liste des citoyens absents et réputés émigrés » ¤ « Jérôme Salaun, agriculteur et mémoire de Kerzudal, Pont-Mein et Ste-Appoline » ¤
Présentation
Le document de 1809 ci-contre démarrant par un « Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre », cela ne veut pas dire que Louis XVIII est déjà sur le trône, mais que l'extrait a été demandé sept ans plus tard pour authentifier la succession suivante. Les biens fonciers de Lezergué et de Kerdudal sont restés sous la coupe de leurs propriétaires fonciers de La Marche, pendant tout le 18e siècle jusqu'en 1808-09, en échappant aux confiscations révolutionnaires.
En effet ces propriétés n'ont pas été vendues comme biens nationaux comme l'ont été en 1795-97 tous les autres biens nobles et ecclésiastiques d'Ergué-Gabéric. Le manoir et ses mouvances sont restés la propriété de la famille de La Marche, malgré le fait que les chefs de famille (François-Louis de La Marche père et son fils cadet Joseph-René-Louis-Marie) sont réputés absents et exilés. L'absence de vente est surprenante car ces deux nobles sont émigrés à Jersey et en Guadeloupe à l’île Grand Terre et leurs terres sont nombreuses à Ergué-Gabéric.
Un premier élément de réponse est l'action de Joseph-Hyacinthe de La Marche, plus jeune fils resté à Quimper, qui se rapprocha des autorités révolutionnaires, et qui conserva certains biens gabéricois dont la mouvance congéable de Kerveady. Un deuxième point important est l'installation et le mariage outre-mer bien avant la Révolution du fils cadet Joseph-René-Louis-Marie, officier des dragons.
Nommé [1] « lieutenant en premier » au régiment de Guadeloupe le 18.08.1772, sous-aide-major le 24.12.1773, il quitte en octobre 1774 la Guadeloupe parce qu'il était devenu chef de sa famille à la suite du décès de son frère aîné et « propriétaire de biens assez considérables ». Il obtint alors, « par faveur très particulière », une commission de capitaine pour retraite. Il repasse en 1775 en Guadeloupe, puis retourne en France en 1777 rétablir sa santé. Il se marie le 29 10 1787 au Moule (Guadeloupe) avec Marie Alexandrine Victoire Boyvin, native guadeloupéenne. Ils ont une fille née en 1801 à Antigua : Marie Eugénie Leserguier de La Marche.
En 1792, le couple guadeloupéen s'endette en achetant une habitation située en quartier du Gozier à la Guadeloupe moyennant la somme de 700 000 livres [2] auprès de Dominique Louis Dampierre d'extraction noble. Ce dernier demande en 1809 la vente de Kerdudal : « La dite vente poursuivie à la requête du sieur Dominique Louis Dampierre, et dame Marie Catherine de Baulès son épouse, de lui autorisée, propriétaires habitants de la Guadeloupe, quartier de St Louis du Gozier, isle grande terre », et les De Dampierre remportent les enchères de ventes des deux tenues de Kerdudal qu'ils conservent pendant sept ans. Le document de 1816 donne d'autres informations sur ces De Dampierre.
Le document de 1809 donne le montant précis des rentes dues par les fermiers à leurs propriétaires, en argent et en nature (froment, seigle et avoine), et avec les anciennes et nouvelles mesures, ce qui permet d'avoir le taux exact de conversion des boisseaux [3] et combles [4] en hectolitres . De même pour la taille des parcelles les journaux [5] et cordes [6] sont convertis en ares et centiares.
Le rapport de la vente aux enchères, long de 20 pages, décrit et localise précisément toutes les parcelles de Kerdudal :
- Les « terres chaudes », c'est à dire cultivées, en breton.
- De mêmes les chemins, friches et parties communes : « goarem », placitre, frostages, « dilennou », « tirien », ...
- Les ponts sur les ruisseaux : « Goarem ar pont mein », « ruisseau de pont mein », « Goarem ar pontic » , ...
- Certaines parcelles emblématiques : « Foennec ar chapel », ou « parc ar bao vras » (grande de par ses 1,46 ha ou 3 journaux).
Transcription
Introduction et article 12 (page 2)
Extrait des minutes du greffe du tribunal civil de l'arrondissement de Quimper département du finistère.
Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous présent et à venir Salut ; savoir faisons que le tribunal de première instance de l'arrondissement de Quimper département du finistère a rendu le jugement suivant.
Cahier des charges du vente par expropriation forcée des biens immeubles appartenant au sieur Joseph-Louis-René de La Marche, et dame Alexandrine Boivin son épouse propriétaires habitants de la Guadeloupe y demeurant, quartier de St Louis du Gozier, île grande terre.
La dite vente poursuivie à la requête du sieur Dominique Louis Dampierre, et dame Marie Catherine de Baulès son épouse, de lui autorisée, propriétaires habitants de la Guadeloupe, quartier de St Louis du Gozier, isle grande terre, le dit sieur demeurant actuellement à Paris rue du mail numéro treize ...
Désignation des biens à vendre
Article 1er
En la commune d'Ergué-Gabéric canton et arrondissement de Quimper une tenue à domaine congéable au lieu de [page 2] Kerdalast.
Article douze
En la commune d'Ergué-Gabéric canton et arrondissement de Quimper, une tenue à domaine congéable [7] au lieu de Kerdudal possédée par René Le Pétillon du lieu de Kerhuel en la dite commune d'Ergué-Gabéric, en sa qualité de tuteur du mineur Hervé Le Pétillon, et Jean Le Poupon du lieu de Penvernen en la commune d'Elliant, aussi en qualité de tuteur du mineur Gilles Rannou, la dite tenue actuellement maneuvrée par Marie Anne Le Buguen veuve de Jean Le Mao, et Corentin Le Mao, René Le Mao et Marie Louis Pétillon sa femme, tous fermiers des sus dénommés et pour payer par an de rente convenancière et sans retenue aux fins d'acte de baillée du vingt huit floréal de l'an treize, passé au rapport de Le Bescond notaire à Quimper, y enregistrée le premier prairial suivant quatre hectolitres, six cent quatre vingt treize millièmes froment, six hectolitres et six cent quatre vingt treize millièmes seigle, cinq hectolitres trois cent cinquante quatre millièmes avoine (sept boisseaux [3] froment, dix boisseaux [3] seigle, huit boisseaux [3] avoine), dix sept francs en argent, et droit de champart [8], avec en outre cent francs de commission ; la dite rente dûe pour les terres ci-après désignées.
Article 13 (page 11) et conclusion
Article treize
En la commune d'Ergué-Gabéric, canton et arrondissement de Quimper, une tenue à domaine congéable [7] au lieu de Kerdudal, profitée par Marie Louise Mahé, veuve François Caugant, pour payer par an de rente convenancière, suivant déclaration du quatorze mai mil six cent quatrevingt douze, passée au rapport de Hémon notaire, deux hectolitres six cent [page 12] soixante dix sept millièmes froment, trois hectolitres trois cent quarante six millièmes avoine (quatre boisseaux [3] froment, quatre boisseaux [3] seigle, cinq boisseaux [3] avoine), la dite rente dûe pour les terres ci-après :
L'emplacement des édifices, crêches, soues à pourceaux, l'aire à battre au midi des édifices, la cour à frambois [9], le placître, pouvant contenir sous fonds vingt quatre ares trente un centiares (un demi journal [5]).
Le tribunal a oui Flamant l'avoué des jours suivants et de Lescluse Longraye, avocat, substituant le procureur royal en ses conclusions, ordonne qu'il soit procédé à la lecture et publication des charges, ce qui a eu lieu en l'endroit, et de suite à la réception des enchères, en conséquence ...
En douzième lieu après qu'il a été allumé trois feux qui se sont successivement éteintes, sans qu'il y ait eu aucune enchère sur la mise à prix de deux mille six cents francs pour une tenue à domaine congéable [7] au lieu de Kerdudal en la même commune, profitée par René Le Pétillon, et par Jean Le Poupon, tuteur des mineurs de Gilles Rannou, et formant le douzième article des biens à vendre,
[Page 17] Le tribunal a adjugé définitivement la rente dûe sur la dite tenue avec le fonds et les bois fonciers à maitre Flamant, pour les poursuivants, moyennant la dite somme de deux mille six cents francs.
