Les vacances de J.H. Lartigue chez Jacqueline et Gwenn-Aël Bolloré en 1953-56 et 1980
Des planches d'un album-photo familial on l'on voit le photographe et son épouse Florette [1] avec les membres de la famille Bolloré, en visites touristiques ou parties de pêches à Beg-Meil et aux Glenan, et également lors du don de son œuvre au Ministère de la culture.
Sources : clichés en ligne sur le site lartigue.org de son album-photo conservé à la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine de Charenton-le-Pont.
Souvenirs complétés par la notice sur Jacques-Henri Lartigue rédigée par Gwenn-Aël Bolloré dans son livre "Mémoires parallèles"
Autres lectures : « Gwenn-Aël Bolloré (1925-2001), écrivain-poète et PDG » ¤ « BOLLORÉ Gwenn-Aël - Mémoires parallèles » ¤ « JAVRY Roselyne - Deux hommes et un bateau » ¤ « Jacques-Henri Lartigue et sa photo-mystère de René Bolloré en 1926 » ¤ « René Bolloré (1885-1935), entrepreneur » ¤ « LARTIGUE Jacques-Henri - L'Émerveillé, écrit à mesure (1923-1931) » ¤ « LARTIGUE Jacques-Henri - L'oeil de la mémoire 1932-1985 » ¤
Présentation
Jacques-Henri Lartigue est un peintre et photographe majeur du XXe siècle, né en 1894 d'un père qui pratiquait la photographie en amateur. Passionné par l’automobile, l’aviation et tous les sports, il photographie des manifestations sportives et, ensuite, menant une vie luxueuse et mondaine, il met en scène des célébrités, ce qui le rend célèbre aux Etats-Unis. On le présente comme « le génie du noir et blanc ».
En 1996 Gwenn-Aël Bolloré écrit dans son livre « Mémoires parallèles » : « De mon père, il a laissé de nombreuses photos ... prises sur le pont du bateau familial, le Dahut II, vedette de trente et quelques mètres. Lorsqu'il mourut en 1986, Lartigue était probablement le dernier ami de mon père qui, lui, nous avait quittés le 16 janvier 1935, soit il y a plus de soixante ans. » [2]
Et il ajoute pour la période d'après-guerre : « Après le décès de mon père René Bolloré, Lartigue ne quitta jamais la mouvance de notre famille ... Quelques années après la Libération, Lartigue réapparut au bras de Florette, sa nouvelle épouse, et nos relations redevinrent coutumières. Tous les étés, il venait passer une dizaine de jours en Bretagne, généralement la moitié du temps chez ma sœur Jacqueline Cloteaux à Beg-Meil, et l'autre moitié chez moi à Odet en Ergué-Gabéric avec, comme prolongement, ma goélette, la Linotte III, et l'île du Loch aux Glénan. »
Et effectivement on trouve 31 planches dans ses albums-photos qui mettent en scène ses séjours à Odet et Beg-Meil entre 1953 et 1956 (cf. repros au chapitre suivant) :
- La Linotte III en pleine mer ou sur les plages des Glenan, avec des scènes de ramassage de coquillages.
- De beaux portraits de Jacqueline Bolloré, épouse Cloteaux, et des enfants.
- Des visites touristiques à Concarneau et Locronan, des coiffes de bigoudènes, une sortie de messe et une scène de fauchage à l'ancienne.
- Un Gwenn-Aël Bolloré rêveur, avec sa casquette de marin et près du gouvernail, et en compagnie de ses frères Michel et René-Guillaume.
Et pour les années 1979-1980, Gwenn-Aël Bolloré explique : « Lorsque Jacques-Henri Lartigue décida de léguer son inestimable collection de photos à l'État, il fallut bien rédiger un contrat. Et le plus extraordinaire, fut que l'accord fut préparé pour le donateur par mon avocat, à l'époque Jean-Marc Varaut, et pour l'État français, par ma fille Anne, au nom du ministère de la Culture qu'elle représentait. »
Et bien sûr on les voit en photo dans les albums de Lartigue, pour la cérémonie officielle, et la rencontre au manoir d'Odet lors d'un déjeuner entre Gwenn-Aël, Anne, Lartigue et l'avocat. Et la photo-souvenir au pied du perron, à l'endroit même où ont été déjà immortalisés d'autres amis artistes ou lettrés comme Léon Blum et Henri Michaux.
Les Photos
Planches 22 à 29 de l'album de 1953 :
Planches 109 à 123 de l'album de 1956 :
Albums de 1979 et 1980 et compléments 1955, 1960-61, 1962 :
Sélection de clichés :
Notice des Mémoires Parallèles
Jacques-Henri LARTIGUE 1894-1986
Lorsqu'il mourut en 1986, Lartigue était probablement le dernier ami de mon père qui, lui, nous avait quittés le 16 janvier 1935, soit il y a plus de soixante ans. C'est dire qu'Henri Lartigue n'était plus tout jeune.
