« La gwerz de la ville d'Ys chantée par Déguignet » : différence entre les versions

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[[Image:Espacedeguignetter.jpg|140px|left|link=]]__NOTOC__<i>Dans les années 1850, Jean-Marie Déguignet, vacher commis de ferme, fait l'acquisition d'une édition populaire de la complainte « Ar Roue Gralon ha Kear Ys » (Le Roi Gradlon et la Ville d'Ys) qu'il décortiqua et apprit à chanter aux autres domestiques.</i>
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|width=50% valign=top|<i>Dans les années 1850, Jean-Marie Déguignet, vacher commis de ferme, fait l'acquisition d'une édition populaire de la complainte « Ar Roue Gralon ha Kear Ys » (Le Roi Gradlon et la Ville d'Ys) qu'il décortiqua et apprit à chanter aux autres domestiques.</i>
[[Image:ArgolYs.jpg|140px|right|link=]]Quel est l'origine et le contenu exacts de cette gwerz ou complainte en langue bretonne ?
 
Autres lectures : {{Tpg2|:Category:JMD|Espace Déguignet}}{{Tpg|DÉGUIGNET Jean-Marie - Histoire de ma vie, l'Intégrale}}{{Tpg|DEGUIGNET François-Marie et LE GUENNEC Louis - Contes et légendes du Grand-Ergué}}


Quel est l'origine et le contenu exacts de cette gwerz ou complainte en langue bretonne ?
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==Présentation==
==Présentation==


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Qui ne connait la légende de Ker Ys ("ville d'Ys"), l'Atlantide bretonne ? L'histoire dit qu'elle fut engloutie pour punir Dahut, la fille du roi Gradlon, de ses péchés. Jean-Marie Déguignet nous raconte dans ses mémoires qu'on lui acheta une version imprimée de la complainte de Ker Ys, sans doute sous forme de feuille volante, alors qu'il était jeune vacher dans une ferme de Kerfeunteun dans les années 1851-1854.
Qui ne connait la légende de Ker Ys ("ville d'Ys"), l'Atlantide bretonne ? L'histoire dit qu'elle fut engloutie pour punir Dahut, la fille du roi Gradlon, de ses péchés. Jean-Marie Déguignet nous raconte dans ses mémoires qu'on lui acheta une version imprimée de la complainte de Ker Ys, sans doute sous forme de feuille volante, alors qu'il était jeune vacher dans une ferme de Kerfeunteun dans les années 1851-1854.


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On s'attachera ci-dessous à comparer la présentation de la gwerz faite par Déguignet avec le texte d'origine, et évoquer également les figures qu'étaient les marchandes de chansons dans les foires et pardons.
On s'attachera ci-dessous à comparer la présentation de la gwerz faite par Déguignet avec le texte d'origine, et évoquer également les figures qu'étaient les marchandes de chansons dans les foires et pardons.
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[[Image:GradlonIs.jpg|400px|thumb|center|La fuite du roi Gradlon, Évariste-Vital Luminais, vers 1884, Musée des Beaux-Arts de Quimper]]
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==Lecture de Déguignet==
==Lecture de Déguignet==


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<small>[Aussitôt, la mer arrive plus rapide, et Guénolé s'écrie en tremblant : Gradlon, jette à bas de ton cheval ce démon maudit.]</small>
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Quant aux derniers versets de la gwerz d'Olivier Souvestre, il y a bien une évocation de Notre-Dame de Rumengol, lieu de débarquement en terre ferme de Gradlon et Guénolé :
Quant aux derniers versets de la gwerz d'Olivier Souvestre, il y a bien une évocation de Notre-Dame de Rumengol, lieu de débarquement en terre ferme de Gradlon et Guénolé :


