1614-1640 - Aveu de l'évêque de Quimper pour les fourches patibulaires de Kerelan
Il s'agit en l’occurrence de quatre piliers de pierres reliés par des traverses en bois auxquelles étaient suspendus les condamnés à mort exposés à la vue des passants, le long de la route de Coray à la sortie de la ville épiscopale de Quimper.
Les restes de ces piliers se trouvent actuellement dans la cour du manoir voisin du Cleuyou.
En savoir plus : « 1425 - Lettre de concession du duc Jean V pour l'érection de fourches patibulaire » ¤ « 1682 - Possessions gabéricoises du seigneur de Coëtlogon, évêque de Quimper » ¤ « CHATELLIER Armand (du) - Evêché et ville de Kemper » ¤ « ABGRALL Jean-Marie - En vélo autour de Quimper » ¤ « Le manoir du Cleuziou/Cleuyou » ¤ « 1736-1740 - Défense des droits de fief, de justices et de prééminences pour Lezergué » ¤
Présentation
Il y est mentionné des fourches « patibulaires [4] à quatre post de pierre, situés au haut d'une montagne proche du village de Kerelan, près le manoir du Cleuziou », c'est-à-dire quatre piliers de pierres reliés par des traverses en bois auxquelles étaient suspendus les condamnés à mort exposés à la vue des passants. L'évêque de Quimper avait obtenu le droit « d’exécution des condamnés par sa juridiction temporelle » en 1425 , ce par lettre patente du duc Jean V [5].
Ces patibulaires, sous la juridiction de l'évêque de Quimper de 1614 à 1640, en l'occurrence Guillaume Le Prestre, seigneur de Lezonnet [6], étaient placées à l'extérieur de la ville de Quimper, sur les hauteurs entre Kerelan et Cleuyou (actuellement le quartier du Rouillen), à l'entrée ouest de la paroisse d'Ergué-Gabéric. Ces terres étaient rattachées à cette époque, aux 16 et 17e siècles, à la paroisse de Lanniron, avant de dépendre ensuite d'Ergué-Armel, puis enfin à la Révolution d'être englobé dans le territoire de la commune d'Ergué-Gabéric [7].
Les patibulaires n'étaient pas systématiquement le lieu d'exécution de toutes les sentences, mais celui où les corps des pendus étaient suspendus jusqu'à décomposition des cadavres pour impressionner les populations. Le document indique par ailleurs des « droit de potence et gibet en la dicte ville » de Quimper où avaient aussi lieu des exécutions par pendaison.
L'aveu de l'évêque indique également la mention de « justiaires », termes qui n'est pas explicite et pour lequel nous n'avons pas d'explications. La terre au-dessus de la ferme de Kerelan était connue sous le nom de Justicou ou Parc ar Justizou (document de 1644 [8]). Louis Le Guennec mentionne l'existence des restes des piliers des patibulaires de Kerelan comme suit : « à l'entrée de l'enclos, les débris de deux piliers ronds en granit provenant du gibet de la juridiction des Regaires, qui s'élevait à côté, sur le tertre des justices, au-dessus du moulin de St-Denis. ».
Le chanoine Jean-Marie Abgrall, dans son livre « En vélo autour de Quimper », évoque les lieux : « Après avoir repassé à Squividan et à Kerellan, tout en haut de la côte, quinze pas avant d'arriver sur la grand'route de Quimper, franchissons la barrière qui est à notre droite, tout contre le mur d'enclos de la ferme, et pénétrons sur ce monticule tout planté d'arbres. Allons jusqu'au sommet du tertre, qu'on appelle ar Justiçou, parce que là autrefois étaient dressés les poteaux de justice d'une juridiction quelconque. ».
Pas si quelconque que cela, car rappelons que les patibulaires de Kerelan étaient sur quatre poteaux et relevaient de la seigneurie épiscopale de Quimper. Les gibets à 4 piliers n'appartenaient qu'aux barons ou vicomtes, alors qu'un simple seigneur de Haute Justice ne disposait que de deux poteaux. Ainsi dans les documents anciens, la « montagne de Lestonan » est déclarée comme hébergeant une justice à « deux potz » appartenant aux seigneurs voisins de Lezergué [9]. Les « quatre posts » de Kerelan avaient une emprise plus importante.
Transcription
Transcription partielle de l'aveu par Armand du Chatellier.