De mon père, il a laissé de nombreuses photos qui ont été d'ailleurs exposées au Grand Palais et certaines sont très émouvantes pour nous, ses enfants. Elles ont été prises en 1933 sur le pont du bateau familial, le Dahut II, vedette de trente et quelques mètres.
On y voit mon père sur une chaise longue, emmitouflé de couvertures, et ce n'était pas comme l'ont fait remarquer de mauvaises langues parce qu'il avait le mal de mer, mais bien plutôt parce que son cancer gagnait méthodiquement du terrain. [2]
Après le décès de mon père René Bolloré, Lartigue ne quitta jamais la mouvance de notre famille.
Je me souviens de lui sur le bateau de mon frère René, dans les années 37-38. À l'époque, sa deuxième femme, surnommée je crois Coco ou Bibi, arborait des cheveux rouges qui impressionnaient mon éphémère jeunesse, treize ans au plus.
De cette époque, il faut retenir les photos de plongée sous-marine qu'il fit aux Glénan, réalisées grâce à un compresseur Cagnant-Levasseur. Cet appareil était un véritable prototype que j'ai pu tester grâce à l'ouverture d'esprit de mon frère René qui croyait que la valeur ...
Une fois de plus, comme il avait photographié les premiers avions, les premières voitures, il fixait des pionniers de la plongée sous-marine moderne.
À cette époque, cette incursion dans le monde sous-marin m'émerveillait, mais je ne me rendais pas compte de la chance que j'avais, moi, futur océanographe, de pouvoir être un pionnier. À la réflexion, je me dis que je suis peut-être le plus jeune plongeur pied-lourd de l'avant-guerre.
Quelques années après la Libération, où tant de liens s'étaient tissés pour tant d'autres raisons, les unes futiles, mais les autres irréversibles, donc après la guerre, Lartigue réapparut au bras de Florette, sa nouvelle épouse, et nos relations redevinrent coutumières. Tous les étés, il venait passer une dizaine de jours en Bretagne, généralement la moitié du temps chez ma sœur Jacqueline Cloteaux à Beg-Meil, et l'autre moitié chez moi à Odet en Ergué-Gabéric avec, comme prolongement, ma goélette, la Linotte III, et l'île du Loch aux Glénan.
Sur le bateau, c'était souvent la fête, et un jour Germaine Montero, plus Espagnole que tous les Espagnols parce que fraîchement baptisée, avait déclaré : « Je vais vous faire une paella. »
Après avoir commandé un kilo de crevettes, trois homards, deux litres de moules, une pieuvre et un poulet, et que sais-je encore, elle avait viré le cuisinier de la cambuse et avait officié deux heures durant.
La paella était fort bonne et l'équipage ayant eu le droit de regagner le bord avait eu également celui de participer au festin.
Après les pousse-café, elle avait apostrophé le cambusier :
« Alors Jean, cette paella ? »
L'autre avait répondu spontanément :
« C'était très bon. Mais, vous voyez, j'aurais préféré un plat de gros bouquets, un petit homard grillé et un poulet rôti. Pour la pieuvre je l'aurais gardée pour le hors-d'œuvre du lendemain, confite dans de l'huile et saupoudrée largement de paprika. »
C'était tellement vrai que tout le monde éclata de rire, y compris Germaine.
Il faut dire que Jean, le cuisinier, avait classé la nourriture en deux catégories : ce qui était consistant et ce qui avait bon goût. En y réfléchissant bien, tout cela est loin d'être bête. Seul Lartigue ne participa pas à l'hilarité générale, il était perdu dans d'inextricables calculs de prix de revient.
Lorsque Jacques-Henri Lartigue décida de léguer son inestimable collection de photos à l'État, il fallut bien rédiger un contrat. Et le plus extraordinaire, fut que l'accord fut préparé pour le donateur par mon avocat, à l'époque Jean-Marc Varaut, et pour l'État français, par ma fille Anne, au nom du ministère de la Culture qu'elle représentait.
À ce double titre, je fus invité à la cérémonie au Grand Palais et au cocktail qui s'en suivit : l'affaire fut cocasse.
Salle désormais baptisée « Lartigue » : trois ou quatre cents personnes, tous les médias, de la télévision en passant par la radio et la presse ... et le ministre Léotard qu'on attendait patiemment car le ministre ne venait pas. Les organisateurs craignant qu'il ne se soit égaré dans les colonnes de Buren ou dans tout autre endroit litigieux, il fut demandé au député secrétaire d'État Philippe de Villiers de le remplacer. Avec un large sourire celui-ci s'installa derrière la table pour parapher les documents, mais il n'eut pas l'occasion de passer aux actes : Léotard venait d'arriver. On ne pria pas le secrétaire d'État de cosigner les feuillets et, congédié sans ménagement, il se perdit dans la foule.
L'important était que la donation fût avalisée.