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<u><big>Le Texte de Jean-Marie Déguignet</big></u> , <br>« [[DÉGUIGNET Jean-Marie - Histoire de ma vie, l'Intégrale|Intégrale des Mémoires d'un paysan breton]] », page 134 :  
<u><big>Le Texte de Jean-Marie Déguignet</big></u> , <br>« [[DÉGUIGNET Jean-Marie - Histoire de ma vie, l'Intégrale|Intégrale des Mémoires d'un paysan breton]] », page 134 :  
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Ce fut pendant que j'étais à Kermahonec que parut une nouvelle <i>guers</i> sur cette fameuse ville d'Is. [...]  
Ce fut pendant que j'étais à Kermahonec que parut une nouvelle <i>guers</i> sur cette fameuse ville d'Is. [...]  
Cette <i>guers</i> de Ker Ys fut achetée pour moi, car de tous les serviteurs de Kermahonec, moi seul savait lire le breton. Je fus donc obligé de leur chanter cette <i>guers</i>, et très souvent, car elle leur plaisait beaucoup, surtout aux femmes, qui cherchaient à l'apprendre par cœur. Cette <i>guers</i> comme je l'ai déjà dit n'est que la légende rimée de la catastrophe de la ville d'Ys. J'ai déjà montré que le diable Paulic est partout mystifié et roulé par les paysans ; la légende d'Ys nous montre que là, Paulic mystifia et roula tous les jeunes riches de la ville, et la princesse elle-même ; il est vrai que Paulic agissait au nom ; par ordre de l’Éternel, comme autrefois quand il fut envoyé pour punir Job. Déguisé en beau et élégant prince, il séduisit tellement la fille du vieux Gralon, que celle-ci, pour lui plaire , alla, la nuit, voler la clé d'or que son père portait au cou et pendant que celui-ci dormait. Paulic n'avait besoin que de cette clé pour exécuter les ordres de l’Éternel. C'était la clé des écluses qui protégeaient la ville contre l'envahissement de la mer. Dès que Paulic tint cette clé, il alla ouvrir ces écluses pendant que la princesse et ses compagnons de débauche dansaient les danses des Bacchantes dans son palais des orgies. Guénolé, sur l'ordre de l’Éternel aussi, venait au triple galop d'un cheval sauvage réveiller le vieux roi, qu'il fit monter à cheval pour se sauver devant les flots qui envahissaient déjà la ville. En s'en allant à travers les rues, il rencontre sa fille courant éperdue devant les flots; il la prend en croupe, mais aussitôt son cheval ralentit son pas pendant que les flots montaient toujours; voyant qu'il allait être englouti comme tout le reste , Guénolé lui cria : « <i>Taol en diaoul er mour</i> » (« jette le diable à la mer »). À la fin, le vieux Gralon se voyant perdu, d'un coup de coude, il pousse sa fille dans les flots qui s'arrêtèrent aussitôt ; alors son cheval, allégé de ce fardeau diabolique, fit un tel bond qu'il alla tomber sur le rocher du Rumengol, à plusieurs lieues de là, où le roi fit bâtir une chapelle en l'honneur de la mère de Dieu, Notre Dame du Rumengol, qui a le pouvoir de sauver tout le monde, dit la <i>guers</i> pourvu qu'on se confie à elle :
Cette <i>guers</i> de Ker Ys fut achetée pour moi, car de tous les serviteurs de Kermahonec, moi seul savait lire le breton. Je fus donc obligé de leur chanter cette <i>guers</i>, et très souvent, car elle leur plaisait beaucoup, surtout aux femmes, qui cherchaient à l'apprendre par cœur. Cette <i>guers</i> comme je l'ai déjà dit n'est que la légende rimée de la catastrophe de la ville d'Ys. J'ai déjà montré que le diable Paulic est partout mystifié et roulé par les paysans ; la légende d'Ys nous montre que là, Paulic mystifia et roula tous les jeunes riches de la ville, et la princesse elle-même ; il est vrai que Paulic agissait au nom ; par ordre de l’Éternel, comme autrefois quand il fut envoyé pour punir Job. Déguisé en beau et élégant prince, il séduisit tellement la fille du vieux Gralon, que celle-ci, pour lui plaire , alla, la nuit, voler la clé d'or que son père portait au cou et pendant que celui-ci dormait. Paulic n'avait besoin que de cette clé pour exécuter les ordres de l’Éternel. C'était la clé des écluses qui protégeaient la ville contre l'envahissement de la mer. Dès que Paulic tint cette clé, il alla ouvrir ces écluses pendant que la princesse et ses compagnons de débauche dansaient les danses des Bacchantes dans son palais des orgies. Guénolé, sur l'ordre de l’Éternel aussi, venait au triple galop d'un cheval sauvage réveiller le vieux roi, qu'il fit monter à cheval pour se sauver devant les flots qui envahissaient déjà la ville. En s'en allant à travers les rues, il rencontre sa fille courant éperdue devant les flots; il la prend en croupe, mais aussitôt son cheval ralentit son pas pendant que les flots montaient toujours; voyant qu'il allait être englouti comme tout le reste , Guénolé lui cria : « <i>Taol en diaoul er mour</i> » (« jette le diable à la mer »). À la fin, le vieux Gralon se voyant perdu, d'un coup de coude, il pousse sa fille dans les flots qui s'arrêtèrent aussitôt ; alors son cheval, allégé de ce fardeau diabolique, fit un tel bond qu'il alla tomber sur le rocher du Rumengol, à plusieurs lieues de là, où le roi fit bâtir une chapelle en l'honneur de la mère de Dieu, Notre Dame du Rumengol, qui a le pouvoir de sauver tout le monde, dit la <i>guers</i> pourvu qu'on se confie à elle :
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Celle-là fait aujourd'hui une concurrence désastreuse à la Dame de Kerdévot depuis que le chemin de fer y conduit les pèlerins à prix réduit <ref name=GareRumengol>La ligne de chemin de fer entre Quimper et Brest est ouverte en 1867. Du fait que Rumengol ne disposait pas de gare, les pèlerins venant au grand pardon par le train s'arrêtaient à la gare de Quimerc'h (« <i>Quimerch ! Les voyageurs pour Rumengol descendent !</i> » écrit Anatole Le Braz dans <i>Au pays des pardons</i>) ; mais, certains jours de pardon, les trains s'arrêtaient au passage à niveau de la forêt du Cranou comme en témoigne cet exemple en 1904 :  « <i>À l'occasion de cette solennité, la Compagnie des chemins de fer d'Orléans arrêtera, le dimanche 24 courant, les trains au passage à niveau 543 entre Quimerch et Hanvec. (...) De plus, un train extraordinaire aura lieu entre Quimper et la station 543</i> ».
Celle-là fait aujourd'hui une concurrence désastreuse à la Dame de Kerdévot depuis que le chemin de fer y conduit les pèlerins à prix réduit <ref name=GareRumengol>La ligne de chemin de fer entre Quimper et Brest est ouverte en 1867. Du fait que Rumengol ne disposait pas de gare, les pèlerins venant au grand pardon par le train s'arrêtaient à la gare de Quimerc'h (« <i>Quimerch ! Les voyageurs pour Rumengol descendent !</i> » écrit Anatole Le Braz dans <i>Au pays des pardons</i>) ; mais, certains jours de pardon, les trains s'arrêtaient au passage à niveau de la forêt du Cranou comme en témoigne cet exemple en 1904 :  « <i>À l'occasion de cette solennité, la Compagnie des chemins de fer d'Orléans arrêtera, le dimanche 24 courant, les trains au passage à niveau 543 entre Quimerch et Hanvec. (...) De plus, un train extraordinaire aura lieu entre Quimper et la station 543</i> ».
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==Marchande de chansons==
==Marchande de chansons==


