1312, 1451 - Premières copies de la charte apocryphe du duc Conan IV pour les Hospitaliers
Cet article fait le point sur cette charte en latin rédigée par le duc de Bretagne Conan IV (1135-1171) [1] au profit de l'Ordre des Hospitaliers, et citant en particulier l'aumônerie de « Arke/Erke ».
La charte est sans doute un faux imitant un document de 1160, et aurait été rédigée dans un but politique en l'an 1312, une 2e copie ayant été exécutée en 1451. On trouvera ci-dessous les deux facsimilés de 1312 et de 1451, le deuxième présentant une forme « Erke » pour Ergué, alors que le 1er est bien orthographié « Arke ».
Autres lectures : « Ordres de chevalerie et croix potencée d'Ergué-Cabellic » ¤ « 1980 - Choix d'un blason communal » ¤ « Familles Cabellic, Coatanezre et Autret » ¤
Présentation
Dom Morice [2] dans ses « Mémoires pour servir de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne » cite cette charte qu'il certifie de 1160 et lui donne ce titre « Charte du Duc Conan IV pour les Templiers » (page 638). L'authenticité supposée de ces informations et l'existence de l'établissement d'Ergué ont conduit les mémorialistes locaux à considérer cette année 1160 comme étant la première marque écrite de la paroisse primitive d'Ergué-Gabéric et d'Ergué-Armel.
Mais la transcription de Dom Morice [2] contient au moins deux erreurs : d'une part la transcription en « Elré » pour Ergué au lieu de « (A ou E) rke » (cf facsimilés de 1312 et 1451 ci-après), et d'autre part les bénéficiaires des dons de Conan IV ne sont pas les Templiers, mais l'ordre des Hospitaliers.
Il existe bien une autre charte présumée de 1182 qui est relative aux biens bretons des Templiers cédés par Conan IV, mais celle de 1160 est explicitement pour la « domui Ierolosomitane Hospitalis » (maison de l’Hôpital de Jérusalem) dont les établissements bretons sont dirigés par « fratris Eguen » (frère Even). Et dans la charte les établissements des hospitaliers sont désignés par les termes de « elemosine » (lieux d’aumône ou aumôneries, à Ergué par exemple), ou de « hospitalis » (hôpitaux dans les plus grandes villes).
Quant aux dates de 1160 et 1182, elles sont aussi sujets de discussions, aucun exemplaire original des deux chartes n'ayant été retrouvé, surtout après l'étude d'Anatole de Bartélémy qui les considère comme apocryphes [3]. En effet certaines bizarreries ont été repérées dans les textes reproduits : en 1182 le duc Conan IV était décédé, en 1160 des témoins signataires n'étaient pas encore en fonction (évêque de Quimper, abbé de Quimperlé) et certaines terres sont en dehors du domaine ducal de Conan IV.
François Colin, dans sa publication « Quand l’historien doit faire confiance à des faux : les chartes confirmatives de Conan IV, duc de Bretagne, aux Templiers et aux Hospitaliers » (ABPO, 2008), a étudié les deux copies de 1312 et de 1451. La première est présentée par le commandeur hospitalier de Quessoy et le notaire Geoffroy Pélion au procureur du roi pour la défense les biens des Hospitaliers en Bretagne et inclut in extenso le texte de la charte de Conan IV. La deuxième copie est une charte de confirmation accordée aux Hospitaliers le 1er novembre 1451 par le duc Pierre II qui reprend également le texte de 1312.
On voit donc que les Hospitaliers de 1312 et 1451 avaient un intérêt politique à faire croire que la propriété de leurs biens datait des siècles précédents.
C'est donc avec émotion et curiosité que nous avons voulu voir de visu le « Trésor des chartes » des Archives Nationales et des Manuscrits de la Bibliothèque Nationale de France où sont conservées respectivement la copie de 1312 et celle de 1451.La première est bien consultable aux Archives Nationales (site Caran de Paris) sous la forme du microfilm MIC-J//241/Dossier 26 qui inclut 22 pièces, la plupart ornées du symbole de la croix de Malte. Grâce à la transcription complète du texte latin dans l'étude d'Elisabeth Lalou et Xavier Hélary, on peut repérer la charte de Conan IV au milieu de la 21e pièce avec cette introduction « annotatas in hec verba : Conanus, dux Britannie et comes Richemondie ... » et l'aumônerie d'Ergué y est visiblement orthographiée « Arke ».