« Cognoist et confesse le dict seigneur évesque tenir sous sa dicte majesté, à foy et hommage [10] et à devoir de prières seulement, en fief amorty [11], son palais épiscopal avec sa cour et jardin, issues [12], dépendances et appartenances, donnant de l'orient et du midi sur la muraille de la ville de Kamper, de l'occident sur la place de la tour du chastel, et du nord sur son église cathédrale (...)
Item cognoist ledit seigneur évesque tenir à foy et hommage [10] seulement, et en fief amorty [11], sa ville et cité de Kemper ainsi qu'elle est cernée de murailles avec ses faubourgs, ainsy qu'en suit ...
dans laquelle ville le dict évesque est seigneur spirituel et temporel ayant haute, moyenne et basse justice exercée de temps immémorial par sénéchal, bailliff, lieutenant, procureur d'office, des sentences desquels l'appel réitéré à la cour de Bretagne ; greffiers, procureurs, notaires, voyers, sergents tant féodés que particuliers et autres suppôts de justice ; auditoire où se tiennent les audiences, à deux heures du relevé, les lundys, mercredys et samedys, et plaidz généraux ; fours bannaux quy situés en la rue neuve, faubourg de la dicte ville, avec droit d'en construire d'autres tant en la dicte que faubourgs, prohibitivement à tous autres ; moulin avec son distroit estant et son étang sur la rivière d'Odet avec droit de pescherie, moulin à tan et autres sur la dicte rivière ; droit de foire avec les mesures coutumes (...), droit de juridiction, auditoire et prisons tant séculiers qu'ecclésiastiques, justiaire et patibulaires à quatre post de pierre, situés au haut d'une montagne estant proche du village de Kerelun, près le manoir du Cluziou et sur le chemin quy mène de la dite ville de Kemper à Coray [13] ; droit de marché qui se tient de tout temps dans la dicte ville de Kemper, le mercredy et samedy, aux droits de mesures ; droit de potence et gibet en la dicte ville, et tous droits honorifiques dans son église cathédrale et autres églises existantes dans son fief.
Item cognoist et confesse le dict seigneur évesque avoir et lui appartenir tous droits émoluments de fiefs en la dicte ville et fauxbourgs, ainsy qu'ils s'estendent comme lods et ventes [14], et rachapts [15], droit de chambellenage [16], de sceau, déshérence, successions de bastards, épaves, taux et amendes, et tous droits, fermes droits et plusieurs chefs rentes [17] comme sera cy après déclaré ; fours banaux auxquels sont tenus les habitants de Kemper de cuire leur paste, et faute de ce faire, amendables ; et pour les moulins sont subjects à la bannalité et distroit du dit moulin, aussi bien que les villages et paroisses de Kerfeunteun, de Cuzon, Ergué-Armel, Lanniron, estant sur la banlieue non subjects à d'autres moulins, au droit du seizième des bleds qu'on portera au moulin.
Recognoist le dict seigneur luy estre deub, dans la dicte ville et cité de Kemper, au terme de chaque premier jour de moy la somme de vingt livres monnoye [18] de rente, nommée la taillée de moy [19], payable par les habitants du dict Kemper et à présent par le procureur syndic des dicts bourgeois et habitants ...
Déclare et confesse le dict seigneur évesque lui estre deub, sur les balances et poids des ducs de Bretagne, à présent à sa majesté la somme de quatre deniers monnoye [18] ... »
Pour la paroisse de Lanniron :
Déclare avoir pareillement ledict seigneur, avouant foy et hommage [10], chambellenage [16], lods et ventes [14], rachapts [15] et tous devoirs et droits seigneuriaux et chefs rentes [17], avec haute, moyenne et basse justice, suite de moulin à ses moulins estant à Kemper, sur tous les manoirs et villages dépendant de la dite paroisse de Lanniron, scavoir :
- Sur le manoir de Poulguinan ...
- ...
- Le manoir du Cluziou, appartenant aux héritiers de Françoise de Kermorial ;
- Les manoirs de Kerelan et de Salglas, etc, ...
Et suivent les manoirs, terres et village dépendant de la dite seigneurie sur les paroisses d'Ergué-Armel, Kerfunteun, Cuzon, Saint-Mathieu, Ergué-Gabellic, Baiziac, Coray, Plomelin, Plounévez-Porzay, Plolan, Marc'halon, Landudec, Beuzec-cap-Cizun, Plogoff, Primelin, Esquibien.