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Dans sa « <i>Bretagne d'Hier</i> » (Rennes, 1937), Léon Le Berre trace un très vivant portrait de Marie Kastellin, marchande de chansons bretonnes dans les foires et pardons :
Dans sa « <i>Bretagne d'Hier</i> » (Rennes, 1937), Léon Le Berre trace un très vivant portrait de Marie Kastellin, marchande de chansons bretonnes dans les foires et pardons :
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Ils apercoivent, (sur la place du village de Locronan), juchée sur un escabeau, lunettes au nez et couplets en main, la chanteuse  populaire de Quimperlé, Mari Kastellin. Cette participante obligée de tous les pardons se nomme ainsi parce que, de tous les costumes dont elle fait usage, celui de Châteaulin, est son préféré. Elle revêt, d'ordinaire, les atours de la contrée où elle travaille et, aux portes de Châteaulin, aujourd'hui, elle en a arboré le coquet bonnet à anses. ...  
Ils apercoivent, (sur la place du village de Locronan), juchée sur un escabeau, lunettes au nez et couplets en main, la chanteuse  populaire de Quimperlé, Mari Kastellin. Cette participante obligée de tous les pardons se nomme ainsi parce que, de tous les costumes dont elle fait usage, celui de Châteaulin, est son préféré. Elle revêt, d'ordinaire, les atours de la contrée où elle travaille et, aux portes de Châteaulin, aujourd'hui, elle en a arboré le coquet bonnet à anses. ...  


