La bataille du lait de Jean-Marie Puech, agriculteur à Kerellou, Journaux 1948

De GrandTerrier

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Agriculteur à Kerellou et adjoint au maire en 1948, Jean-Marie Puech, engagé dans la bataille du lait, est arrêté et condamné à 200.000 francs d'amende et deux mois de prison.

Source : journaux régionaux (Le Télégramme, L'Aube, La Bourgogne Républicaine), corporatistes (Libération Paysanne de la C.G.A.) et nationaux (Combat, L'Intransigeant).

Autres lectures : « Jean-Marie Puech, maire (1959-1977) » ¤ « Jean-Marie Puech, le dernier maire-paysan, Ouest-France 1987 » ¤ 

Présentation

On a en mémoire les deux conflits du printemps 1972 et de septembre 2009, qualifiés de « guerres du lait », les deux faisant suite à une baisse saisonnière du prix du lait décidée à Bruxelles.

La « bataille du lait » de juin 1948 fait aussi référence à un mouvement de grève et de protestation des agriculteurs français contre les prix du lait trop bas accordés aux producteurs, dans un contexte de difficultés économiques du secteur agricole de l'après-guerre.

Le département du Finistère, région d'élevage laitier importante, a été particulièrement mobilisé via notamment des blocages de livraisons de la part des agriculteurs vers les circuits de distribution. Les agriculteurs revendiquent un prix supérieur à celui qui a été fixé par le décret ministériel du 4 mars 1947 : 9,75 (ce qui donne un prix aux consommateurs de 12 francs, avec les 3.20 accordés aux intermédiaires).

Les deux organisations syndicales C.G.A. et F.N.S.E.A. organisent les négociations. La C.G.A. (Confédération générale de l'agriculture [1]) demande à ses membres « d'appliquer son tarif, soit 25 francs le litre vendu aux consommateurs ou de ne plus rien céder. »

Devant les blocages de livraison aux distributeurs, surtout dans les centres urbains (en campagne on peut aller chercher son lait directement à la ferme), le préfet du Finistère demande la réquisition et l'application des tarifs légaux.

Le samedi matin du 7 juin 1948, plusieurs agriculteurs du département sont arrêtés par la gendarmerie : à Chateaulin Hervé Morvan, à Plomelin Guénolé Plouzennec, et à Ergué-Gabéric les deux contrevenants Michel Le Roux de Guernevez et Jean-Marie Puech de Kerellou. Le premier et le dernier ont droit à leurs photos dans le journal « Libération Paysanne  » de la C.G.A. avec ce titre : « Justice doit leur être rendue ». Le monde syndical s'indigne de la condamnation - « 2 mois de prison et 200.000 francs d'amende » pour J.-M. Puech - et exige que « le jugement soit immédiatement cassé. ».

Les journaux locaux comme « Le Télégramme » ou « Ouest-France » relèvent aussi la lourdeur de la peine prononcée sur le champ pour Morvan et Puech. Les deux autres échappent à la prison car « les délits de refus de livraison et refus d'obtempérer à l'ordre de réquisition insuffisamment caractérisés ». Mais ils risquent une autre condamnation pour « hausse illicite », c'est-à-dire l'exigence d'un prix supérieur aux 9 francs 75 le litre de lait.

D'autres journaux régionaux comme « L'Aube » ou « La Bourgogne républicaine », dans des départements où la crise laitière est moins marquée couvrent les évènements finistèriens. On trouve aussi des entre-filets dans certain quotidiens nationaux comme « L'Intransigeant » ou « Combat ».

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Tous ces journaux ne se contentent pas de louer le combat des paysans pour leur filière, ils mentionnent aussi les risques sanitaires pour les populations des villes : « Le préfet a fait constituer des stocks de lait en poudre ; les distributions vont être accélérées dans des centres multipliés. ».

