Résistance contre l'inventaire des biens religieux à Ergué-Gabéric, journaux divers 1906

De GrandTerrier

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Une protestation musclée contre l'inventaire de l'église du bourg et de la chapelle de Kerdévot, avec barricades et intervention militaire, et relatée avec émotion dans les journaux locaux.

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Autres lectures : « 1906 - Inventaire au Bourg et à Kerdévot par la gendarmerie » ¤ « La gwerz de l'Inventaire des biens de l'Eglise en 1906 à Ergué-Gabéric » ¤ « 1907 - Rapport de police sur la campagne d'un crocheteur socialiste » ¤ « LE GOFF Jean-Paul Yves - La séparation de l'Église et de l'État dans le Finistère » ¤ « Une procession pour le retour des crucifix, Le Progrès du Finistère 1907 » ¤ 

Présentation

L'organe diocésain « La Semaine Religieuse de Quimper et de Léon » et les journaux locaux (« L'Action Libérale de Quimper » [1], « Le Courrier du Finistère » [2], « Le Finistère » [3], « La Dépêche de Brest » [4]) et ont relaté ces évènements, les trois premiers représentant l'électorat conservateur et catholique, et les deux autres l'opposition républicaine.

Tous ces journaux, même les républicains, soulignent la force de la protestation du 2 mars 1906 : « Une des plus belles protestations faites dans toute la Bretagne contre les inventaires a eu lieu à Ergué-Gabéric ».

Prévenus de l'arrivée des forces de l'ordre et de l'autorité qui venaient procéder à l'inventaire de l'église paroissiale et de son mobilier, les catholiques se sont enfermés dès 4 heures et demi du matin dans l'édifice et ont dressé des barricades de pierres et de moëllons derrière les portes.

Une « ligueuse », c'est-à-dire une paroissienne sur place jusqu'au soir, raconte la suite : « À 7 heures moins un quart, les gendarmes arrivent ; il y en a à pied et à cheval ; ils cernent le cimetière, où il est très difficile d'entrer. Néanmoins, la foule y pénètre peu à peu en escaladant les murs, et bientôt 1.200 à 1.300 personnes entourent l'église ».

L'inspecteur d'académie et le commissaire de police Pierre Judic [5] sont là pour coordonner les opérations.

Une équipe de crocheteurs [6], c'est-à-dire les artisans en charge de défoncer les portes et barricades, accompagnant les forces de l'ordre, ont du mal à faire leur travail : « Les crocheteurs se mettent à défoncer la porte de la sacristie ; pendant ce temps, le tocsin sonne ; on chante des cantiques dans l'église et dans le cimetière ».

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C'est carrément un bataillon d'infanterie qui est appelé en renfort dans l'après-midi : « À deux heures de l'après-midi, deux compagnies du 118e, placés sous les ordres de commandant Quentin, ont quitté la caserne La Tour d'Auvergne pour se rendre sur les lieux ».

Il faudra l'intervention, en breton, de M. de Servigny, conseiller général conservateur, pour convaincre les résistants gabéricois à se replier en leur disant « qu'ils ont fait leur devoir, et que après huit heures de résistance, ils en ont fait assez pour montrer que le jour où on voudrait fermer leur église, ils auraient la victoire ».

Et après avoir procédé à l'inventaire du bourg, la troupe et les manifestants pourront se rendre à la chapelle Kerdévot, où ils sont aussi accueillis par d'autres protestataires : « quand nous y arrivons, les gens d'Elliant nous y avaient précédées et chantaient le cantique de Notre-Dame de Kerdévot ».

Et in-fine tout le monde est content : « M. le Recteur nous a remerciés de notre bonne conduite et tout le monde est sorti en chantant le cantique de Notre-Dame de Kerdévot. On est rentré à 8 heures du soir, trempés et mouillés jusqu'aux os ».

Transcriptions

Action Libérale du 03.03.1906 :

Nouvelles départementales. Ergué-Gabéric.

À Ergué-Gabéric, l'inventaire devait avoir lieu hier vendredi, à 9 heures du matin. Il y a eu une résistance acharnée ; il a fallu outre les gendarmes un bataillon du 118e.

Nous donnerons tous les détails de cette superbe manifestation d'une population indignée dans notre numéro de mercredi.

L'inventaire n'a pu être fait qu'à cinq heures du soir les portes de l'église ayant été murées à l'intérieur.