La copie de 1451 est un manuscrit de la BnF-Richelieu, dont l'original à la belle calligraphie gothique est consultable dans un registre protecteur. Le même texte attribué à Conan IV y est également, avec pour Ergué une écriture légèrement différente : « Erke ».
Les sources documentaires
Transcriptions de la charte
Transcription de F. Colin / A. Bartelemy, suivant le texte de la copie la plus ancienne, celle de 1312 :
Original en latin :
Conanus, dux Britannie et comes Richemondie, universis Ecclesie filiis per totum ducatum suum, salutem. Notum sit vobis omnibus me dedisse et concessisse et hac mea quarta confirmasse domui Ierolosomitane Hospitalis omnes elemosinas et terras et teneuras que in ducatu meo predicte domui date sunt, liberas et quietas ab omnibus consuetudinibus in omnibus locis et in omnibus partibus quorum omnium hec sunt nomina : In Trequer elemosina de Louergat, elemosine de Loganoc et de Pennguenan, et de Pederiac, et de Pumirit, et de Coginiac, et de Pleguen ; et de Mael, an Rodoudoed Gallec, en Luch, an Folled, Banazlant, elemosine de Fou, et de Brithiac, et de Pennharch, et de Ploeneth, et de Arke, et de Cothon, et de Mathalon, et de Bodoc Kapsithun, hospitalis inter duas Kemper, et hospitalis super Beloen, elemosine de Moelan, et de Cloetgal, et elemosine de Guisguri ; in Quemenet Guegamp, elemosinas de Prisiac, hospitalis de loco Sancti Maclovii, hospitalis de Pontivi, elemosina Alani vice-comitis scilicet unus burgensis in unoquoque castello suo, elemosina domni Conani ducis scilicet unus burgensis in unaquaque civitate sua et in unoquoque castello suo ; in Kemenet Hebgoen, elemosine de Cleker et de Treunnatos ; in Broguerec elemosine de Lannkintic, et de Laustenc, et de Corvellou, et hospitalis in Suluniac, et elemosine de Kinstinic Blaguet et de Mollac, et de Malechac, et de Kestembert, et de Guernou ; et de Azarac in episcopatu Nannetensi, et de Guenrann, et domus de civitate Nannetensi cum appendiciis suis, et unus homo in quaque parrochia apud Raes ; et elemosine de Ploearthmael, et de Brull, et de Kessoe, et de Tertre Conaen, et de Grandi Fonte, et de Pleherel, et de Cruce Haois, et de Saltu Calvo, et de Stablehon, et de Grandi Villa, et de Gangarei, et de Ponte Terre, et de Teuhcael52, et de Kaerfounric in Comanna, et la Bollie cum appendiciis. Ego Conanus Britannie dux et comes Richemondie libere et quiete concessi hec omnia domui supradicte pro amore eiusdem domus et fratris Eguen familiaris nostri, anno ab Incarnatione Domini m° c° lx°, regnante Ludovico Francorum rege et Henrico Anglorum rege, Corisopitensem episcopatum Gaufrido tenente.
Testes : Haemo Leonensis episcopus, Gaufridus Corisopitensis episcopus, Riguallonus abbas Kemperlegii, Gradlonus abbas Sancti Guingualoei, prior Sancti Michaeli, Guillelmus Ferron frater de Templo, Robertus cancellarius ducis, Alanus clericus, Margarita ducissa, Martinus eius cappellanus, Richardus et Alanus gemelli, Renaldus Boterel, Henricus Bretram, Henricus filius Hervei, Alanus Rufus, Alanus de Mota et clerus Corisopitensis ecclesie, apud Kemper Corentin.