Jean-Marie Puech et Hervé Morvan, qui ont été écroués le jour même de leur arrestation, ont fait appel de leurs condamnations. On ne sait pas si la cour de Rennes, dans sa sentence d'appel, a abrégé leurs mois de détention. Notre paysan gabéricois continuera son activité à Kerellou, et sera élu maire en 1959 avec son sens de la formule : « J'avais toujours dit que j'aurais été le dernier maire-paysan ! ».

Transcriptions

Libération Paysanne 01.06.1948

Justice doit leur être rendue

(deux photos : à gauche M. MORVAN (Hervé), à Kerjean, Châteaulin ; à droite M. PUECH (Jean), à Kerellou, Ergué-Gabéric)

Nos deux amis ont été arrêtés pour avoir accompli leur devoir syndical, pour avoir pris la défense de milliers de petits exploitants du Finistère réclamant un juste prix du lait, qui n'est pour eux qu'un juste salaire.

Les gouvernements qui, depuis trois ans, promettent beaucoup et tiennent peu, qui n'accordent souvent que de fallacieuses priorités, qui croient pouvoir nourrir le pays par des discours dominicaux, ont-ils l'illusion qu'ils s'en tireront par des actes aussi arbitraires qu'odieux ? Arrêter de braves gens, de bons syndicalistes, n'est ni gouverner ni agir. Dans ce cas, c'est achever de perdre la confiance des agriculteurs.

Aussi tous les paysans, groupés au sein de la Fédération des exploitants et de la C.G.A., ont-ils déclaré la semaine dernière, dans deux motions votées à l'unanimité par le bureau et le conseil national, qu'ils se sentaient pleinement solidaires de nos deux amis ; ils ont déclaré qu'ils les soutiendraient de toute leur force, ainsi que tous ceux qui seraient poursuivis pour avoir accompli leur devoir de paysan syndicaliste.

La C.G.A. et la F.N.S.E.A. demandent que Justice soit rendue à MM. Puech et Morvan, et que le jugement soit immédiatement cassé.

La C.G.A et la F.N.S.E.A. exigent que soient respectés les droits syndicaux. Et cela pour vive le pays.

Télégramme 07.06.1948

LE CONFLIT LAITIER

Trois producteurs arrêtés

M. J.-M. PUECH, adjoint au maire d'Ergué-Gabéric, est condamné à 2 mois de prison et 200.000 francs d'amende. Quimper, le 6.

L'ordre de réquisition lancé jeudi dernier par le préfet du Finistère ne semble point jusqu'à présent avoir résolu le conflit du lait dont souffrent encore la plupart des centres urbains du département. Ses premières conséquences se révélèrent vendredi sous la forme d'une plus grande raréfaction des apports jusqu'alors enregistrés, et seule quelques enfants en bas âge purent bénéficier d'une distribution de lait frais.

À la suite d'une enquête des gendarmes de la brigade de Quimper, trois arrestations étaient opérées samedi matin pour obstacle à la livraison du lait et refus d'obtempérer à l'ordre de réquisition lancé par arrêté préfectoral.

MM. Jean-Marie Puech, cultivateur à Kerellou, en Ergué-Gabéric, et adjoint au maire de cette commune ; Michel Le Roux, à Guernevez, en Ergué-Gabéric, et Guénolé Plouzennec, à Kerguen, en Plomelin, furent, dès le début de l'après-midi, déférés devant le procureur de la Républiquue.

Peu après, vers 16 heures, ils étaient jugés par le tribunal correctionnel, réuni en audience de flagrant délit. Tous trois avaient refusé le délai de trois jours qui leur était accordé pour préparer leur défense.

Jean-Marie Puech, qui, deux jours durant, avait refusé de livrer son lait, a été condamné à deux mois de prison et 200.000 fr. d'amende.

Guénolé Plouzennec et Michel Le Roux, pour lesquels le tribunal juge les délits de refus de livraison et refus d'obtempérer à l'ordre de réquisition insuffisamment caractérisés, sont acquittés.