Sources
Annotations
- ↑ Armand René du Châtellier, né à Quimper le 7 avril 1797, décédé en 1885 au château de Kernuz en Pont-l'Abbé, fut un archéologue et historien breton. Il fonda l'"Association bretonne" et le journal "Le Quimperois". Propriétaire châtelain de Kernuz, il fut aussi maire de Pont-l'Abbé de 1874 à 1877.
- ↑ Les papiers anciens du fonds Kernuz ont intégré le classement des Archives de Quimper, notamment le fonds G. Mais l'aveu de Guillaume Le Prestre n'a pas été retrouvé à ce jour. Par contre sous la cote 1 G 364 (ex 100 J 164) on retrouve dans les aveux de l'évêque François de Coëtlogon en 1682 le texte de déclaration des fourches patibulaires de Kerelan.
- ↑ Aveu, s.m. : déclaration écrite fournie par le vassal à son suzerain lorsqu’il entre en possession d’un fief, à l'occasion d'un achat, d'une succession ou rachat. L’aveu est accompagné d’un dénombrement ou minu décrivant en détail les biens composant le fief. La description fourni dans l'aveu indique le détail des terres ou tenues possédées par le vassal : le village dans lequel se situe la tenue, le nom du fermier exploitant le domaine congéable, le montant de la rente annuelle (cens, chefrente, francfief) due par le fermier composée généralement de mesures de grains, d'un certain nombre de bêtes (chapons, moutons) et d'une somme d'argent, les autres devoirs attachées à la tenue : corvées, obligation de cuire au four seigneurial et de moudre son grain au moulin seigneurial, la superficie des terres froides et chaudes de la tenue. Source : histoiresdeserieb.free.fr. [Terme] [Lexique]
- ↑ Fourches patibulaires, s.f.pl : colonnes de pierre dotées d'une traverse de bois où les condamnés à la mort sont pendus et exposés à la vue des passants. Elles ne servent donc qu'aux supplices capitaux, dont les exécutions ne se faisaient autrefois que hors les villes. Seul le seigneur Haut Justicier a le droit d'avoir des fourches patibulaires (ou gibets), puisqu'il a le droit de condamner un criminel à mort. À l'égard du nombre des piliers des fourches patibulaires, il y en a à 2, à 3, à 4 ou à 6, selon le titre et la qualité des fiefs qui ont droit d'en avoir. Les simples seigneurs Hauts Justiciers n'ont ordinairement le droit d'avoir que des fourches patibulaires à 2 piliers, s'ils ne sont fondés en titre ou possession immémoriale. Les fourches à 3 piliers n'appartiennent de droit qu'aux seigneurs châtelains; celles à 4 piliers n'appartiennent qu'aux barons ou vicomtes ; celles à 6 piliers n'appartiennent qu'aux Comtes. Source : "La justice seigneuriale et les droits seigneuriaux" de Claude-Joseph de Ferrière. [Terme] [Lexique]
- ↑ Droit d'érection des fourches patibulaires de Kerelan : cf article « 1425 - Lettes de concession du duc Jean V au seigneur évêque de Quimper pour l'érection de ses fourches patibulaires ».
- ↑ Guillaume Le Prestre, seigneur de Lézonnet, né en 1587 à Concarneau et mort en 1640 à Scaer, fut évêque de Cornouaille de 1614 à 1640. Il fonda le Collège des Jésuites de Quimper. Son père Olivier fut contemporain et ami d'Henri IV. En savoir plus : [1].
- ↑ Document officiel du découpage des paroisses par le District de Quimper : « 1791 - Rattachement à Ergué-Gabéric de Kerampensal, Cleuyou et Kerelan ».
- ↑ Document d'archives mentionnant le "Parc ar Justizou" : « 1644 - Déclaration des terres à Kerhellan par Mathieu Seznec et François Guillou ».
- ↑ Document d'archives sur les justices patibulaires à deux pots de Lestonan : « 1736-1740 - Défense des droits de fief, de justices et de prééminences pour Lezergué ».