Près de l'escalier est son petit cabriolet à chiens. Ceux-ci sont couchés entre les brancards, le chariot lui sert d'éventaire. Sur une planche, appesantie par des cailloux de toutes grosseurs, s'étalent les chansons. Autour de ce campement se pressent les gens. « <i> Daou wenneg ! Deux sous ! Pour deux sous vous aurez</i> ». La capitaine et Lanig se faufilent au premier rang. La vieille chante justement la complainte de Ker-Is, car l'histoire du roi Gradlon et de sa fille Dahut, ou Ahès, séduit encore l'imagination populaire, surtout depuis qu'Olivier Souvestre la mit en « cadence ».  
Près de l'escalier est son petit cabriolet à chiens. Ceux-ci sont couchés entre les brancards, le chariot lui sert d'éventaire. Sur une planche, appesantie par des cailloux de toutes grosseurs, s'étalent les chansons. Autour de ce campement se pressent les gens. « <i> Daou wenneg ! Deux sous ! Pour deux sous vous aurez</i> ». La capitaine et Lanig se faufilent au premier rang. La vieille chante justement la complainte de Ker-Is, car l'histoire du roi Gradlon et de sa fille Dahut, ou Ahès, séduit encore l'imagination populaire, surtout depuis qu'Olivier Souvestre la mit en « cadence ».  
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==Olivier Souvestre, chansonnier ==
==Olivier Souvestre, chansonnier ==
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Ollivier Marie Souêtre (forme de l'état civil), communément appelé Olivier Souvestre, né le 27 décembre 1831 à Plourin-les-Morlaix et mort le 30 décembre 1896 à Paris, est un poète et chansonnier breton qu'il ne faut pas confondre avec Émile Souvestre qui était lui avocat, journaliste et écrivain.
Ollivier Marie Souêtre (forme de l'état civil), communément appelé Olivier Souvestre, né le 27 décembre 1831 à Plourin-les-Morlaix et mort le 30 décembre 1896 à Paris, est un poète et chansonnier breton qu'il ne faut pas confondre avec Émile Souvestre qui était lui avocat, journaliste et écrivain.


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Il participe à la Commune en 1871 et est blessé lors des combats d'Issy-les-Moulineaux en janvier 1871. Ayant reçu une balle dans la gorge, il échappe au peloton d'exécution. Licencié par la Compagnie d'Orléans, il retrouve un emploi, d'abord comme correcteur d'imprimerie, puis comme commis au Comptoir national d'escompte de Paris.
Il participe à la Commune en 1871 et est blessé lors des combats d'Issy-les-Moulineaux en janvier 1871. Ayant reçu une balle dans la gorge, il échappe au peloton d'exécution. Licencié par la Compagnie d'Orléans, il retrouve un emploi, d'abord comme correcteur d'imprimerie, puis comme commis au Comptoir national d'escompte de Paris.
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Une fois la République stabilisée et la répression anti-communarde arrêtée, il se met à écrire les paroles de plusieurs chants révolutionnaires et anarchistes en français, dont, en 1883, « <i>La Marianne</i> », avec la musique de Léon Trafiers, qui a été traduit dans plusieurs langues et qui fut un chant emblématique des mouvements sociaux européens avant le triomphe de l'Internationale.
Une fois la République stabilisée et la répression anti-communarde arrêtée, il se met à écrire les paroles de plusieurs chants révolutionnaires et anarchistes en français, dont, en 1883, « <i>La Marianne</i> », avec la musique de Léon Trafiers, qui a été traduit dans plusieurs langues et qui fut un chant emblématique des mouvements sociaux européens avant le triomphe de l'Internationale.