Action Libérale du 07.03.1906 :

Ergué-Gabéric. La persécution. - Récit d'une Ligueuse.

Le 2 mars, à 4 heures 1/2, l'église est quasi-pleine, les messes sont dites aussitôt. Les portes ont été solidement murées, sauf celle de la sacristie, qui est elle-même murée aussitôt les prêtres sortis. Un quarantaine d'hommes et un certain nombre de femmes sont enfermés.

À 7 heures moins un quart, les gendarmes arrivent ; il y en a à pied et à cheval ; ils cernent le cimetière, où il est très difficile d'entrer. Néanmoins, la foule y pénètre peu à peu en escaladant les murs, et bientôt 1.200 à 1.300 personnes entourent l'église. À 8 heures, l'Inspecteur, le Commissaire et les crocheteurs [6] arrivent et se rendent au presbytère ; là, ils sont reçus par M. le Recteur, ses vicaires et le Conseil de Fabrique [7]. M. le Recteur lit une magnifique protestation. À 9 heures, après les sommations d'usage, les crocheteurs [6] se mettent à défoncer la porte de la sacristie ; pendant ce temps, le tocsin sonne ; on chante des cantiques dans l'église et dans le cimetière. Au moment de ces paroles du cantique Nous voulons Dieu

« S'il faut du sang pour ta défense,
Seigneur, nous serons tes martyres
 »

toutes les mains, tous les chapeaux se lèvent en signe de promesse. Pendant ce temps, les crocheteurs continuent leur besogne, hués et conspués par la foule. Enfin, la porte et le mur cèdent ; mais restent encore les barricades ; aussitôt qu'on y fait une brèche, les braves gens qui sont dans la sacristie la remplissent, de façon qu'on ne peut entrer.

La troupe arrive de Quimper ; quand les soldats paraissent, ils sont salués par le cri de : « Vive l'armée ! Vive la liberté ! ». Pendant les trois roulements de tambour, les gens qui sont dans l'église sortent par une fenêtre, pour qu'il n'y ait aucune arrestation. À 4 heures, tout est fini.

En route pour Kerdévot, il est 4 heures ; quand nous y arrivons, les gens d'Elliant nous y avaient précédées et chantaient le cantique de Notre-Dame de Kerdévot. Comme au bourg, tout est muré, barricadé. Quand ces messieurs arrivent, ils trouvent une foule aussi nombreuse qu'à la paroisse et sont reçus par les cris : « À bas les Francs-Maçons : Vive Dieu ! Vive Jésus-Christ ! Vive N.-D. de Kerdévot, préservez-vous de la rage des blocards [8] ! ». À 6 heures, on vient à bout d'une des portes, de manière que tout est fini pour 6 heures 1/4.

L'inventaire terminé, on entre dans la chapelle, on chante le Parce Domine et on dit une dizaine de chapelets. M. le Recteur nous a remerciés de notre bonne conduite et tout le monde est sorti en chantant le cantique de Notre-Dame de Kerdévot. On est rentré à 8 heures du soir, trempés et mouillés jusqu'aux os.

Semaine Religieuse du 09.03.1906 :

A Ergué-Gabéric, l'église paroissiale et la chapelle de Kerdévot, dont les portes avaient été murées à l'intérieur, ont tenu en échec pendant une journée entière les crocheteurs [6] qui opéraient sous la protection de 40 gendarmes et un bataillon d'infanterie, appelé dans l'après-midi en prévision de troubles.

Aucune violence contre les personnes ne s'est produite de la part de la population dont l'attitude, durant ces heures pénibles, a été d'une dignité parfaite ... À citer et à retenir cette parole d'un manifestant : « Nous sommes ici pour voir et pour nous rappeler, le moment venu ».

Le Courrier du Finistère du 10.03.1906 :

Une des plus belles protestations faites dans toute la Bretagne contre les inventaires a eu lieu à Ergué-Gabéric, vendredi.

Dès quatre heures du matin il y avait foule près de l'église. À huit heures sont arrivés de Quimper cinquante gendarmes accompagnant le commissaire de police et l'Inspecteur de l'enregistrement. Mais les portes de l'église étaient murées, et à chaque coup que donnaient les crocheteurs [6] contre la porte de la vieille église, les fidèles enfermés à l'intérieur répondaient par une nouvelle barricade.