Pour en arriver là, nous avions organisé un déjeuner chez moi en Bretagne : les Lartigue, notre avocat commun, ma fille Anne et moi.
Or, à la fin du repas qui avait été convivial, le Saint-Esprit descendit soudain au milieu de nous.
C'était la saison des rhododendrons mais aussi des digitales, ces fleurs de légende, en réalité les chapeaux des lutins qui s'enterrent le jour pour échapper à leurs ennemis ancestraux, les korrigans, les farfadets, les teuz ar poulies, les incubes, les succubes et, bien entendu, les hommes.
Ces coiffures leurs servent de radar pour détecter l'approche de l'ennemi, et en cas d'alerte sérieuse, leur donnent le temps de migrer sous terre comme des taupes, laissant en gage la seule fleur désormais inhabitée.
Je proposais donc, avec l'appui de l'Esprit Saint (nous étions dans le temps de la Pentecôte), d'aller photographier les digitales. Le verre d'alcool de chouchen (hydromel) nous avait réchauffé le corps et le cœur. C'est donc sans hésitation, sans état d'âme que nous nous rendîmes à flanc de colline dans un champ de digitales.
Le « Maître » avait revêtu sa robe qui ne le quittait jamais, pliée soigneusement dans sa serviette. Il était ainsi tout de noir vêtu et il posa au milieu des grandes fleurs mauves, pourpres, parmes, roses ou violettes, allez savoir avec ces fichus lutins !
D'une main il tenait un antique téléphone, gainé de bois verni et muni d'une manivelle, qui symbolisait la communication avec l'au-delà ; de l'autre il fulminait ! Contre qui ? Nous ne le saurons probablement jamais, mais sa manche flottait encore embuée d'un reste de vent salin.
Le spectacle était ébouriffant.
Et les digitales, dont certaines le dépassaient d'une bonne tête, se balançaient avec douceur car les lutins le considéraient comme un ami privilégié.
Le talent de l'artiste fit le reste.
Aujourd'hui, cette œuvre métaphysique trône dans ma bibliothèque comme un signe ambigu de la connaissance.
Jacques-Henri Lartigue a intitulé un de ses livres : L'Emerveillé. Et ce titre était très juste car tout émerveillait l'artiste, c'était là son réel talent : « Voir le merveilleux des choses ». Certes, la « petite boîte noire » était bien utile mais il lui restait aussi pour s'exprimer la peinture et l'écriture, et aussi son imagination.
Je ne suis pas sûr par exemple, qu'il ait jamais été un grand boxeur comme il s'est plu à le dire. Tous ceux qui l'ont connu seront probablement de mon avis.
Et je suis certain que l'anecdote qu'il relate concernant un de mes frères qui, en permission pendant la guerre de 39-40 sur la Côte d'Azur, était trop saoul pour regagner son régiment en voiture et qui avait loué un avion civil pour être à l'heure dite, est fausse. Car en temps de guerre, l'aviation civile est consignée - quelle que soit la fortune des clients et leur motif personnel.
Notre ami aurait voulu être un peintre célèbre dont on aurait aimé reconnaître les talents secondaires de photographe.
J'en donne pour preuve la notice biographique qu'il avait lui-même rédigée pour le Who's Who :
LARTIGUE (Jacques, Henri) Artiste peintre. Né le 13 juin 1896 à Courbevoie (Seine), Fils d'Henri Lartigue, banquier, et de Mme, née Marie Haguet. Mar. le 10 août 194 3 à Mlle Florette Orméa (1 enf. : Dany). Etudes : cours privés, Académie Julian à Paris. Carr. : consacrée à la peinture (depuis 1916), expositions particulières à Paris (1924-1939 et depuis 1946). Dist. : Médaille d'Argent de la Ville de Paris. Distraction : la photographie. Sports : tennis, ski, boxe. Adr. : 102 rue de Long¬champ, Paris ( 16e).
Or, ce fut un photographe de renommée internationale dont la recherche picturale lui faisait franchir les bornes tout académiques de la peinture et de l'écriture.
Encore aujourd'hui, L'Émerveillé nous émerveille.
Annotations
- ↑ Flore Ormea, surnommée Florette, est née le 29 janvier 1921 à Beausoleil (Alpes-Maritimes). Le 12 janvier 1942, elle rencontre Jacques Henri Lartigue à Monte Carlo. Leur différence d’âge est de 27 ans. Florette devient la compagne puis l'épouse de Jacques Lartigue avec lequel elle partage les passions, les rencontres, les voyages et le travail jusqu'à la mort de celui-ci en septembre 1986.
- ↑ 2,0 et 2,1 Quand Gwenn-Aël écrit « Elles ont été prises en 1933 ... On y voit mon père sur une chaise longue », il se trompe probablement n'ayant pas vu les autres clichés de l'album de Lartigue qui attestent que cette virée maritime datait bien de 1926 (cf « Jacques-Henri Lartigue et sa photo-mystère de René Bolloré en 1926 » ¤ ).