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En 1896, l'année même de sa mort, il fait publier « <i>La Cité de l'Égalité</i> », un dialogue de 30 pages qui rend hommage à l'œuvre de la Commune, appelle à la révolution communiste anti-autoritaire qu'il voit se réaliser en 1930 et propose une France totalement fédérale basée sur « l'indépendance réciproque des communes » dans une optique anarchiste.
En 1896, l'année même de sa mort, il fait publier « <i>La Cité de l'Égalité</i> », un dialogue de 30 pages qui rend hommage à l'œuvre de la Commune, appelle à la révolution communiste anti-autoritaire qu'il voit se réaliser en 1930 et propose une France totalement fédérale basée sur « l'indépendance réciproque des communes » dans une optique anarchiste.
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==Version complète de la gwerz ==
==Version complète de la gwerz ==

Version du 17 août 2023 à 22:10

Espacedeguignetter.jpg

Dans les années 1850, Jean-Marie Déguignet, vacher commis de ferme, fait l'acquisition d'une édition populaire de la complainte « Ar Roue Gralon ha Kear Ys » (Le Roi Gradlon et la Ville d'Ys) qu'il décortiqua et apprit à chanter aux autres domestiques.

ArgolYs.jpg

Quel est l'origine et le contenu exacts de cette gwerz ou complainte en langue bretonne ?

Autres lectures : « Espace Déguignet » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Histoire de ma vie, l'Intégrale » ¤ « DEGUIGNET François-Marie et LE GUENNEC Louis - Contes et légendes du Grand-Ergué » ¤ 

Présentation

Qui ne connait la légende de Ker Ys ("ville d'Ys"), l'Atlantide bretonne ? L'histoire dit qu'elle fut engloutie pour punir Dahut, la fille du roi Gradlon, de ses péchés. Jean-Marie Déguignet nous raconte dans ses mémoires qu'on lui acheta une version imprimée de la complainte de Ker Ys, sans doute sous forme de feuille volante, alors qu'il était jeune vacher dans une ferme de Kerfeunteun dans les années 1851-1854.

Cette gwerz de 196 vers fut composée par un jeune Morlaisien de 19 ans et éditée en 1850 en recueil de poésie [1] et en feuilles volantes. Le ton de la complainte ont trompé à l'époque plus d'un qui ont cru à une version très ancienne de la légende.

On s'attachera ci-dessous à comparer la présentation de la gwerz faite par Déguignet avec le texte d'origine, et évoquer également les figures qu'étaient les marchandes de chansons dans les foires et pardons.

La fuite du roi Gradlon, Évariste-Vital Luminais, vers 1884, Musée des Beaux-Arts de Quimper

Lecture de Déguignet

Quant aux derniers versets de la gwerz d'Olivier Souvestre, il y a bien une évocation de Notre-Dame de Rumengol, lieu de débarquement en terre ferme de Gradlon et Guénolé :

Du-hont, e mmor a ghear Is,,
HMe a raï sevel eun Ilis,
Hag evit testeni d'an oll,
M'he galvo Ilis Remengol ! »

[Là-bas, en mémoire de la ville d'Is, j'élèverai une église, et pour le rappeler à tous, je l'appellerai l'église de Rumengol.]

