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De GrandTerrier

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Après avoir copieusement dîné chez le maire, j'allai faire un tour jusqu'au pardon où je vis que rien n'était changé. À l'entrée, je revis les mêmes affligés et les mêmes paralytiques bordant les deux côtés du chemin et appelant à tue-tête avec les intonations jérémiques et jalimiques la pitié des passants, des béquillards, des manchots, des culs-de-jatte, d'autres montrant des plaies horribles et hideuses souvent entretenues à dessein pour exciter la pitié, d'autres affligés d'une demi-douzaine de gosses en guenilles et rangées artistiquement par rang de taille sur la paille ou la fougère. Et c'était au nom de Dieu et de Marie, sa mère, la Notre-Dame de Kerdévot que ces malheureux imploraient la charité et c'était aussi au nom de ces mêmes fictions qu'ils la recevaient, l'humanité n'y était pour rien. Ce n'était pas une aumône que ces malheureux recevaient, c'était de l'argent placé à gros intérêts puisque les donateurs devaient recevoir en grâce et en indulgence le centuple, comme il est dit dans les Évangiles : « Et Timothée dit : "Le riche qui donne, s'amasse aussi pour l'avenir un trésor placé sur un bon fonds." »

L'aspect de ce grand grand pardon était toujours tel que je l'avais vu autrefois. L'esplanade était entièrement couvertes de débits et de longues tentes blanches, lesquelles étaient remplis de gens buvant des camots (café mêlé d'eau-de-vie, du breton mikamo) et demi-camots, c'est-à-dire de l'eau noircie mêlée de la plus mauvaise eau-de-vie. Je voyais encore des hommes et des femmes tournant autour de la chapelle, les uns debout, les autres se traînant sur leurs genoux. Ici, je pouvais constater cependant malgré les épithètes dont on gratifie les Bretons au sujet de leur ignorance, de leur fanatisme, que j'en avais vu d'autres peuples plus ignorants et plus fanatisés encore, aussi bien chez les chrétiens de toutes sectes que chez les mahométans. J'avais vu les moujiks russes se traînant à deux genoux pour se rendre au saint Sépulcre en suivant, soi-disant, la Voie Douloureuse et se brûler le front, les seins et autres parties du corps avec des bouts de chandelle allumés au feu du Saint-Esprit. J'avais vu au Mexique des femmes se traînant à genoux, les jupes relevées à la suite du carrosse d'un évêque pansu et j'avais vu, un Vendredi Saint, imiter toutes les scènes de la passion avec un pauvre bougre qui se laissait faire comme s'il eût été le Christ. On ne peut pousser plus loin les folies de la religion. Je voyais cependant qu'à Kerdévot les miracles avait baissé car il n'y avait pas autant de sacs de blé, de moutons, de bœufs et de génisses que j'en avais vu autrefois, offerts par des miraculés et par ceux qui demandaient à l'être. Cela provient sans doute de ce que cette Dame, malgré ses nombreux enfants, ne peut pas tenir plusieurs maisons de commerces à la fois. Ici, en Bretagne, elle en a tenu successivement plusieurs, grâce à sa mère sans doute qui en est la patronne, mais toutes elles tombent en décadence, les unes après les autres, surtout depuis que cette grande industrielle a porté le centre de son industrie dans les Pyrénées (allusion à Lourdes).