- ↑ 10,0 10,1 et 10,2 Foi et hommage, s.f. et s.m. : le vassal devait la foi et l'hommage, lorsqu'il entrait en possession de la terre, et lorsque le seigneur le demandait. La foi traduisait un lien personnel ; l'hommage, une reconnaissance du fief (Dict. de l'Ancien Régime). [Terme] [Lexique]
- ↑ 11,0 et 11,1 Fief amorti, s.m. : on entend souvent par là un fief dont le service a été abonné à un devoir annuel ou à un droit modique de mutation en faveur des laïques. On donne aussi le nom de fiefs amortis à ceux qui ont été concédés en franche aumône aux ecclésiastiques, parce que le service en est amorti tant qu'ils restent dans les mains de ceux à qui ils ont été concédés de cette manière. Source : Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile de MM Guyot. [Terme] [Lexique]
- ↑ Issues, issue, s.f. : terre non cultivée d'un village servant à la circulation entre les habitations, les chemins et les champs ; les issues communes de villages pouvaient être utilisées par les plus pauvres pour faire "vaguer" leurs bestiaux ou ramasser du bois pour se chauffer. Lorsqu'un village est tenu en domaine congéable, les "issues et franchises" peuvent être incluses dans les aveux de déclaration des droits et rentes. Les inventaires et dénombrements contiennent également l'expression "aux issues" qui désigne l'éloignement par rapport au centre du village. Dans les descriptifs d'habitations, le terme "issues" désigne les portes et accès. [Terme] [Lexique]
- ↑ Note d’Armand du Chatellier : Ces patibulaires étaient distinctes de ceux de la juridiction royale qui étaient placés au mont Frugy (aveu de Cyrienne de Rohan du 6 may 1542).
- ↑ 14,0 et 14,1 Lods et ventes, s.m.pl, s.f.pl : redevances dues au seigneur en cas de vente d'une censive relevant de son domaine et payées par l'acheteur (lods) et le vendeur (ventes). Source : trésors Langue Française [Terme] [Lexique]
- ↑ 15,0 et 15,1 Rachapt, rachètement, s.m. : en terme de coutume droit du au seigneur à chaque mutation du fief (dictionnaire Godefroy 1880). Droit du au seigneur par un nouveau tenancier après une succession qui est appelé également relief ou rachat des rentes (Dict. de l'Académie). [Terme] [Lexique]
- ↑ 16,0 et 16,1 Chambelenage, chambellage, s.m. : vient de ce qu'autrefois le chambellan, dont l'office est de veiller sur ce qui se passe dans la chambre du roi, assistait à la cérémonie de la foi et hommage des vassaux du roi, et recevait d'eux à cette occasion quelque libéralité. Les seigneurs particuliers avoient aussi autrefois la plûpart leurs chambellans, lesquels exigeaient un droit des vassaux du seigneur, pour les introduire dans sa chambre lorsqu'ils venaient faire la foi et hommage ; droit que les seigneurs ont appliqué à leur profit, depuis qu'ils ont cessé d'avoir des chambellans en titre. Le droit de chambellage est réglé différemment par les coutumes, tant pour la quotité du droit, que pour la qualité de ceux qui le doivent, et les cas où il est dû. Les coutumes de Hainaut et de Cambrai appellent ce droit chambrelage; et celle de Bretagne, chambellenage.Source : Dict. raisonné des sciences, des arts et des métiers. [Terme] [Lexique]
- ↑ 17,0 et 17,1 Chefrente, s.f. : rente perpétuelle payable en argent ou en nature au seigneur suzerain par le détenteur d'un héritage noble. La chefrente était en principe immuable (Yeurch, histoire-bretonne). [Terme] [Lexique]
- ↑ 18,0 et 18,1 Monoie, Monnoye, adj : un sol monoie désigne une petite pièce de monnaie faite de billons, c'est-à-dire de cuivre, tenant un peu d'argent, mais plus ou moins, suivant les lieux (Encyclopédie Diderot). Existence de « livres monnoie » et de « deniers monnoye » à signaler également, en complément des livres tournois qui deviendront l'unique monnaie de compte en 1667. [Terme] [Lexique]
- ↑ Taille, s.f. : taxe personnelle (pesant sur les personnes) ou réelle (établie sur les biens), l'un des principaux impôts directs levé en France. Elle n'existe pas en Bretagne mais les fouages y constituent une sorte de taille réelle. Source : « glossaire des cahiers de doléances », AD29. Outre les fouages au roi, on trouve également au 17e siècle des tailles collectives à l'évêque pour les habitants de certaines villes bretonnes (Quimper notamment). Et par ailleurs, de façon indirecte, les roturiers étaient largement imposés au titre du domaine congéable dont la rente annuelle est quelquefois qualifiée de « taillée ». [Terme] [Lexique]