En treizième lieu après qu'il a été allumé huit feux successifs pendant la durée desquels la rente dûe sur une tenue à domaine congéable [7] au lieu de Kerdudal, profitée par Marie Louise Mahé, veuve François Caugant ainsi que le fonds et les bois fonciers ont été enchéris à la somme de onze cent vingt cents francs par maitre Bréhier, à celle de douze cents francs par maitre Flamant, à celle de douze cent vingt cinq francs par maître Bréhier, à celle de treize cents francs par maitre Bréhier, à celle de quatorze cents francs par maitre Flamant, à celle de quatorze cents francs vingt cinq par maitre Bréhier,Originaux
Annotations
- ↑ Les éléments biographiques sur Joseph-René-Louis-Marie de La Marche proviennent des travaux de la très active association « Généalogie et Histoire de la Caraïbe » publiés sur leur site http://www.ghcaraibe.org
- ↑ Cette vente est mentionnée dans l'acte d'expropriation de Lezergué : « 1808 - Saisie du château de Lezergué » ¤
- ↑ 3,0 3,1 3,2 3,3 3,4 3,5 et 3,6 Boisseau, s.m. : mesure de capacité pour les matières sèches, les grains surtout. Sa contenance varie beaucoup suivant les produits et les localités et aussi suivant que la mesure est rase ou comble [¤source : AD Finistère, glossaire des cahiers de doléances]. La précision « Mesure du Roi » indique la volonté d'uniformiser les disparités, avant que le poids en mesure décimale ne soit adopté à la Révolution. Avant uniformisation, chaque ville ou village avait ses poids et ses mesures particuliers. Dans certains cantons, et plus particulièrement en Bretagne on était obligé d'avoir jusqu'à six mesures différentes dans son grenier pour procéder aux pesées. Par exemple le boisseau ras pour le froment contenait 11,2 litres à Morlaix et 107,1 litres à Landevennec [¤source : Wikipedia]. La mesure de Quimper était établie comme suit : 67 litres pour le froment et le seigle, 82 pour l'avoine et 79 pour le blé noir [¤source : Document GT de 1808] ou alors 67 litres pour le froment, 82 pour le seigle, et 80 pour l'avoine [¤source : Document GT de 1807]. [Terme] [Lexique]
- ↑ Comble, s.f. et adj. : mesure de capacité pour les grains, probablement la mine comble, c'est-à-dire 6 boisseaux ; source : Dictionnaire Godefroy 1880. En région quimpéroise le terme comble est plutôt donné comme équivalent d'un grand boisseau comble, par opposition à un simple boisseau ras. Soit précisément 67 litres pour le froment, 82 pour le seigle, et 80 pour l'avoine [¤source : Document GT de 1807]. La comble se distincte de la raze ; le terme est utilisé aussi comme adjectif pour préciser que la hauteur en son milieu dépasse le bord de récipient de mesure, par opposition à l'adjectif "rase". [Terme] [Lexique]
- ↑ 5,00 5,01 5,02 5,03 5,04 5,05 5,06 5,07 5,08 5,09 5,10 5,11 5,12 5,13 5,14 5,15 5,16 5,17 5,18 5,19 5,20 5,21 5,22 5,23 5,24 5,25 5,26 5,27 5,28 5,29 5,30 et 5,31 Journal, s.m. : ancienne mesure de superficie de terre, en usage encore dans certains départements et représentant ce qu'un attelage peut labourer dans une journée. Le journal est la principale unité de mesure utilisée dans les inventaires pour calculer les surfaces des champs cultivés. Dans la région quimpéroise un journal vaut 48,624 ares, à savoir 80 cordes, soit environ un demi-hectare. Pour les jardins et les courtils on utilise le terme de « journée à homme bêcheur » correspondant à un 8e de journal ou 6 ares. Les surfaces des prés se mesurent en « journée à faucheur » ou « à faucher » équivalente à 2 journaux de laboureur, soit presque un hectare. [Terme] [Lexique]