Le Texte de Jean-Marie Déguignet ,
« Intégrale des Mémoires d'un paysan breton », page 134 :

Ce fut pendant que j'étais à Kermahonec que parut une nouvelle guers sur cette fameuse ville d'Is. [...] Cette guers de Ker Ys fut achetée pour moi, car de tous les serviteurs de Kermahonec, moi seul savait lire le breton. Je fus donc obligé de leur chanter cette guers, et très souvent, car elle leur plaisait beaucoup, surtout aux femmes, qui cherchaient à l'apprendre par cœur. Cette guers comme je l'ai déjà dit n'est que la légende rimée de la catastrophe de la ville d'Ys. J'ai déjà montré que le diable Paulic est partout mystifié et roulé par les paysans ; la légende d'Ys nous montre que là, Paulic mystifia et roula tous les jeunes riches de la ville, et la princesse elle-même ; il est vrai que Paulic agissait au nom ; par ordre de l’Éternel, comme autrefois quand il fut envoyé pour punir Job. Déguisé en beau et élégant prince, il séduisit tellement la fille du vieux Gralon, que celle-ci, pour lui plaire , alla, la nuit, voler la clé d'or que son père portait au cou et pendant que celui-ci dormait. Paulic n'avait besoin que de cette clé pour exécuter les ordres de l’Éternel. C'était la clé des écluses qui protégeaient la ville contre l'envahissement de la mer. Dès que Paulic tint cette clé, il alla ouvrir ces écluses pendant que la princesse et ses compagnons de débauche dansaient les danses des Bacchantes dans son palais des orgies. Guénolé, sur l'ordre de l’Éternel aussi, venait au triple galop d'un cheval sauvage réveiller le vieux roi, qu'il fit monter à cheval pour se sauver devant les flots qui envahissaient déjà la ville. En s'en allant à travers les rues, il rencontre sa fille courant éperdue devant les flots; il la prend en croupe, mais aussitôt son cheval ralentit son pas pendant que les flots montaient toujours; voyant qu'il allait être englouti comme tout le reste , Guénolé lui cria : « Taol en diaoul er mour » (« jette le diable à la mer »). À la fin, le vieux Gralon se voyant perdu, d'un coup de coude, il pousse sa fille dans les flots qui s'arrêtèrent aussitôt ; alors son cheval, allégé de ce fardeau diabolique, fit un tel bond qu'il alla tomber sur le rocher du Rumengol, à plusieurs lieues de là, où le roi fit bâtir une chapelle en l'honneur de la mère de Dieu, Notre Dame du Rumengol, qui a le pouvoir de sauver tout le monde, dit la guers pourvu qu'on se confie à elle :

Ann neb en em roi d'an Itron Varia Rumengol
Birviken, james ne yello da goll.

[Celui qui se voue à la Dame du Rumengol, jamais ne sera perdu.]

Celle-là fait aujourd'hui une concurrence désastreuse à la Dame de Kerdévot depuis que le chemin de fer y conduit les pèlerins à prix réduit [2].

Marchande de chansons

Dans sa « Bretagne d'Hier » (Rennes, 1937), Léon Le Berre trace un très vivant portrait de Marie Kastellin, marchande de chansons bretonnes dans les foires et pardons :

Ils apercoivent, (sur la place du village de Locronan), juchée sur un escabeau, lunettes au nez et couplets en main, la chanteuse populaire de Quimperlé, Mari Kastellin. Cette participante obligée de tous les pardons se nomme ainsi parce que, de tous les costumes dont elle fait usage, celui de Châteaulin, est son préféré. Elle revêt, d'ordinaire, les atours de la contrée où elle travaille et, aux portes de Châteaulin, aujourd'hui, elle en a arboré le coquet bonnet à anses. ...

Près de l'escalier est son petit cabriolet à chiens. Ceux-ci sont couchés entre les brancards, le chariot lui sert d'éventaire. Sur une planche, appesantie par des cailloux de toutes grosseurs, s'étalent les chansons. Autour de ce campement se pressent les gens. «  Daou wenneg ! Deux sous ! Pour deux sous vous aurez ». La capitaine et Lanig se faufilent au premier rang. La vieille chante justement la complainte de Ker-Is, car l'histoire du roi Gradlon et de sa fille Dahut, ou Ahès, séduit encore l'imagination populaire, surtout depuis qu'Olivier Souvestre la mit en « cadence ».

Mari Kastellin

Olivier Souvestre, chansonnier

Ollivier Marie Souêtre (forme de l'état civil), communément appelé Olivier Souvestre, né le 27 décembre 1831 à Plourin-les-Morlaix et mort le 30 décembre 1896 à Paris, est un poète et chansonnier breton qu'il ne faut pas confondre avec Émile Souvestre qui était lui avocat, journaliste et écrivain.