Traduction en français :
Conan, duc de Bretagne et comte de Richemont, à tous les fils de l’Église dans son duché tout entier, salut. Que tous sachent que j’ai donné et concédé et, par cette mienne charte, confirmé, à la maison de l’Hôpital de Jérusalem, toutes les aumônes, terres et tenures qui ont été données à ladite maison en mon duché, libres et quittes de toutes coutumes en tout lieu et en toute partie, dont voici la liste intégrale : dans le Trégor, l’aumônerie de Louargat, les aumôneries de Louannec, et de Penvénan, et de Pédernec, et de Peumerit-Quintin, et de Cohiniac, et de Pléguien ; et de Maël, Roudouallec, le Loch, La Feuillée, Balanant, les aumôneries de Plounévez-du-Faou, et de Briec, et de Penhars, et de Plonéis, et d’Ergué-Gaberic, et de Cuzon, et de Mahalon, et de Beuzec-Cap-Sizun, l’hôpital entre les deux Quimper et l’hôpital sur le Bélon, l’aumônerie de Moëlan, et de Clohars, et l’aumônerie de Guiscriff ; en Kémenet-Guégant, l’aumônerie de Priziac, l’hôpital de Locmalo, l’hôpital de Pontivy, l’aumône du vicomte Alain, à savoir un bourgeois dans chaque château lui appartenant, l’aumône de seigneur duc Conan, à savoir un bourgeois dans chacune de ses cités et dans chacun de ses châteaux ; en Kémenet-Heboët, les aumôneries de Cléguer, et de Trescoët ; dans le Broguerec, les aumôneries de Languidic, et de Nostang, et du Gorvello, l’hôpital de Sulniac, l’aumônerie de Quistinic-Blavet, et de Molac, et de Malansac, et de Questembert, et du Guerno ; et d’Assérac dans l’évêché de Nantes, et de Guérande, et une maison dans la cité de Nantes avec ses dépendances, et un homme dans chaque paroisse du pays de Retz0 ; et l’aumônerie de Ploërmel, et de Brull, et de Quessoy, et du Tertre-Conan, et de la Grand’Fontaine, et de Pléhérel, et de la Croix-Huis, et du Bois-Chauff, et de Port-Stablon, et de la Grand’Ville, et de Saint-Congard, et de Pont-de-Terre, et de Teuhcael, et de Kerfounric à Commana, et La Bouillie avec ses appartenances. Moi, Conan, duc de Bretagne et comte de Richemont, j’ai concédé tout cela à ladite maison librement et sans contrainte, pour l’amour de cette même maison et de frère Even, notre ami, l’an 1160 depuis -l’Incarnation du Seigneur, sous le règne de Louis, roi des Francs, et Henri, roi des Angles, sous l’épiscopat de Geoffroy en Cornouaille.
En témoignent Hamon, évêque de Léon, Geoffroy, évêque de Cornouaille, Rivallon, abbé de Quimperlé, Gradlon, abbé de Landévennec, le prieur du Mont-Saint-Michel, Guillaume Ferron frère du Temple, Robert, chancelier du duc, Alain, clerc, la duchesse Marguerite, Martin son chapelain, les jumeaux Richard et Alain, Renaud Boterel, Henri Bertrand, Henri fils d’Hervé, Alain Rufus, Alain de Mota, et un clerc de l’église de Quimper. [Fait] à Quimper.
Études disponibles
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Les facsimilés de 1312/1451
Annotations
- ↑ Conan IV dit le Petit (vers 1135 au 20 février 1171), fils d'Alain le Noir, seigneur de Guingamp et comte de Richmond, et de la duchesse Berthe de Bretagne, fille du duc Conan III, fut comte de Richmond de 1146 à 1171 et duc de Bretagne de 1156 à 1166. Après une succession d'alliances et d'affrontements à Henri II Plantagénet, roi d'Angleterre, il accepte en 1166 de fiancer sa fille et héritière Constance âgée de 4 ans, au quatrième fils d'Henri II, Geoffroi, âgé de 8 ans et à lui laisser l'administration de la Bretagne.
- ↑ 2,0 et 2,1 Pierre-Hyacinthe Morice de Beaubois, dit Dom Morice, est un bénédictin de la congrégation de Saint-Maur, né le 5 octobre 1693 à Quimperlé, mort le 14 octobre 1750 à Paris. Après avoir étudié l'histoire généalogique des Rohan, il publie une Histoire de la Bretagne en 3 volumes sous le titre « Mémoires pour servir de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne ».
- ↑ Apocryphe, adj. et s.m.pl. : du grec ἀπόκρυφος / apókryphos, « caché », qualifie un écrit dont l'authenticité n'est pas établie (Littré). Pour un texte ou un livre religieux dont l'origine divine n'est pas reconnue par l'Église et qu'elle place hors du canon des Livres inspirés (TLFi). Au pluriel, ouvrages composés par d'anciens hérétiques et attribués par eux à des auteurs sacrés (Littré). [Terme] [Lexique]