Contre Michel Le Roux est cependant retenu un troisième chef d'inculpation : la hausse illicite. A ce sujet, le tribunal se déclare incompétent et renvoie l'affaire devant le tribunal économique qui doit tenir sa prochaine audience le 14 juin.

Après avoir été écroué, sur confirmation par le tribunal de son mandat de dépôt, Michel Le Roux a été remis hier en liberté provisoire.

Télégramme 12.06.1948

MM. Puech et Morvan producteurs laitiers devant la cour d'appel

Récemment condamnés pour obstacle à la livraison du lait et refus d'obtempérer à un ordre de réquisition lancé par arrêté préfectoral, le premier, M. Jean-Marie Puech, à deux mois de prison et 200.000 fr. d'amende, samedi 5 juin par le tribunal correctionnel de Quimper ; le second, M. Hervé Morvan, à trois mois de prison et 100.000 francs d'amende, le mardi 8 juin par le tribunal correctionnel de Châteaulin, ont, tous deux, fait appel aux jugements rendus.

Leur cas sera à nouveau étudié mercredi prochain 16 juin, par la Cour d'appel de Rennes, devant laquelle ils sont appelés à comparaître.

Me Guirardel, du barreau de Quimper, assurera leur défense.

L'Aube 06.06.1948

Premières sanctions dans le Finistère contre des producteurs de lait en grève

Depuis plusieurs semaines, les producteurs laitiers du Finistère, se conformant au mot d'ordre de la C.G.A., avaient cessé de livrer leur lait aux détaillants des principales agglomérations. Ils le laissaient à la disposition des services de ramassage, organisés par les municipalités et espéraient par ce moyen contraindre les pouvoirs publics à consentir les augmentations demandées par leur syndicat.

Cette situation précaire du ravitaillement départemental menaçait de durer lorsque la C.G.A. informa ses membres d'appliquer son tarif, soit 25 francs le litre vendu aux consommateurs ou de ne plus rien céder.

Ces dernières mesures provoquèrent jeudi dernier de la part de M. Martin, préfet du Finistère, un ordre de réquisition de tous les producteurs laitiers du département lesquels, en vertu de la loi du 11 juillet 1938, étaient mis en demeure d'assurer les services de livraison normaux.

Les brigades de gendarmerie chargées d'assurer le respect de l'ordre de réquisition, ont opéré plusieurs arrestations à Ergué-Gabéric, près de Quimper : l'adjoint du maire, M. Puech, a été arrêté. Jugé sur le champ, il a été condamné à 2 mois de prison et 200.000 francs d'amende.

La Bourgogne Républicaine 07.06.1948

DANS LE FINISTÈRE

Des producteurs de lait qui faisaient la grève des livraisons sont arrêtés, jugés et condamnés

Quimper. - Depuis plusieurs semaines, les producteurs laitiers du Finistère, se conformant au mot d'ordre de la C.G.A., avaient cessé de livrer leur lait aux détaillants des principales agglomérations. Ils le laissaient à la disposition des services de ramassage, organisés par les municipalités et espéraient par ce moyen contraindre les pouvoirs publics à consentir les augmentations demandées par leur syndicat.

Cette situation précaire du ravitaillement départemental menaçait de durer lorsque la C.G.A. informa ses membres d'appliquer son tarif, soit 25 francs le litre vendu aux consommateurs ou de ne plus rien céder.

Ces dernières mesures provoquèrent jeudi dernier de la part de M. Martin, préfet du Finistère, un ordre de réquisition de tous les producteurs laitiers du département lesquels, en vertu de la loi du 11 juillet 1938, étaient mis en demeure d'assurer les services de livraison normaux.

Les brigades de gendarmerie chargées d'assurer le respect de l'ordre de réquisition, ont opéré plusieurs arrestations à Ergué-Gabéric, près de Quimper : l'adjoint du maire, M. Puech, a été arrêté. Jugé sur le champ, il a été condamné à 2 mois de prison et 200.000 francs d'amende. Dans la même commune, deux autres cultivateurs ont été également appréhendés et on s'attend à de nouvelles arrestations.