Son intelligence le fait remarquer par Jean Pierre Marie Le Scour qui le rencontre au presbytère de Plourin et qui le fait envoyer à Quimper au grand séminaire. C'est à ce moment, à l'âge de 19 ans, qu'il aurait composé la complainte en breton « Ar Roue Gralon ha Kear Ys », qui fut l'un des principaux vecteurs de la légende du roi Gradlon et de la ville d'Ys, une habile contrefaçon d'un texte ancien.

En 1858, voulant se faire un nom dans les lettres, et d'abord dans le théâtre, Olivier Souêtre part travailler à Paris pour le compte de la compagnie de chemin de fer de Graissezac à Béziers, et publie, en 1862, aux frais de Jean-Pierre Le Scour, un roman en français, « Mikaël, kloarek breton » qui ne recueille aucun succès, d'autant que l'éditeur fait faillite peu après.

Il participe à la Commune en 1871 et est blessé lors des combats d'Issy-les-Moulineaux en janvier 1871. Ayant reçu une balle dans la gorge, il échappe au peloton d'exécution. Licencié par la Compagnie d'Orléans, il retrouve un emploi, d'abord comme correcteur d'imprimerie, puis comme commis au Comptoir national d'escompte de Paris.

Une fois la République stabilisée et la répression anti-communarde arrêtée, il se met à écrire les paroles de plusieurs chants révolutionnaires et anarchistes en français, dont, en 1883, « La Marianne », avec la musique de Léon Trafiers, qui a été traduit dans plusieurs langues et qui fut un chant emblématique des mouvements sociaux européens avant le triomphe de l'Internationale.

En 1888 est joué l'opéra « Le Roi d'Ys » sur une musique d'Édouard Lalo, librement inspiré de l'œuvre de Souêtre, mais, celui-ci, que beaucoup croient mort, n'est pas perçu comme l'une des sources du livret, alors même qu'on publie le texte en français sans nom d'auteur. Un spécialiste, comme Anatole Le Braz suppose même, pendant un certain temps, que la complainte est une œuvre populaire très ancienne.

En 1896, l'année même de sa mort, il fait publier « La Cité de l'Égalité », un dialogue de 30 pages qui rend hommage à l'œuvre de la Commune, appelle à la révolution communiste anti-autoritaire qu'il voit se réaliser en 1930 et propose une France totalement fédérale basée sur « l'indépendance réciproque des communes » dans une optique anarchiste.

Version complète de la gwerz

Version extraite du recueil « Bleunioù-Breiz » édité par Th. Clairet en 1862 [3] :

Annotations et commentaires

  1. Le texte « Ar Roue Gralon ha Ke(a)r Is » est édité en 1850 accompagné d'un poème de Jean Pierre Marie Le Scour sur le passé légendaire de Rumengol.
  2. La ligne de chemin de fer entre Quimper et Brest est ouverte en 1867. Du fait que Rumengol ne disposait pas de gare, les pèlerins venant au grand pardon par le train s'arrêtaient à la gare de Quimerc'h (« Quimerch ! Les voyageurs pour Rumengol descendent ! » écrit Anatole Le Braz dans Au pays des pardons) ; mais, certains jours de pardon, les trains s'arrêtaient au passage à niveau de la forêt du Cranou comme en témoigne cet exemple en 1904 : « À l'occasion de cette solennité, la Compagnie des chemins de fer d'Orléans arrêtera, le dimanche 24 courant, les trains au passage à niveau 543 entre Quimerch et Hanvec. (...) De plus, un train extraordinaire aura lieu entre Quimper et la station 543 ».
  3. « Bleuniou-Breiz ». Poésies anciennes et modernes de la Bretagne. Quimperlé, Th. Clairet, imprimeur-libraire, éditeur. 1862.



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Thème de l'article : Ecrits de Jean-Marie Déguignet Création : Novembre 2011    Màj : 17.08.2023