Au dehors la gendarmerie fut vite débordée par la population indignée, que s'efforçait de calmer le clergé de la paroisse.

À trois heures, la gendarmerie dut appeler à son aide un bataillon du régiment de Quimper. - Malgré cette force importante, le peuple d'Ergué entend résister et une première charge est vigoureusement repoussée.

La situation devient très grave - l'instant est poignant, il va certainement y avoir du sang versé.

M. de Servigny, conseilleur général, monte alors sur le mur du cimetière, et en breton dit aux catholiques d'Ergué : « qu'ils ont fait leur devoir, et que après huit heures de résistance, ils en ont fait assez pour montrer que le jour où on voudrait fermer leur église, ils auraient la victoire ».

Le calme se rétablit, et les crocheteurs [6] défoncent la porte devant toute cette foule, qui n'oubliera jamais cette scène impressionnante.

La Dépêche de Brest du 03.03.1906 :

À Ergué-Gabéric. Les fidèles enfermés dans l'église. Les portes barricadées. Arrivée de troupes.

Ergué-Gabéric, 2 mars. Ce matin, dès la première heure, M. Roger, inspecteur de l'enregistrement à Quimper, s'est rendu à Ergué-Gabéric, accompagné de M. Judic [5], commissaire de police à Quimper, et de quelques gendarmes, pour procéder à l'inventaire de l'église du bourg de cette commune.

La matinée s'est passée sans qu'il puisse accomplir sa mission.

Depuis quatre heures, quantités de fidèles se sont, en effet, enfermés dans l'église et chantent des cantiques. Derrières les portes, ils ont entassé des pierres, de sorte qu'il est impossible de pénétrer dans l'église.

En présence de cette résistance, l'autorité administrative s'est vue dans l'obligation de réquisitionner la troupe.

À deux heures de l'après-midi, deux compagnies du 118e, placés sous les ordres de commandant Quentin, ont quitté la caserne La Tour d'Auvergne pour se rendre sur les lieux.

Les hommes, en tenue de campagne, ont apporté des vivres avec eux, car on pensait probablement qu'ils devraient passer la nuit et ne rentrer qu'après avoir coopéré à l'inventaire des autres chapelles restant dans la commune : Saint-Guénolé, Saint-André et Kerdévot.

Il n'en a rien été.

Écoutant les conseils qui leur ont été donnés, les fidèles enfermés dans l'église ont cédé.

L'inventaire de cette église et de la chapelle de Kerdévot a pu être fait sans aucun incident.

Les gendarmes et les compagnies du 118e sont repartis pour Quimper, où ils sont rentrés vers huit heures du soir.

Le Finistère du 03.03.1906 :

La Séparation en Bretagne. Les inventaires des biens d'église.

Enfin hier, les opérations ont eu lieu à Ergué-Gabéric où un mur double, en gros moëllons, avait été construit ces jours derniers derrière la porte de l'église.

Les gendarmes n'ayant pas pu passer, firent appel à la troupe et une compagnie du 118e de ligne se rendit sur les lieux avec ses sapeurs. Il n'y a pas eu d'incident grave.