- ↑ 6,0 6,1 6,2 et 6,3 Corde, cordée, s.f. : unité de mesure de superficie. Subdivision du journal. Le journal et la corde sont les principales unités de mesure utilisées pour calculer les surfaces dans les inventaires. Dans la région quimpéroise une corde vaut 0,6078 ares à 16 toises carrées. Il faut 80 cordes pour faire un journal. [Terme] [Lexique]
- ↑ 7,0 7,1 7,2 et 7,3 Domaine congéable, s.m. : mode de tenue le plus fréquent en Cornouaille et en Trégor au Moyen-Age pour la concession des terres. Ces dernières constituent le fonds et restent la propriété des seigneurs. Par contre les édifices sont concédés en propriété aux domaniers par le propriétaire foncier (généralement noble) qui peut, en fin de bail, congéer ou congédier les domaniers, en leur remboursant la valeur différentielle des édifices nouveaux ou améliorés. Cela comprend tout ce qui se trouve au dessus du roc nu, notamment les bâtiments, les arbres fruitiers, les fossés et talus, les moissons, les engrais. Ce régime qui ne sera pas supprimé à la Révolution malgré les doléances de certaines communes bretonnes, sera maintenu par l'assemblée constituante en 1791, supprimé en août 1792 et re-confirmé en 1797. [Terme] [Lexique]
- ↑ Champart, s.m. : redevance seigneuriale, proportionnelle à la récolte. Droit féodal qu'a le seigneur de lever une partie de la récolte de ses tenanciers ; [¤source : Dictionnaire du Moyen Français]. [Terme] [Lexique]
- ↑ 9,0 9,1 9,2 9,3 et 9,4 Framboy, fembroi, s.m. :débris végétaux pour fabriquer le fumier par le piétinement des bêtes ; la boue résultante était appelée le « framboy ». Le mot se disait au départ « fembroi » (latin fimarium, dérivé de fimum : fumier). Puis, par métathèse (déplace-ment du r), il est devenu « fremboi », puis « frembois ». Le lieu où se trouvait ce tas de fumier était généralement dénommé dans les actes la « cour à frambois » ou « pors à framboy ». [Terme] [Lexique]
- ↑ 10,00 10,01 10,02 10,03 10,04 10,05 10,06 10,07 10,08 10,09 10,10 10,11 10,12 10,13 10,14 10,15 10,16 10,17 10,18 10,19 10,20 10,21 10,22 10,23 10,24 10,25 10,26 10,27 10,28 10,29 10,30 10,31 10,32 10,33 et 10,34 Terres chaudes, s.f.pl. : terres cultivables, par opposition aux terres froides ; exploitées en rotation triennale, soit blé noir, seigle, avoine (Jean Le Tallec 1994). [Terme] [Lexique]
- ↑ 11,0 11,1 11,2 11,3 et 11,4 Courtil, curtil, s.m. : jardin potager. Du bas latin cohortile, dérivé de cohors (voir Cour). Jardin, cour, enclos (Dictionnaire de l'Académie). [Terme] [Lexique]
- ↑ Turon, s.m. : clôture qui ne diffère des fossés (talus) que par les dimensions, et qui est toujours en terre. Les experts les désignent souvent sous le nom de demi-fossé, c'est un genre de clôture moins communément employé, et dont la hauteur moyenne est de 1 mètre, la largeur de 80 à 90 centimètres. Les turons n'ont point de douve, la plupart des turons étant d'anciens fossés (talus) dont on a négligé l'entretien et les réparations. Source : "Usages et règlements locaux en vigueur dans le département du Finistère, recueillis par J.-M. P. A. Limon". [Terme] [Lexique]
- ↑ 13,0 et 13,1 Frostages, s.f.pl. : terres incultes, friches, terres vaines et vagues ou terres froides. En breton le terme existe : Fraost , ad. g. -où (en) friche, parfois clair, desserré, & brut, grossier (dictionnaire Favereau). [Terme] [Lexique]
- ↑ Terres froides, s.f.pl. : terres pauvres mises en culture de loin en loin parfois après un brulis, par opposition aux terres chaudes; les terres froides prennent le reste du temps la forme de landes qui servent de pâturage d'appoint, et fournissent divers végétaux utiles : bruyères et fougères pour la litière, ajoncs pour la nourriture des chevaux, genets pour la couverture de la toiture (Jean Le Tallec 1994). [Terme] [Lexique]