Combat 06.06.1948

FINISTÈRE : LA GENDARMERIE ARRÊTE LES PRODUCTEURS DE LAIT RÉCALCITRANTS

Quimper, 5 juin. - Depuis plusieurs semaines, les producteurs laitiers du Finistère, se conformant au mot d'ordre de la C.G.A., avaient cessé de livrer leur lait aux détaillants des principales agglomérations. Ils le laissaient à la disposition des services de ramassage, organisés par les municipalités et espéraient par ce moyen contraindre les Pouvoirs publics à consentir les augmentations demandées par leur syndicat.

Cette situation précaire du ravitaillement départemental menaçait de durer lorsque la C.G.A. informa ses membres d'appliquer son tarif, soit 25 francs le litre vendu aux consommateurs ou de ne plus rien céder.

Ces dernières mesures provoquèrent jeudi dernier de la part de M. Martin, préfet du Finistère, un ordre de réquisition de tous les producteurs laitiers du département lesquels, en vertu de la loi du 11 juillet 1938, étaient mis en demeure d'assurer les services de livraison normaux. Les brigades de gendarmerie chargées d'assurer le respect de l'ordre de réquisition, ont opéré plusieurs arrestations à Ergué-Gabéric, près de Quimper : l'adjoint du maire, M. Puech, a été arrêté. Jugé sur le champ, il a été condamné à 2 mois de prison et 200.000 francs d'amende. Dans la même commune, deux autres cultivateurs ont été également appréhendés et on s'attend à de nouvelles arrestations.

L'Intransigeant 04.06.1948

LA BATAILLE DU LAIT s'engage dans le Finistère

Rennes, 3 juin. (Dépêche "Paris-presse" - La bataille engagée entre le Ravitaillement général et les producteur de lait, dans les départements de l'Ouest, entre dans une nouvelle phase qui peut entraîner de graves conséquences.

Si dans les Côtes-du-Nord le préfet est arrivé à obtenir une trêve de deux jours et a obtenu des producteurs de lait qu'ils continuent momentanément à livre leur lait à 18 francs le litre, le préfet du Finistère, M. Martin, a été obligé, lui, d'ordonner la réquisition.

En effet, en vertu de la loi du 11 juillet 1938 sur l'organisation de la nation en temps de guerre, l'ensemble des producteurs laitiers du Finistère, ainsi que le personnel des entreprises et exploitations concourant à l'approvisionnement en lait des consommateurs du département sont mis en état de réquisition. Les producteurs et le personnel de tout rang des entreprises ainsi définies sont tenus à assurer régulièrement les livraisons habituelles.

L'ordre de réquisition est précédé d'un attendu qui souligne qu'il y a dans cette révolte des producteurs de lait l'action de quelques dirigeants et qu'elle va à l'encontre de l'opinion générale des cultivateurs.

Des complication administratives à prévoir

Il reste que l'approvisionnement en lait des villes ouvrières, comme Brest, va se trouver difficile. Le préfet a fait constituer des stocks de lait en poudre ; les distributions vont être accélérées dans des centres multipliés. Mais comme ce lait est plus cher, la Sécurité sociale, les allocations familiales, le service social de la Marine rembourseront à leurs ressortissants la différence entre le prix du lait fermier et celui du lait industriel. On devine que les complications administratives que ces mesures vont entraîner.

Coupures de presses


Annotations

  1. La CGA (Confédération générale de l'agriculture) fut créée au sortir de la guerre afin de proposer une alternative à la Corporation paysanne mise en place par le régime de Vichy. Elle est issue de la Confédération nationale paysanne (CNP), de tendance SFIO (socialiste). Ce syndicat clandestin regroupe essentiellement des militants socialistes et radicaux.



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Thème de l'article : Coupures de presse relatant l'histoire et la mémoire d'Ergué-Gabéric Création : janvier 2025    Màj : 17.10.2025