Coupures de presse

Annotations

  1. Le journal « L'Action libérale de Quimper » a été lancé le 31 décembre 1902. L'Action libérale ou Action libérale populaire (1901-1919) était un parti politique français de la Troisième République représentant les catholiques ralliés à la République. Le journal de Quimper deviendra « L'Indépendant du Sud-Finistère ».
  2. Le « Courrier du Finistère » est créé en janvier 1880 à Brest par un imprimeur Brestois, Jean-François Halégouët qui était celui de la Société anonyme de « l'Océan » qui éditait à Brest depuis 1848 le journal du même nom, et par Hippolyte Chavanon, rédacteur en chef commun des deux publications. Le but des deux organes est de concourir au rétablissement de la monarchie. Le Courrier du Finistère est, de 1880 à 1944, un journal hebdomadaire d'informations générales de la droite légitimiste alliée à l'Église catholique romaine jusqu'au ralliement de celle-ci à la République. Il est resté ensuite le principal organe de presse catholique du département, en ayant atteint un tirage remarquable de 30 000 exemplaires en 1926. Rédigé principalement en français, il fait une place remarquable à la langue bretonne, qui est, alors, pour certains ruraux, la seule langue lisible, grâce à l'enseignement du catéchisme. Ayant continué de paraître pendant l'Occupation allemande (1940-1944), Le Courrier du Finistère fait l'objet d'une interdiction de parution. Pour lui faire suite, le diocèse de Quimper a suscité la création d'un hebdomadaire au contenu unique, mais sous deux titres, le Courrier du Léon et le Progrès de Cornouaille.
  3. Le Finistère : journal politique républicain fondé en 1872 par Louis Hémon, bi-hebdomadaire, puis hebdomadaire avec quelques articles en breton. Louis Hémon est un homme politique français né le 21 février 1844 à Quimper (Finistère) et décédé le 4 mars 1914 à Paris. Fils d'un professeur du collège de Quimper, il devient avocat et se lance dans la politique. Battu aux élections de 1871, il est élu député républicain du Finistère, dans l'arrondissement de Quimper, en 1876. Il est constamment réélu, sauf en 1885, où le scrutin de liste lui est fatal, la liste républicaine n'ayant eu aucun élu dans le Finistère. En 1912, il est élu sénateur et meurt en fonctions en 1914.
  4. La Dépêche de Brest est lancée le 18 novembre 1886 avec des moyens très limités et succède à l’Union Républicaine du Finistère créée 10 ans plus tôt. Quotidien, il sera même biquotidien durant des périodes d’actualité forte, comme lors de la première guerre mondiale, avec une édition du matin et une édition du soir. Installé rue Jean Macé à Brest (à l’époque rue de la rampe), à l’emplacement des locaux actuels du Télégramme, La Dépêche de Brest poursuivit son évolution jusqu’au 17 août 1944. Ce jour là, en application de la nouvelle réglementation de la Libération, les biens de la Dépêche furent mis sous séquestre. L’ensemble du matériel est alors loué au Télégramme, nouveau titre autorisé par le Comité régional de l’information.
  5. 5,0 et 5,1 Né en 1862, après avoir été commissaire des chemins de fer à Dieppe, le commissaire Pierre Judic accepte en 1904 un poste de commissaire de 3e classe à Concarneau, avant d'être muté en 1906 à Quimper, est nommée à Maubeuge en 1911, puis Saint-Brieuc, et revient à Quimper de 1913 à 1922. Avant son entrée dans la police, le fin limier était instituteur public et répétiteur de lycée. À ses début à Quimper il est très sollicité lors des inventaires des bien de l'église. Hormis les enquêtes pour vols et de délinquances ordinaires, il intervient sur quelques affaires de mœurs impliquant des ecclésiastiques. Le maire de Quimper, Théodore Le Hars, le présente comme « un agent très instruit, très actif, et très dévoué ». Il parle également le breton, avantage appréciable dans une ville qui est encore dans ses couches populaires largement bretonnante.
  6. 6,0 6,1 6,2 6,3 6,4 et 6,5 Crocheteur, s.m. : malfaiteur ou un artisan spécialisé dans l'ouverture des portes en servant d"un crochet, ou dans la neutralisation du système des serrures à l'aide d'outils ; source : Wikipedia. Lors des Inventaires des églises en 1906, la mission du crocheteur constituait plus à défoncer les portes des édifices religieux qui souvent étaient murés. [Terme] [Lexique]
  7. Fabrique, s.f. : désigne, avant la loi de séparation de l'église et de l'état, tantôt l'ensemble des biens affectés à l'entretien du culte catholique, tantôt le corps politique spécial chargé de l'administration de ces biens, ce au niveau de l'église paroissiale ou d'une chapelle. Les paroissiens trésoriers membres de ce corps étaient les « fabriciens », les « marguilliers » ou plus simplement jusqu'au 18e siècle les « fabriques » (s.m.). Les fabriques sont supprimées par la loi du 9 décembre 1905 et remplacées par des associations de fidèles. Source : site Internet restarhorniou. [Terme] [Lexique]
  8. Blocard, adj. : (Histoire) qualifiait péjorativement ce qui était relatif au Bloc des gauches et à ses militants. Le Bloc des gauches ou Bloc républicain est une alliance de forces politiques de gauche, créée en 1899 en vue des élections législatives françaises de 1902 après la recomposition des fractions de gauche et conservatrices à la suite des remous de l'Affaire Dreyfus.



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Thème de l'article : Coupures de presse relatant l'histoire et la mémoire d'Ergué-Gabéric Création : Février 2014    Màj : 1.06.2024